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On sort du Quai des Orfèvres, mais les vrais orfèvres, ce sont eux ! Boulot de classe. Ils n’ont pas emprunté les égouts mais un conduit d’aération. Souviens-toi qu’il leur fallait des tailles de guêpe pour se laisser couler dans ce boyau rectangulaire de 40 × 50. Ils sont passés par le toit et ont franchi dix étages de la sorte, avant de débouler dans le saint des saints. Outre l’étroitesse du conduit, ils se sont heurtés à deux obstacles d’importance : primo, une ventilation électrique aménagée à l’arrivée du canal. Et c’est là que ça n’a pas dû être de la tarte, mon pote ! Pour dévisser l’appareillage, il a fallu qu’un type se laisse descendre la tête la première et les bras en avant. Tu juges ? Il devait avoir une lampe frontale et un système de phonie pour communiquer avec ses aminches restés sur le toit. Combien de temps un mec est-il capable de demeurer la tronche en bas avant de perdre connaissance ?

Le système de ventilation était boulonné sur un cadre scellé dans les parois du boyau. L’homme a utilisé une chignole électrique pour faire péter les vis. Le type en question devait juste avoir le temps de dégager un boulon ou deux avant de se faire remonter dare-dare, que, sinon le raisin noyait son caberlot. Et la remontée, t’imagines ? Combien de temps durait-elle ? Il est néanmoins arrivé à ses fins, qui étaient de déposer le ventilo et son moteur sans se faire juter par la chiée de volts qui l’actionnaient. Bon, ses potes l’ont rejoint, après avoir descendu un matériel hautement sophistiqué. Et ils se sont mis au boulot, les petits gars. Labor omnia vincit improbus, comme disait ma concierge. Ils se sont payé cent treize coffres dans la nuit. Les portes démantelées pendouillent sottement. Rien n’est plus triste au monde, après un enfant sous-nourri, qu’un coffre-fort béant et vide, j’en causais l’autre jour avec mon banquier qui est un homme de cœur.

Béru et la Pine fouinassent comme deux setters irlandoches. Moi, je perplexe en silence, adossé à un coffre épargné. Les « descends-en-bas » (car ils se sont montrés le contraire des classiques « monte-en-l’air ») ont pillé toute une travée, celle qui se situait près de la bouche d’aération, c’est-à-dire près de leur issue. Dans ces cas-là, à moins d’être dûment renseigné et d’avoir des visées sur un coffre précis, il vaut mieux procéder de la sorte plutôt que de se disperser à travers la salle. L’outillage doit rester concentré.

Qu’est-ce qui me chicane ? J’ai beau chercher… Ah ! si, voilà : la valise. Attends, bouge pas, je vais tenter de t’expliquer, si je n’y parviens pas, tu fonces chez mon éditeur avec ton book et il te l’échange contre une pipe par la femme de ménage.

Les pilleurs ont opté pour la rangée proche de leur voie d’accès. Le hasard a voulu que le coffre loué par mon dirlo et sa clique figure dans la zone sinistrée. Bon, le hasard est ce qu’il est. La rivière de diamants de ma Tzarine aussi coulait dans le secteur après tout, non ? Bon. Les copains voleurs vidaient les casiers au fur et à mesure. Il devait y avoir deux équipes, probablement une chargée d’ouvrir les lourdes, une autre pour sélectionner le butin. En effet, il est des paperasses sans valeur pour eux, encombrantes de surcroît, qu’ils ont laissées sur place.

Quand ils ont trouvé la valoche, ils l’ont ouverte, fatalement. Et ils ont trouvé quoi ? Quatre bocaux comportant des étiquettes où figurait une tête de mort. Ce n’est pas cela qu’ils venaient chercher, sinon ils se seraient abstenus de besogner, des heures durant, sur les autres portes blindées. Pourtant, ils ont emporté la valise, bien que ses dimensions permettent tout juste son passage par le conduit. Pourquoi ?

