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Les petites, accompagnées du canard et du chien, se rendirent à la roulotte où elles ne virent personne, car les bohémiens étaient allés dans le village vendre les paniers fabriqués le matin. Le canard ne s’inquiéta même pas de cette absence. La tête baissée, il semblait examiner les cailloux du chemin.

— Voyez donc, dit-il, ces grands poils jaunes semés de distance en distance. Le cochon n’aurait pas mieux fait s’il avait voulu jouer au petit poucet avec sa barbe. Tous ces poils nous conduiront bien quelque part.

En suivant le chemin jalonné par les poils de la barbe, les quatre compagnons arrivèrent bientôt dans la cour de la ferme voisine. Les fermiers s’y trouvaient justement.

— Bonjour, dit le canard. A ce que je vois, vous êtes toujours aussi laids. Comment se fait-il qu’avec d’aussi vilaines bobines, vous ne soyez pas encore en prison ?

Tandis que les fermiers se regardaient avec ébahissement, le canard se tourna vers Delphine et Marinette :

— Petites, leur dit-il, allez ouvrir la porte de l’étable et entrez tranquillement. Vous trouverez là des personnes de connaissance qui ne seront pas fâchées de prendre un peu l’air.

Déjà les fermiers se précipitaient pour défendre la porte de l’étable, mais le canard les avertit :

— Si vous bougez seulement le petit doigt, je vous fais dévorer par mon vieil ami.

Pendant que le chien tenait les fermiers en respect, les petites entraient dans l’étable d’où elles ressortaient bientôt en poussant devant elles le cochon et le troupeau de vaches. La Cornette, qui cherchait à se dissimuler parmi ses compagnes, ne paraissait pas fière. Les fermiers baissaient piteusement la tête.

— Vous avez l’air d’aimer beaucoup les bêtes, dit le canard.

— C’était pour rire, assura la fermière. Avant-hier, la Cornette est venue me demander de l’héberger pendant deux ou trois jours. C’était pour faire une farce aux petites.

— C’est faux, rectifia la Cornette. Je vous ai demandé de m’héberger pour une nuit seulement et le lendemain, vous m’avez retenue de force.

— Et les autres vaches ? demanda Delphine.

— J’avais peur que la Cornette s’ennuie. Alors, j’ai pensé à aller lui chercher de la compagnie.

— Elle est venue nous trouver aux grands prés, expliqua une vache. Elle nous a dit que la Cornette était malade et qu’elle nous réclamait. On l’a suivie sans méfiance.

— C’est comme moi, grommela le cochon. Tout à l’heure, quand elle m’a fait entrer dans l’étable, je ne me méfiais pas du tout.

Après avoir vertement admonesté les fermiers et prédit qu’ils finiraient leur vie en prison, le canard emmena tout son monde. Sur la route, il se sépara des petites qui conduisaient les vaches aux grands prés, et rentra à la maison en compagnie du cochon. Celui-ci songeait avec amertume à sa mésaventure et à la vanité des plus beaux raisonnements.

— Dis-moi, canard, demanda-t-il, comment as-tu deviné que les fermiers étaient les voleurs ?

— Ce matin, le fermier est passé sur la route, devant la maison. Comme les parents étaient dans la cour, il s’est arrêté un instant à parler avec eux et j’ai remarqué qu’il ne soufflait pas un mot de la disparition des vaches, quoiqu’il en ait été informé la veille par les petites.

— Comme il savait qu’elles n’avaient rien dit aux parents, il aurait pu se taire simplement pour ne pas les faire gronder.

— D’habitude, sa femme et lui, justement ne manquent jamais une occasion de les faire gronder. Du reste, ils ont des têtes de voleurs.

— Ce n’était pas une preuve.

— C’en était une pour moi. A elle seule, elle m’aurait suffi. Mais tout à l’heure, quand les poils de la barbe m’ont eu conduit jusqu’au seuil de leur étable, je n’ai plus eu le moindre doute.

— Et pourtant, soupira le cochon, ils étaient mieux vêtus que les bohémiens.

