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Faudra-t-il donc que je quitte le port ? demanda-t-elle avec froideur.

— Non, Votre Seigneurie. – Racety était heureux de trouver un compromis. – Nous n’avons aucune directive en ce sens. Si vous le désirez, vous pouvez rester. Mais nous devrons respectueusement vous empêcher de vous approcher des silos.

Sur ce, il laissa Samia dans sa voiture aérienne d’un luxe dérisoire, immobilisée à une vingtaine de mètres de la sortie de l’astrodrome. On l’avait attendue et il était probable qu’on continuait de la surveiller. Si elle faisait ne fût-ce qu’un tour de roues, ils couperaient sans doute le courant alimentant le véhicule, songeait-elle avec indignation.

Ses dents grincèrent. Son père n’avait pas le droit d’agir ainsi ! C’était toujours la même histoire. On la traitait comme si elle ne comprenait rien à rien. Pourtant, elle aurait pensé que son père, lui, avait compris.

Il s’était levé pour l’accueillir, ce qu’il n’avait jamais fait pour personne depuis la mort de sa mère. Il l’avait serrée dans ses bras, il avait abandonné son travail. Il avait même congédié son secrétaire parce qu’il savait l’aversion qu’elle éprouvait pour le teint blême des indigènes.

C’était presque comme autrefois, lorsque son grand-père était vivant et que son père n’était pas encore Grand Écuyer.

— Mia, mon enfant, j’ai compté les heures, lui avait-il dit. Je n’avais jamais pensé que Florina était si loin. Quand j’ai appris que ces indigènes étaient cachés dans le navire que j’avais envoyé précisément pour que tu sois en sécurité, j’ai bien cru devenir fou.

— Il n’y avait aucune raison de t’inquiéter, papa.

— Crois-tu ? Un peu plus, et j’expédiais toute la flotte afin qu’elle te ramène sous bonne escorte !

Cela les avait fait rire tous les deux. Plusieurs minutes s’écoulèrent avant que Samia pût aborder le sujet qui lui tenait à cœur.

— Que vas-tu faire de ces passagers clandestins, papa ? avait-elle demandé en affectant l’insouciance.

— Pourquoi cette question, Mia ?

— Tu ne penses pas qu’ils avaient l’intention de t’assassiner ou quelque chose comme cela ?

Fife avait souri.

— Tu ne devrais pas avoir des pensées aussi morbides.

Elle avait insisté :

— Est-ce que tu le crois ?

— Bien sûr que non.

— Tant mieux ! Parce que j’ai parlé avec eux, papa, et je suis convaincue que ce ne sont que de pauvres gens inoffensifs. Je me moque de ce que peut raconter le capitaine Racety.

— Pour de « pauvres gens inoffensifs », ils ont enfreint pas mal de lois !

— Tu ne peux pas les traiter comme des criminels ordinaires, papa !

Elle avait haussé le ton, inquiète.

— Que veux-tu que l’on fasse d’autre ?

— L’homme n’est pas un indigène. Il est originaire d’une planète qui s’appelle la Terre, on lui a lavé le cerveau et il n’est pas responsable.

— Eh bien, ma chère enfant, la Sécurité le verra. Laissons-la s’occuper de cela.

— Non, c’est trop important pour que l’on s’en remette au Depsec. Les gens de la Sécurité ne comprendront pas. Personne ne comprend, sauf moi.

— Sauf toi ? avait demandé Fife sur un ton indulgent en caressant du doigt une mèche folle sur le front de Samia.

— Moi seule, oui ! Moi seule ! Tout le monde s’imaginera qu’il est fou mais je suis sûre et certaine qu’il ne l’est pas. Il dit qu’un grave danger menace Florina et la galaxie tout entière. C’est un spatio-analyste et tu sais que les spatio-analystes sont spécialisés dans la cosmogonie. S’il le dit, c’est que c’est vrai.

— Comment sais-tu que c’est un spatio-analyste, Mia ?

— Il l’affirme.

