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— Du courrier?

— Vous m'y faites penser... Le facteur n'a jamais laissé de lettres pour elle... Et pourtant... C'est curieux, quand on se met à réfléchir...

Dites-moi ce que vous pensez...

— Je pense que Mme Séquaris, quand elle ne se promène pas, passe des heures entières à écrire des lettres... Généralement, quand on envoie beaucoup de correspondance, on en reçoit beaucoup aussi... C'est cela qui vient de me frapper...

— Rien d'autre?

— Ma foi... Non... Ce n'est rien... Un jour qu'il y avait plusieurs lettres prêtes à être expédiées, sur la table; et que j'allais à la poste, j'ai lancé comme ça:

» — Si vous voulez que je porte votre courrier...

Je me trompe peut-être, mais j'ai eu l'impression qu'elle était comme effrayée...

» — Non, merci... s'est-elle écriée en me reprenant les enveloppes des mains. Je n'ai pas fini...

» Et... Décidément, c'est inouï comme vous me faites penser à des choses... La poste est dans la rue, quelques maisons plus loin... Il m'arrive de passer des journées entières à la terrasse... Quand il y a des pensionnaires, je suis toujours sûre de les voir une fois ou l'autre jeter des lettres ou des cartes dans la boîte... Vous savez, dans un village, on regarde machinalement les gens...

» Eh bien! Je n'ai jamais vu Mme Séquaris poster du courrier...

— Voulez-vous être assez aimable pour aller vérifier la date exacte de son arrivée?

Dix minutes plus tard, Emile et Torrence sont renseignés.

— Le 6 juin, monsieur... Juste un jour avant que... Torrence, très surexcité, regarde Emile avec curiosité.

— Je serais heureux, quand vous aurez le temps, que vous me disiez comment vous avez déniché cette piste et ce que...

— Il n'y a aucune piste, affirme Emile Je vous assure. Je vais, je viens. J'en sais exactement autant que vous. Tenez! Voici votre collègue, l'inspecteur Bichon. Demandez lui donc, pour gagner du temps, qui est cette Mme Séquaris. Il doit avoir, lui, des renseignements circonstanciés sur toutes les personnes qui habitent l'hôtel...

L'inspecteur Bichon, questionné, cligne de l’œil

— Vous n'êtes pas les premiers à y avoir pensé, hé!... Trop facile, messieurs... La dame qui arrive un jour avant les deux Raphaël Parain, n'est-ce pas?... Mais d'abord, si elle était pour quelque chose dans l'affaire, elle n'aurait aucune raison de rester ici. Ensuite, ce n'est pas une femme qui a pu étrangler les deux vieillards, tous deux encore vigoureux. Enfin, nous avons les meilleurs renseignements sur elle... Cette dame, qui est née dans la région...

— C'est étrange que personne ne paraisse la connaître...

— D'abord parce que ses parents n'étaient pas du pays, mais avaient acheté une villa à quelques kilomètres de Moret... Ensuite parce qu'elle a quitté la France dès son enfance... vous voyez que nous avons des renseignements précis... Mme Séquaris a vécu longtemps en Amérique du Sud, où elle était gouvernante dans une famille riche... A la suite d'un deuil, elle est rentrée en France et elle se repose actuellement ici...

— C'est son mari qu'elle a perdu?

— Exactement... Elle était mariée depuis peu, d'ailleurs... Son nom de jeune fille, si vous tenez à le savoir, est Gélis... Irène Gélis... Maintenant, messieurs, il me reste à vous souhaiter bonne chance... La tradition ne veut-elle pas que ce soit la police privée qui dame le pion à ces brutes de policiers officiels?

Là-dessus, il esquisse une grimace et s'éloigne, content de lui.

— Vous vous y retrouvez, vous? Questionne Torrence avec humeur.

Ce n'est pas une affaire pour lui, cela se voit à sa mollesse. En digne élève de Maigret, il aime les enquêtes où on fonce avec plus d'opiniâtreté et parfois de brutalité que de finesse. En outre, cette atmosphère de Moret en été l'amollit. Pour un peu, il passerait toutes ses journées sur la terrasse, en manches de chemise, à fumer des pipes et à boire du petit vin du pays.