Le soir, quand les petites ramenèrent les vaches à la maison, les parents se trouvaient dans la cour. La Cornette les aperçut de loin et, se détachant du troupeau, elle courut jusqu’à eux.

— Je vais vous expliquer comment l’affaire s’est passée, dit-elle. Tout est de la faute des petites.

Elle entreprit un récit où il était question de son absence et de celle des autres vaches. Pour les parents qui croyaient se souvenir d’avoir parlé à leurs bêtes la veille au soir, ses paroles étaient incompréhensibles. Désavouée par les autres vaches et par le cochon, elle faillit s’étrangler de fureur.

— Depuis quelques semaines, fit observer le canard, cette pauvre Cornette perd complètement la tête. Son idée fixe est de faire punir les petites et le chien en racontant n’importe quoi.

— En effet, approuvèrent les parents, c’est ce qu’il nous avait semblé aussi.

Depuis ce jour-là, les parents n’accordent plus aucun crédit aux rapports de la Cornette. Elle en est si contrariée qu’elle a perdu l’appétit et n’a presque plus de lait. A l’heure qu’il est, il est question de la manger.

Le chien

Delphine et Marinette revenaient de faire des commissions pour leurs parents, et il leur restait un kilomètre de chemin. Il y avait dans leur cabas trois morceaux de savon, un pain de sucre, une fraise de veau, et pour quinze sous de clous de girofle. Elles le portaient chacune par une oreille et le balançaient en chantant une jolie chanson. A un tournant de la route, et comme elles en étaient à « Mironton, mironton, mirontaine », elles virent un gros chien ébouriffé, et qui marchait la tête basse. Il paraissait de mauvaise humeur ; sous ses babines retroussées luisaient des crocs pointus, et il avait une grande langue qui pendait par terre. Soudain, sa queue se balança d’un mouvement vif et il se mit à courir au bord de la route, mais si maladroitement qu’il alla donner de la tête contre un arbre. La surprise le fit reculer, et il eut un grondement de colère. Les deux petites filles s’étaient arrêtées au milieu du chemin et se serraient l’une contre l’autre, au risque d’écraser la fraise de veau. Pourtant, Marinette chantait encore : « Mironton, mironton, mirontaine », mais d’une toute petite voix qui tremblait un peu.

— N’ayez pas peur, dit le chien, je ne suis pas méchant. Au contraire. Mais je suis bien ennuyé, parce que je suis aveugle.

— Oh ! pauvre chien ! dirent les petites, on ne savait pas !

Le chien vint à elles en remuant la queue encore plus fort, puis leur lécha les jambes et renifla le panier d’un air amical.

— Voilà ce qui m’est arrivé, reprit-il, mais laissez-moi d’abord m’asseoir un moment, je suis fourbu, voyez-vous.

Les petites s’assirent en face de lui sur l’herbe du talus, et Delphine prit la précaution de placer le panier entre ses jambes.

— Ah ! qu’il fait bon se reposer, soupira le chien. Donc, pour en revenir à mon affaire, je vous dirais qu’avant d’être aveugle moi-même, j’étais déjà au service d’un homme aveugle. Hier encore, cette ficelle que vous voyez pendre à mon cou me servait à guider mon maître sur les routes, et je comprends mieux, à présent, combien j’ai pu lui être utile. Je le conduisais partout où les chemins sont les meilleurs et les mieux fleuris d’aubépine. Quand nous passions auprès d’une ferme, je lui disais : « Voilà une ferme. » Les fermiers lui donnaient un morceau de pain, me jetaient un os, et, à l’occasion, nous couchaient tous les deux dans un coin de leur grange. Souvent aussi, nous faisions de mauvaises rencontres et je le défendais. Vous savez ce que c’est, les chiens bien nourris, et même les gens, n’aiment pas beaucoup ceux qui ont l’air pauvre. Mais moi, je prenais mon air méchant, et ils nous laissaient aller. C’est que je n’ai pas l’air commode, quand je veux, tenez, regardez-moi un peu…