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— Qu'est-ce qu'il a fait à Paris avant de partir? Questionnait Emile.

— A dire vrai, je crois qu'il a été assez affolé, rapport à sa clé...

Clin d'œil de Barbet, qui n'était jamais aussi heureux, tout honnête homme qu'il fût devenu que quand on lui donnait la permission de faire les poches.

— Où est-il allé?

— A la Santé... J'avoue que je ne suis pas entré avec lui... Cependant, pendant qu'il rendait visite à un prisonnier, je me suis renseigné de mon côté... Il paraît que son client est un étranger qu'on appelle le Commodore, un type qui travaille dans le lavage des chèques, les faux titres et tout le saint tremblement... Le grand jeu, quoi !...

— Ensuite?

— Ensuite, il est entré dans une grande quincaillerie...

— Hein?...

— Une quincaillerie, oui... Je n'ai pas pu savoir ce qu'il achetait... Depuis, nous sommes sur la route... Comme je vous l'ai dit, quand mon chauffeur m'a annoncé qu'il fallait abandonner, j'ai préféré lui faire faire pour quelques centaines de francs de dégâts... Et encor!... Il parait qu'il y a une assurance... Il s'arrangera pour prétendre que c'est l'autre qui...

Le Commodore... Emile a les sourcils froncés... Le Commodore...II a lu, comme tout le monde, quelques jours auparavant, qu'on avait arrêté dans un grand établissement banquier de l'avenue de l'Opéra un escroc International, connu sous le nom de Commodore, au moment où il essayait de se faire payer un gros chèque falsifié... On a parlé d'un million...

Quel rapport peut-il y avoir entre...

Soudain, Emile se lève, se dirige droit vers l'avocat, qui paraît au comble de la nervosité.

— Comment allez-vous, mon cher maitre?

— J'ai l'impression de vous reconnaître et, cependant... Si vous voulez me rappeler votre nom...

— Emile… L'employé de l'ex-inspecteur Torrence... J'ai pensé que vous auriez peut-être besoin de moi, surtout après le coup de téléphone que je viens de recevoir du patron...

Il a lancé ça en l'air. L'effet est immédiat.

— Qu'est-ce que vous dites?... Vous avez reçu un coup de téléphone de... C'est bien de M. Torrence que vous avez reçu un coup de téléphone?

— Pourquoi pas?

Ce sont des minutes qui paient de bien des désagréments. Surtout qu'Emile file tout ça d'un air angélique, en baissant les yeux.

— Par exemple, je ne sais pas d'où il m'a téléphoné... Cela venait d'assez loin... Il m'a recommandé de me mettre au plus tôt à votre disposition et...

— Pardon, mon ami... Pardon... Mettons de l'ordre dans nos idées, sinon ma pauvre tête va sauter... Vous prétendez que Torrence vous a téléphoné pour vous dire...

— Que vous alliez peut-être au-devant d'ennuis graves et que, si je parvenais à vous rejoindre...

— Mais, sacrebleu, comment votre Torrence — le diable ait son âme — peut-il savoir où je...

— Excusez-moi, je ne suis qu'un employé et il ne me met pas au courant de toutes ses affaires... Il m'a dit comme ça que je vous rattraperais sûrement sur la toute du Touquet...

— Alors, c'est lui qui a fait télescoper ma voiture par cet idiot de taxi et...

— Je ne sais pas... Il a ajouté que si vous aviez trop d'avance et si je ne vous rattrapais pas en route, je vous trouverais sûrement dans la villa d'un Anglais, au Touquet... Attendez donc que je retrouve le nom... Sir... Sir James Raleigh...

Jamais homme n'a manifesté une stupéfaction telle que le célèbre avocat à cet instant. Certes, il sait que l'Agence 0 a réussi quelques coups de maître. Il n'ignore pas que Torrence n'a pas été pour rien le bras droit de l'illustre Maigret. Mais de là...

— A propos... continue Emile d'une voix de jeune fille, il m'a également parlé, très vite il est vrai, de votre client, le Commodore...

Le diable en personne se serait assis à sa table, que Me Duboin...

