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Comme les parents demandaient ce qui se passait, le cochon expliqua :

— C’est le chat qui vient encore se fourrer dans les pattes du chat. Je veux dire, c’est la vache… non, le chat…

— C’est bon ! firent les parents. On a compris. Le chat n’a rien à faire ici. Va-t’en, chat.

En quittant l’étable, ils se ravisèrent et, tournant la tête, demandèrent :

— A propos, Cornette, il n’y a pas eu aujourd’hui de nouveau scandale aux grands prés ? Ne nous cache rien.

— Ma foi, non, parents, je ne vois rien à vous signaler. Je tiens même à vous dire que le chien s’est très bien conduit.

— Ah ! ah ! c’est bien surprenant.

— Jamais je ne l’avais vu aussi sage, aussi tranquille. A croire qu’il a dormi du matin au soir.

— Dormi ? En voilà d’une autre ! Est-ce qu’il se figure, ce fainéant, qu’on le nourrit à dormir et à ne rien faire ? Il va avoir de nos nouvelles.

— Écoutez, parents, il faut être juste…

— C’est bien pourquoi il va recevoir la correction qu’il mérite.

Quand les parents arrivèrent dans la cuisine, le chien était couché sous le fourneau. Ils lui dirent :

« Arrive ici, toi, fainéant. » Comme la veille, les petites s’entremirent et comme la veille, le chien s’en tira avec un double coup de sabot dans l’arrière-train.

Le lendemain matin, les choses se passèrent très bien et très simplement. Les parents, pour se lever, avaient l’habitude de se régler avec le chant du coq. Ce matin-là, par ordre du canard, le coq ne chanta pas et les parents, derrière leurs persiennes closes, restèrent endormis. S’étant habillées en silence, les petites vinrent à la cuisine prendre leur panier à provisions et s’éloignèrent comme elles étaient venues, sur la pointe des pieds. Le cochon, qui ne tenait pas en place, les attendait dans la cour.

— Est-ce que vous avez pensé à ma fausse barbe ? leur demanda-t-il à voix basse.

Elles lui ajustèrent une barbe de maïs, très bien fournie, blonde avec des reflets roux, et qui lui montait jusqu’aux yeux. Il exultait :

— Vous m’attendrez aux grands prés, dit-il, et avant midi, je vous ramènerai le troupeau mort ou vif.

— Il vaudrait mieux vif, fit observer une oie.

— Naturellement, mais les faits sont les faits et je n’y peux rien. Du reste, si mes déductions sont exactes, nos vaches doivent être encore en vie.

Le cochon laissa partir les petites et le chien. Cinq minutes plus tard, il se mettait lui-même en route. Il allait lentement, en se donnant des airs de flâner pour ne pas attirer l’attention.

Il était huit heures du matin lorsque les parents s’éveillèrent. Ils n’en croyaient pas leurs yeux.

— J’ai eu beau m’égosiller pendant trois quarts d’heure, dit le coq, je n’ai pas réussi à vous tirer du lit. A la fin, j’y ai renoncé.

— Les petites n’ont pas osé vous réveiller, dit le canard. Elles ont emmené les vaches comme d’habitude et tout s’est bien passé. Pendant que j’y pense, la Cornette m’a chargé de vous dire qu’elle n’a plus mal à la tête.

Les parents qui, de leur vie, ne s’étaient levés aussi tard, furent si troublés qu’ils se crurent malades et n’allèrent pas aux champs ce jour-là.

Vers dix heures du matin, après avoir rôdé dans le village, le cochon, par des chemins détournés, rejoignit les petites aux grands prés. En le voyant arriver, la tête haute et la barbe en éventail, le cœur battit.

— Tu les as retrouvées ?

— Naturellement. C’est-à-dire que je sais où elles sont.

— Où sont-elles ?

— Minute, fit le cochon. Vous êtes bien pressées. Laissez-moi au moins m’asseoir. Je n’en peux plus.

