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Le blessé gamberge froidement. Il lui faudrait l’hosto, dare-dare, seulement jamais Stevena ne l’y conduira. Mieux, s’il juge son pote sérieusement atteint, il lui pralinera la coiffe, ainsi l’exige le règlement de leur organisation. S’il pouvait au moins marcher ! Mais c’est devenu impossible. Foutu ! Il est archi foutu, le Boris. Là s’achève sa trajectoire de forban. Il a refroidi une chiée de mecs sans sourciller, parfois même avec plaisir ; et aujourd’hui son tour est venu. Il va crever dans cet entrepôt à pouilleries. Une mort sans gloire, presque accidentelle. Une fin à la con au bout d’une vie à la con. Gagné, perdu ! Pile et face ! Après le jour, la nuit ! Il considère le gros homme chauve étendu à ses pieds. Il le hait, certes, mais pas plus qu’avant.

Il a la haine endémique, Boris. Fortifiante pour ainsi dire. Sur le plancher, Achille Parmentier pousse des plaintes sourdes. Une vilaine plaie compose un emplâtre de sang au-dessus de son oreille gauche. Il ouvre les yeux pour contempler les chaussures de Boris. L’une ne touche pas le plancher car Boris se tient de guingois contre le fauteuil garni de cuir. Parmentier, lui aussi, sait que c’est fichu. Qu’ils vont le trucider sans pitié. Il voit une rigole de sang dégouliner sur le pied de son visiteur. Cela sourd de sous le pantalon, imbibe la chaussette et le surplus coule sur le talon du soulier avant de goutter lourdement. Le bruit du sang rythme un temps qui a perdu toute sa signification. Achille prête l’oreille. Il perçoit un mouvement dans ce qu’il appelle pompeusement le « hall d’exposition ». C’est « l’autre » qui bricole le vieux coffre-fort. On n’a pas encore tué Parmentier, au cas où il y aurait un problème d’ouverture, ou bien dans l’hypothèse où il aurait menti au sujet de la valise. Mais la valise métallique se trouve bel et bien dans le ventre d’acier, l’homme n’aura pas trop de mal à faire jouer l’ouverture du monstre, et alors tout sera dit. Il aura droit à sa balle entre les deux yeux.

Il se dresse sur un coude. Ses yeux rencontrent ceux de Boris, Parmentier y lit la tragédie de la mort. Il a touché son adversaire pour le compte. L’homme est en état de préagonie. On devine que d’horribles douleurs se rassemblent dans sa viande et se mettent à y croître. Très vite elles deviendront insoutenables. Du coup Parmentier reprend espoir. Si l’autre pouvait s’évanouir, au moins ! Il prendrait l’arme d’un de ses archers morts et ramperait jusqu’au hall d’exposition, s’y embusquerait pour abattre le deuxième visiteur.

Mais Boris comprend tout, il articule d’une voix pesante :

— Non, gros lard : je te flinguerai avant.

Déconcerté, Parmentier détourne son regard.

Boris ajoute :

— Dans tes couilles pour commencer !

« Un obsédé », songe l’antiquaire, un sadique.

Boris a dressé un plan d’action. Lui aussi a décidé de « tenter le tout pour le tout ». Il sait comment s’y prendre.

Rassemblant ce qui lui reste d’énergie, il crie à la cantonade :

— Ça vient ?

— Ça y est ! répond Stevena depuis l’entrepôt.

— Dépêche-toi, qu’on rigole un peu avec ce monsieur avant de filer.

Oh ! oui, son plan est prêt. Lorsque Stevena reviendra dans le bureau avec la valise, il l’abattra à bout portant. Puis il liquidera l’antiquaire. Ensuite, comme il ne peut plus bouger, il alertera la police, dira qu’il a trouvé la valise, histoire de se blanchir, puis se laissera conduire à l’hôpital. Il a hâte qu’on l’allonge dans des draps blancs et qu’on le prenne en charge. Il veut s’en sortir, absolument. Rien n’est plus important. Une fois hors de danger, il se débrouillera, qu’importent les tribunaux et les dirigeants de son organisation.

Mais soudain, les choses changent.

CHAPITRE XXVIII

VERDUN, VERDEUX, ETC

L’action, c’est comme ça : tu ne penses plus à rien. Ton instinct t’assume. Lui se rappelle le plan prévu et t’as plus qu’à lui obéir.

