— C'est bien... déclare-t-elle. Que désirez-vous savoir?
— Comment avez-vous connu Raphaël Parain?
— C'était mon oncle... Notre famille a toujours été assez vagabonde... Mon oncle, dès sa jeunesse, est parti pour le Pacifique et il s'y est si bien acclimaté qu'il n'est jamais revenu en France... sauf pour y mourir...
— C'était celui des deux Parain qui avait une maladie de foie?
— C'était l'autre... Mon oncle, qui n'a jamais commis aucun excès, était aussi solide qu'un jeune homme... Il menait là-bas une existence paisible de petit rentier dans sa maison du bord du lagon... Quant à moi, j'ai épousé un colonial aussi... Nous avons vécu longtemps en Amérique du Sud... Lorsque je me suis trouvée veuve, je suis allée rejoindre mon oncle, qui m'a accueillie...
Pourquoi Emile éprouve-t-il le besoin de se tourner vers Torrence et de murmurer:
— Vous voyez comme c'est simple!...
— J'en arrive, explique la jeune femme, à cette odieuse histoire de perles... Je voudrais que ces perles n'aient jamais été découvertes... Dieu sait si c'est ancien!... Cela date de plus de trente ans... Mon oncle venait d'arriver à Tahiti... Il travaillait avec un ami, un Français, né à Carcassonne, un nommé Hutois, à une plantation de cocotiers... Un jour qu'ils étaient dans les rochers, sur la rive sud de l'île, le hasard leur a fait découvrir, dans une anfractuosité, un tout petit paquet... Mais ce petit paquet avait une valeur énorme... Il contenait, en effet, une centaine de perles de toute beauté...
— Les voici...
— Oui... Je m'en doute... Mon oncle et son ami ont commis une première faute... Ces perles avaient été cachées là par qui?... Par un indigène qui les avait volées dans une pêcherie?... Par quelque aventurier?... De toute façon, ils étaient tenus d'en faire la déclaration et ils ne l'ont pas faite... Hutois a proposé de venir en Europe et de négocier ces joyaux...
— Votre oncle a accepté cette combinaison?
— Mon oncle était assez naïf à cette époque... Depuis, il n'a jamais eu de nouvelles de Hutois... Tout au moins jusqu'à ces tout derniers temps... Comme je vous l'ai dit, il s'est organisé là-bas une vie tranquille, confortable, exempte de soucis... Son seul vrai souci, en somme, c'était moi qui le lui apportais, car il était inquiet pour mon avenir...
— Quand a-t-il reçu la lettre? Questionne Emile, qui ne perd pas le fil de ses idées.
Elle le regarde avec étonnement.
— Vous connaissez donc l'histoire?... Il y a trois mois, mon oncle a reçu une lettre, en effet, écrite par son ancien complice, si je puis employer ce mot... Celui-ci se repentait de ce qu'il avait fait... Contrairement à ce qu'on aurait pu attendre de lui, une fois en Europe, il n'avait pas vendu les perles pour mener la grande vie... Au contraire, il avait été la proie d'une sorte d'avarice, peut-être doublée de peur... Toujours est-il qu'il vivait modestement à la campagne, à moins d'un kilomètre de Moret, et qu'il se contentait de vendre une perle de temps en temps pour subvenir à ses besoins... Dans les derniers mois, se sentant malade, il avait décidé de soulager sa conscience... Il suppliait mon oncle de lui pardonner... Il lui annonçait qu'il allait mourir, mais qu'il laissait un message pour lui à son confesseur, le curé de Moret...
— Voilà, déclara Emile avec assurance, l'explication des deux Raphaël Parain...
» Dans sa lettre, Hutois disait: « II vous suffira de vous présenter à mon confesseur et de lui dire que vous êtes Raphaël Parain, de Carcassonne... J'ai donné, à tout hasard, le nom de ma ville natale... Ce bon prêtre vous dira, sans savoir de quoi il s'agit, où vous trouverez les perles... Encore une fois, il ne sait pas de quoi il s'agit et je lui ai parlé sous le sceau de la confession… »
— Où avez-vous connu Norton? Questionna Emile.