Il s’assit sur l’herbe en face des petites et du chien et dit en se passant la patte dans la barbe :

— Au premier abord, l’affaire paraît compliquée et quand on veut bien réfléchir un peu, elle est extrêmement simple. Suivez bien mon raisonnement. Puisque les vaches ont été volées, elles n’ont pu l’être que par des voleurs.

— En effet, accordèrent les petites.

— D’autre part, c’est une chose bien connue que des voleurs sont des gens mal habillés.

— C’est la pure vérité, dit le chien.

— Cela nous amène à poser la question suivante : quels sont les gens les plus mal habillés du village ? Essayez de trouver.

Les petites citèrent plusieurs noms, mais le cochon secouait la tête avec un sourire malin.

— Vous n’y êtes pas, dit-il enfin. Les gens les plus mal habillés du pays, ce sont ces bohémiens qui campent depuis deux jours sur le bord de la route.

Donc, ce sont eux qui ont volé nos vaches.

— Je l’avais toujours pensé ! s’écrièrent en même temps les deux bergères et le chien.

— Oui, bien sûr, fit le cochon. Maintenant, il vous semble avoir découvert vous-mêmes la vérité. Bientôt, vous aurez oublié qu’elle vous a été imposée par la clarté de mon raisonnement. Le monde est ingrat. Il faut bien s’y résigner.

Il eut un accès de mélancolie, mais on lui fit tant de compliments qu’il retrouva bientôt sa belle humeur.

— A présent, il me reste à aller trouver les voleurs et à en tirer des aveux complets. Pour moi, ce n’est plus qu’un jeu.

— Je peux t’accompagner, offrit le chien.

— Non, c’est une affaire trop délicate. Ta présence risquerait de tout gâter. Du reste, j’opère seul.

Il renouvela sa promesse de ramener le troupeau avant midi et, quittant les grands prés, disparut aux regards des petites. Lorsqu’il arriva auprès des bohémiens, ceux-ci étaient assis en rond et tressaient des paniers. En vérité, ils étaient très mal habillés et leurs guenilles les couvraient à peine. A quelques pas de la roulotte broutait un vieux cheval tout aussi misérable que ses maîtres si l’on considérait sa maigreur. Le cochon s’avança sans hésiter et dit d’une voix joviale :

— Bonjour la compagnie !

Les bohémiens toisèrent le nouveau venu et l’un d’eux, avec un air distant, répondit seul à son salut.

— Tout le monde va bien chez vous ? demanda le cochon.

— Ça va, répondit l’homme.

— Les enfants vont bien ?

— Ça va.

— La grand-mère aussi ?

— Ça va.

— Le cheval aussi.

— Ça va.

— Les vaches aussi ?

— Ça va.

L’homme, qui avait répondu sans y penser, se reprit aussitôt.

— Pour ce qui est des vaches, dit-il, elles ne risquent pas de tomber malades. Nous n’en avons point.

— Trop tard ! triompha le cochon. Vous avez avoué. C’est vous qui avez pris les vaches.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire-là ? fit l’homme en fronçant le sourcil.

— Suffit, répliqua le cochon. Rendez-moi les vaches que vous avez volées, sinon…

Il n’eut pas le temps d’en dire plus long. Les bohémiens s’étaient levés et lui administraient une correction qui mit sa barbe fort mal en point. Ses menaces et son indignation ne faisaient qu’accroître leur ardeur. Il réussit enfin à leur échapper et, tout endolori, semant sur son chemin les poils de sa barbe, alla se réfugier dans la cour de la ferme voisine où les fermiers lui firent bon accueil.

Il était deux heures de l’après-midi et, aux grands prés, les petites se morfondaient à attendre le cochon lorsqu’elles virent arriver le canard qui venait aux nouvelles. Il goûta beaucoup les raisons qui avaient conduit le cochon à soupçonner les romanichels.

— Il faut toujours juger les gens sur la mine, dit-il.

Le tout est de ne pas se tromper. Pour notre ami, je suppose qu’il n’est pas bien loin. A l’heure qu’il est, il doit se trouver en compagnie de la Cornette et des autres vaches. Allons les chercher.