Je fonce dans le magasin surencombré, à la tête de mes lanciers. Derrière moi, y a Béru, puis les trois Ricains, puis Lurette et messire Pinaud, dit le Branleur Branlant.

Je désigne le fond de la boutique an Gros, là où derrière l’accumoncellement de commodes, armoires, pianos et autres fichaises de la vie, un gazier ouvre un coffiot.

— A toi ! lui crié-je.

Mézigue, je fonce sur ma droite, par le sentier sinueux menant à un local éclairé. Je déboule à l’orée d’un bureau moderne. La vitre de la porte est pulvérisée. A travers, j’avise un type acagnardé à un siège.

— Les pattes en l’air ! aboyé-je.

D’un coup de peton, j’ouvre la lourde en grand. Deux cadavres gisent sur le plancher, mitraillés d’importance. Un coup de feu claque, puis un second. C’est le type derrière le bureau qui vient de défourailler. Pas sur moi : en direction de ses pieds. Qu’est-ce y lui prend ?

— Lâchez ça ! intimé-je.

J’en dis pas une de plus car les Ricains qui me suivent l’arrosent avec un ensemble parfait.

Un numéro de music-hall, tu croirais. Ça fait tching, tchok, poum ! Puis, parce qu’ils doublent la mise : poum, tchok, tching.

Le gars d’en face, un rouquin, se replie comme un vieux Kodak à soufflet. Sa bouille s’incline sur sa poitrine, trouée à deux endroits (la bouille). Comme il était bloqué contre le fauteuil et le bureau, il ne bascule pas ; juste qu’il est tassé et un peu mort pour longtemps.

On entre, moi le first : à tout seigneur…

Le tableau de chasse est fourni : trois défunts et un agonisant, car, derrière le bureau, au pied du gus flingué par mes amères loques, gît un quatrième personnage, lequel n’est autre que le gros chauve du Club Apollon. Il est devenu couleur reine-claude, cézigue, du fait des deux balles qui lui ont été télégraphiées dans le bas-bide. Ça bouillonne vilain à l’emplacement de la braguette. Comme dans l’air des dindons de cette opérette à la con qui ferait gerber une truie mélomane : Glou ou, glou ou, glou ou, glou… De toute beauté ! Fleur de coing ! Moi, quand j’étais chiare et que mes chers vieux me branchaient le disque, j’en avais le vertigo. « J’t’aime mieux qu’mes moutons on on… » Tu te la prends, tu te la secoues, tu te l’astiques ! O la bella passionata ! Tsoin tsoin ! Ce qu’il y a eu comme conneries d’écrites en dehors des miennes ! Des débileries insoutenables. Glou ou, glou ou, glou… T’as pas honte, toi ? Moi, j’sais plus où me mettre ; surtout quand y a du monde, des étrangers. Vous allez entendre notre folklore, les gars ! Ça, c’est pas de la bibine : « Glou ou, glou ou, glou… » De quoi se pisser parmi ! L’esprit français, es-tu là ? Si t’es là, tire un coup ! Si t’es pas là, tire z’en deux ! Merde, ce qu’on aura essuyé… « J’t’aime mieux ». Je t’aime mieux que mon cul, oui, mais tout juste ! Tiens, je préfère le slow, bien serré comme les caouas italoches. Tu sais, quand on y va, plaqués comme un autocollant sur la feuille adhésive ? Le côté : rien pour toi, rien pour moi, tout pour le teinturier, tchlaoff !

Bon, je te racontais quoi t’est-ce ? Ah ! certes : le gros chauve qui a morflé dans les burnes deux pralines de fort calibre !

S’il n’en reste qu’un, c’est le gusman du coffiot. Il en est où, le Béru, à propos ?

Je m’inquiète de lui, on n’entend rien.

— Ohé, le Gros ! l’hélé-je.

Nobody me répond.

Alors je retourne dans l’entrepôt, suivi de Pinuche. On ne voit rien que ce massif de meubles hétéroclites. On n’entend rien d’autre que la respiration de Sa Majesté, parce que son souffle, à Gradu, ça fait comme la pompe à merde en action. D’emblée, j’entrave que le futé s’est placardé dans les décombres d’existences amoncelés là. Sur le qui-vive.