— A Tahiti...
— Il fréquentait chez votre oncle?
— Oui... Il me faisait la cour et...
— Il a jeté un coup d'œil sur cette lettre?
-- Je l'ai toujours pensé...
Alors Emile se tourna vers le commissaire et vers Torrence:
— Voilà, messieurs, l'explication toute simple d'une affaire qui paraissait insoluble...
Pourquoi s'interrompit-il pour ajouter, sans la moindre trace d'ironie, il est vrai:
— C'est mon patron, M. Torrence, qui, dès le début, en a flairé la solution... Parain, à Tahiti, apprend qu'il peut récupérer les perles qu'il croyait perdues... Il a maintenant une nièce à charge... Il s'embarque avec elle pour la France... Ce qui l'inquiète, c'est que certain journaliste anglais, qui devait sans doute suivre une autre route, s'embarque avec lui, et Parain se demande si cet homme n'a pas surpris son secret...
» Pendant toute la traversée, il vit dans sa cabine en prétendant une mauvaise santé... A Panama, il envoie sa nièce au-devant de lui par un autre bateau...
— C'est exact... fait Mme Séquaris.
— Quant à Norton, qui, en effet, a lu la fameuse lettre, il a conçu un plan qu'il croit parfait... Il s'assure de la complicité d'un homme de soixante-cinq ans environ, sans doute d'un compatriote qu'il rencontre au cours d'une escale... Cet homme doit arriver à Moret quelques heures avant le vieillard et voir le prêtre, qui ne connaît pas Parain, en lui déclarant qu'il est le nommé Raphaël Parain, de Carcassonne...
» Il suffit de retarder quelque peu le vrai Parain en route... Quelques minutes suffisent... Je ne sais pas comment Norton s'y est pris, mais...
— Je peux vous le dire, intervient la jeune femme. J'ignore pourquoi mon oncle se méfiait de Norton. Ils devaient voyager ensemble. Norton avait raconté qu'il avait de la famille dans la forêt de Fontainebleau... A Marseille, mon oncle a pris l'avion d'Air-France pour Paris, et, de là, il est venu par le train... Les deux Parain, le faux et le vrai, sont arrivés à Moret à quelques minutes d'intervalle, mais, quand le faux Parain s'est présenté à la cure, mon oncle en sortait... Je l'attendais dehors... Il a aperçu Norton qui tentait de se cacher... Il m'a dit:
» — S'il m'arrivait quelque chose, il vaut mieux que tu sois au courant... Sur la berge du Loing, entre un pieu que tu trouveras en aval du vieux pont de pierre et ce vieux pont, les perles sont enterrées dans un tube de plomb... Il y a trois tubes... C'est celui du milieu qui contient le trésor...
— Voilà, messieurs, conclut Emile. La nuit même, Norton, qui n'avait pas encore pris pension dans le pays et qui était donc inconnu, étranglait les deux vieillards, se débarrassant ainsi du vrai Parain et du faux...
» Il se croyait en sûreté... Il revenait le lendemain comme journaliste et n'attirait pas les soupçons...
» Il voulait, coûte que coûte, retrouver les perles... » Il suivait Mme Séquaris du matin au soir...
» Le moment venu, il était bien décidé à...
— C'est ce qui est arrivé, dit-elle. Je cherchais, chaque jour. Je fouillais la berge. Je ne pouvais que le faire superficiellement, pour ne pas attirer l'attention... Hier, j'ai découvert un morceau de tuyau de plomb, et, cette nuit, Norton a fait irruption dans ma chambre...
» Il voulait partager avec moi... Il a été cynique, menaçant... Je ne savais comment m'en débarrasser... J'avais préparé, sur ma table de nuit, une potion somnifère, car ces derniers temps, à la suite de tous ces drames, j'avais le sommeil difficile... Effrayée, me sentant sans défense, j'ai rusé... Je lui ai laissé croire... Puis je lui ai offert un grog... J'ai triplé la dose de somnifère... Je ne croyais pas le tuer... Il avait déjà beaucoup bu...