Je te pose une question, l’artiste, et tu vas m’y répondre. Suppose que tu commettes un fric-frac de grand style. Tu cherches du négociable : de l’or, des devises, des bijoux, à la rigueur des titres au porteur. Tu ramasses en vitesse. T’es pressé. L’heure tourne. Et voilà que tu tombes sur une valise de métal assez lourde. Tu vérifies ce qu’elle contient. Des bocaux ! Quatre bocaux. Ou plutôt quatre fois un bocal, la langue française a plus de lagunes que Venise. On devrait dire, si on réfléchit bien, des bocaux, mais quatre bocal. Peu importe, ça n’empêchera pas les Russes de se pointer peu après la publication de ce livre (si c’est peu avant, il ne paraîtra pas et je l’aurai écrit pour mes fesses).

Donc, tu es dévaliseur de coffres et tu trouves quatre bocal dans une valise. Tu ne sais pas ce que contiennent ces bocaux. Que fais-tu ? Notons que la tête de mort dont ils sont marqués ne t’incite guère à faire joujou avec eux. Allez, je t’écoute, brin d’homme : il se passe quoi t’est-ce dans ta cervelle meunière ? N’aie pas peur, cause ! Comment ? Oui, oui… C’est pas si con que ça. Tu te dis que si des choses mortelles sont bouclardées dans une salle forte, c’est qu’elles revêtent une grosse importance et que, si elles ont une grosse importance, leur propriétaire sera disposé à en raquer un plein saladier pour les ravoir ? On peut penser ça, oui. J’admets. Seulement comment identifier le proprio en question ? Les visiteurs du soir ignorent l’identité des locataires de C.-F. De quelle manière sauraient-ils le contacter ? En pensant qu’il se fera connaître ? Ils espèrent que les médias parleront de cette perte ?

Un sourire humide comme une culotte de collégienne écoutant Julot Eglise me vient. Faut pas les faire poireauter trop, ces amours.

Pinuche se la radine. Il vient de rallumer son mégot et une traînée de suie oblitère son beau visage de canule ébréchée.

— Malgré que tu sembles pensif, Antoine, je voudrais t’entretenir d’une constatation que je viens de faire et qui ne me paraît pas négligeable, compte tenu de…

— Accouche !

— Il existait un système d’alarme déclenché par cellules photoélectriques. Je viens d’en faire le tracé, regarde.

Il me tend une photographie représentant une aimable communiante moche comme un vilain cul malgré son air de béatifiée de frais.

— Ça, c’est Mme Pinaud, me dit-il. Tourne.

Je.

La Vieillasse a fait un plan fort lisible au dos de son épouse. Il le commente.

— Tu constateras, mon cher ami, qu’il s’agit de rayons entrecroisés. Les voleurs ont travaillé à l’intérieur d’un des losanges non couvert par les rayons. Donc, ils étaient renseignés et savaient quelle était leur marge d’action. Ces cellules partent du plancher et montent jusqu’au plafond, impossible donc de les franchir sans couper le contact. Or, ledit est situé dans un local spécial, au premier. De plus, viens voir comme ils sont astucieusement logés dans les rainures des plaques de blindage. Ils ont fouillé uniquement ce qui leur était accessible, à savoir cent treize coffres. Quand je dis qu’ils œuvraient dans un losange, en réalité c’est dans une moitié de losange.

— Donc, dans un triangle ? corrigé-je, bien qu’ayant toujours été avantageusement nul en géométrie.

— Oui, puisqu’ils ne disposaient que de la partie où débouche l’aérateur collé contre le mur.

— Bonne découverte, Pinuche. Il va falloir interroger d’assez près les préposés aux coffres.

Il détourne du mien son regard pudique.

— Béru s’en occupe, déclare le cher homme.

CHAPITRE IX

ÇA S’ORIENTE

Ils sont trois à s’occuper du département C.-F. à la G.D.B. Il y a un chef de service, une dame jeune, un peu moustachue malgré des épilations douloureuses qui rougissent son pourtour labial, et un grand employé qui ressemble à une endive (dont je te rappelle la définition : espèce de chicorée blanchie dans l’obscurité). Le chef de service porte beau dans les budgets modestes, c’est-à-dire qu’il essaie d’être d’une suprême élégance avec les moyens que mettent à sa disposition des tailleurs travaillant par correspondance. Il n’a pas de cou, ce qui lui évite de faire amidonner ses cols de chemise, et ses oreilles font penser à deux champignons (comestibles) ou à deux anus en fleur.