- Que m'a-t-il donc dit à ce sujet?... Ah! oui, qu'il est parfois difficile de déterminer exactement où s'arrête le rôle de l'avocat, mais qu'il existe cependant des cas où il est extrêmement dangereux de dépasser certaine limite... Défendre un homme à la barre, c'est bien... Mais aider cet homme à faire disparaître les preuves de sa culpabilité...

- Jeune homme, je ne vous permets pas...

- Il ne parlait pas de vous, j'en suis sûr... C'était une conversation d'ordre général... C'est comme au sujet de sir Raleigh... il y a un détail curieux... Figurez-vous qu'alors que ce noble personnage est en Australie pour deux ans, son valet de chambre ou je ne sais quel domestique de confiance commande, pour son compte — et paie, d'ailleurs — un coffre-fort d'un modèle tout ce qu'il y a de perfectionné... Ce coffre-fort est installe dans la villa du Touquet. Ou diable ai-je donc mis la clé?

— La clé de quoi?

Et Emile, qui atteint aux limites de la candeur, de murmurer:

— Mais la clé de ce coffre-fort...

— Vous avez cette clé?

— Torrence... je veux dire mon patron... me l'a envoyée...

— Par téléphone aussi, sans doute? Raille l'avocat, qui s'est levé et qui est devenu cramoisi.

— Je ne sais plus exactement comment il me l'a envoyée... Le fait est que je l'avais tout à l'heure dans cette poche... Même que je me demande...

Emile se tourne vers la tablé, près de la porte, à laquelle est installé son métèque.

— Je me demande si ce n'est pas Ce type... Le fait est qu'il m'a suivi longtemps et que tout à l'heure il m'a bousculé... Ah! C’est dommage que vous ayez envoyé M. Torrence en province... Je suis sûr que, lui, il vous aurait tout de suite tiré d'embarras...

L'avocat regarde fixement l'inconnu. On le sent en proie à une vive agitation. Enfin, il laisse tomber, comme un vaincu:

Pour le compte de qui travaillez-vous?

— Pour le compte de l'Agence 0...

— Ce n'est pas ce que je vous demande... Pour le compte de qui l'Agence 0 travaille-t-elle dans cette affaire?

— Mais je croyais que c'était pour le vôtre?... Je vous ai vu ce matin au bureau avec le patron... Vous êtes parti avec lui et j'ai pensé...

— Ecoutez, jeune homme, on ne s'est pas souvent moqué de moi...

— Mon cher maitre, j'en suis persuadé...

— Le temps nous est compté... Acceptez-vous de travailler pour moi?

— Puisque je viens de vous dire...

— Trêve de plaisanteries... J'ai horreur des gens qui veulent avoir l'air plus bête qu'ils le sont en réalité... Emile sourit.

— La clé...

— Cela dépend de ce que vous voulez en faire...

— Cela signifie qu'elle est toujours en votre possession?

— Je peux affirmer que, quoi que vous fassiez, vous ne mettrez pas la main dessus...

— J'irai jusqu'à cinquante mille...

— Cinquante mille quoi?

— Cinquante mille francs, évidemment... Peu importe s'ils tombent dans votre poche ou dans celle de votre patron... Garçon? Avez-vous ici un journal du Havre?...

Il cherche à la dernière page.

— Il est onze heures... A onze heures et demie, le Mooltan, qui arrive d'Australie, est attendu au Havre... Sir Raleigh est à bord, et son premier soin sera de prendre une voiture pour se faire conduire au Touquet... Mettons que nous n'avons même plus une heure d'avance sur lui…

— Vous avez rendez-vous avec sir Raleigh?

Emile tressaille, car Barbet, qui s'ennuie et qui ne désespère sans doute pas d'examiner le contenu des poches du métèque, vient de s'approcher aimablement de lui et de lui proposer un billard. L'homme, par défi, a accepté.

— Ecoutez, jeune homme...

— Vous pouvez m'appelez Emile, comme tout le monde... Alors, l'avocat a une parole énorme, une de ces phrases quasi historiques que le jeune détective voudrait faire enregistrer pour la postérité.