— Je me demande, soupire Emile, ce qu'on peut faire disparaître dans l'herbe... Et je suis curieux de voir si, demain, cette veuve au triste regard explorera le même bout de terrain ou si, au contraire, elle changera le champ de ses recherches...

Le garçon de bureau de l'Agence O, Barbet, arrive un peu plus tard. Il a reçu par téléphone des instructions détaillées et il n'a pas l'air de reconnaître les deux hommes. Par contre, à neuf heures du soir, il a engagé avec le journaliste anglais d'interminables parties de billard russe et on se demande avec angoisse lequel des deux hommes succombera le premier aux quantités d'alcool qu'ils ingurgitent.

— Pourvu, remarque Emile, que notre ami Norton soit assez ivre.

— Pourquoi? Vous croyez qu'il parlera?

— Non, mais il pourrait frapper, et ces Anglais font presque tous de la boxe. Or, comme je connais Barbet, il ne résistera pas longtemps au désir de faire l'inventaire des poches de son nouveau compagnon...

Une heure plus tard, Torrence et Emile sont couchés dans la mansarde que leur a cédée la bonne. Emile finit par accepter le lit de fer, trop exigu, d'ailleurs, pour le volumineux Torrence, et celui-ci est installé à même le plancher.

Deux heures plus tard — Emile ronfle depuis longtemps — Torrence appelle à mi-voix:

— Patron... Hé! Patron...

— Il est déjà l'heure?

— Mais non... Chut... Surtout, ne marchez pas... Ne faites pas grincer votre lit... Attendez que je regarde l'heure... Une heure et demie du matin... Eh bien! Il y a des gens qui parlent juste au-dessous de ma tête... Je me demandais ce qui m'empêchait de dormir... Je me disais toujours que ça allait finir... Voilà maintenant deux heures que cela dure... Vous trouvez ça naturel, vous?

— Qui est-ce qui occupe la chambre en dessous de notre mansarde?

— Mais... Tonnerre de Dieu!... Vous avez raison... c'est cette veuve dont vous m'avez parlé pendant tout le temps du dîner... Cette Mme Séquaris... Avec qui peut-elle bien converser la nuit pendant des heures?... Surtout elle qui, pendant la journée, n'adresse la parole à personne?

Quand, le lendemain matin, par un soleil radieux, les deux hommes prennent leur petit déjeuner sur la terrasse que le patron est en train d'arroser en prévision de la poussière, ils ont la surprise d'apercevoir, en face d'eux, Barbet qui boit son café au lait et qui exhibe un magnifique œil au beurre noir et un nez tuméfié.

— Qu'est-ce que je vous avais dit, patron?

Un vélo est prêt au bord du trottoir. Barbet le désigne discrètement. Il vient de le louer. Il a été décidé que, quand il aurait à communiquer avec ses patrons, Il leur donnerait rendez-vous à un des carrefours de la forêt.

C'est. Torrence qui s'y rend avec la petite auto. Quant à Emile, il préfère se promener au bord de l'eau.

Il ne tarde pas à rencontrer Mme Séquaris, plus digne et plus triste que jamais, examinant comme la veille les brins d'herbe à ses pieds.

Mais ce n'est plus à la même place. C'est immédiatement après l'endroit inspecté la veille, comme si elle avait divisé la berge en secteurs et comme si, chaque jour, elle se donnait pour tâche d'explorer un de ces secteurs.

III

Où un gentleman disparaît mystérieusement au moment

même où ses confidences donnent un résultat

Emile était rentré à Moret. Il parcourait le village en attendant l'heure du déjeuner et Torrence n'était toujours pas revenu. Au fait, qu'est-ce qu'il y avait de changé, ce matin-là, dans l'aspect d'une rue déjà familière? Il y a des moments, comme ça, où quelque chose vous choque et où vous êtes incapable de dire quoi.

Un quart d'heure s'était bien écoulé et Emile pensait à autre chose, quand il se frappa le front.