— Et à propos de ce danger, quels détails donne-t-il ?

— Il ne les connaît pas : on l’a décervelé. N’est-ce pas la meilleure preuve ? Il savait trop de choses. Quelqu’un avait intérêt à mettre un éteignoir là-dessus. – Instinctivement, Samia avait baissé la voix et son ton s’était fait confidentiel. Elle s’était raidie pour ne pas jeter un coup d’œil derrière son épaule. – Ne vois-tu pas que si sa théorie était fausse, on n’aurait pas eu besoin de le psychosonder ?

— Dans ce cas, pourquoi ne l’a-t-on pas tué ?

Fife aussitôt s’en voulut d’avoir posé cette question. A quoi bon troubler sa fille ?

Samia avait vainement cherché une réponse. Finalement, elle avait repris :

— Si tu ordonnes à la Sécurité de me laisser lui parler, je découvrirai la vérité. Il a confiance en moi, je le sais. J’en apprendrai plus que le Depsec. Papa, je t’en supplie, dis-leur de m’autoriser à lui parler. C’est très important. Très !

Fife avait légèrement serré les poings crispés de Samia.

— Pas encore, Mia, avait-il répondu en souriant. Pas encore. Dans quelques heures, le troisième homme sera entre nos mains. A ce moment-là, je verrai.

— Le troisième homme ? L’indigène qui a commis tous ces crimes ?

— Exactement. Le navire qui l’amène fera contact dans une heure environ.

— Et tu ne vas rien faire à propos de la Florinienne et du spatio-analyste avant son arrivée ?

— Rien.

— Bon ! Je vais attendre cet astronef.

Elle s’était levée.

— Où vas-tu, Mia ?

— Au port. J’ai beaucoup de choses à demander à cet indigène.  – Elle avait éclaté de rire.  – Je vais te montrer que ta fille peut être un fameux détective, papa.

Mais Fife était resté grave.

— Je préférerais que tu n’en fasses rien.

— Pourquoi ?

— Il est capital que l’arrivée de cet homme ait lieu avec la plus grande discrétion. Ta présence au port attirerait l’attention.

— Et alors ?

— Je ne peux pas t’expliquer la stratégie politique, Mia.

— Stratégie politique ! Quelle bêtise !

Elle s’était penchée pour piquer un baiser sur le front de son père et avait quitté le bureau.

Et à présent, comme elle était là, prisonnière de sa voiture dans l’enceinte du port, elle distinguait un point noir qui grossissait dans le ciel.

Elle appuya sur le bouton commandant l’ouverture du vide-poches et s’empara de ses jumelles de polo. En général, cet instrument lui servait à suivre les évolutions des monogyros de course lors des parties de polo stratosphérique. Mais les jumelles pouvaient aussi être employées à des fins plus sérieuses. Elle les porta à ses yeux et le point noir devint un astronef miniature dont le rougeoiement des tuyères de poupe était nettement visible.

Au moins, elle pourrait distinguer les occupants du navire quand ils mettraient pied à terre, elle pourrait apprendre tout ce qu’il lui serait possible d’apprendre par un examen à distance et elle pourrait ensuite trouver un moyen ou un autre pour s’entretenir avec l’indigène.

Le globe de Sark remplissait toute la surface de l’écran. On apercevait tout un continent et la moitié d’un océan que voilait en partie une couche de nuages blancs et cotonneux.

— La surveillance du port ne sera pas excessive, dit Genro. Seule une imperceptible hésitation dans sa voix trahissait l’effort qu’il faisait pour concentrer son attention sur les instruments de bord. – C’est encore une de mes suggestions. J’ai fait valoir que toute activité insolite au moment de l’atterrissage risquait de mettre la puce à l’oreille des Trantoriens, que le succès dépendait de leur ignorance, qu’il fallait qu’ils ne se rendent compte de ce qui se passerait réellement que quand il serait trop tard. Ne vous inquiétez donc pas.

Terens haussa les épaules avec accablement.