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Soudain... Ce fut rapidement, habilement fait. Elle achetait des fleurs à une petite marchande installée avec son panier à l'entrée du métro. Elle paraissait fort occupée à chercher de la monnaie dans son sac. Au moment où l'on s'y attendait le moins, elle se précipita dans l'escalier.

Emile voulut se précipiter à son tour. Quelqu'un le heurta. L'homme au chapeau melon. Le choc leur fit perdre quelques secondes à l'un et à l'autre...

Quand ils atteignirent, presque ensemble, le guichet, la jeune femme n'était plus en vue et le portillon se referma avant leur arrivée sur le quai.

La déconvenue de l'homme au melon fut plutôt comique et il lança à Emile un regard furieux, tandis que ses lèvres remuaient. Sans doute se soulageait-il en grommelant une injure à voix basse?

« Tant pis pour toi, mon bonhomme, se dit Emile. Puisque je l'ai perdue, elle, je me raccroche à ta moins séduisante personne. »

L'homme ne prit d'ailleurs pas le métro, ce qui prouvait qu'il n'y était entré que pour suivre l'inconnue. Il remonta place de l'Opéra et sauta sur un autobus en marche. Emile eut la chance de trouver au même instant un taxi vide.

— Suivez cet autobus...

L'homme descendit à l'Odéon et il pénétrait un peu plus tard dans un restaurant étranger de la rue Monsieur-le-Prince. C'était un de ces petits restaurants d'habitués où l'arrivée d'un inconnu n'a aucune chance de passer inaperçue. En face, il y avait un marchand de vin. Emile entra, téléphona à l'Agence O et donna ordre à Barbet de venir le rejoindre de toute urgence. Barbet, que certains appelaient le chien fidèle de l'Agence O, arrivait un peu plus tard.

— Dans le restaurant d'en face, il y a un homme d'une quarantaine d'années, très noir de cheveux, aux yeux sombres, aux épais sourcils. Il est petit et assez gros. Enfin, il est vêtu d'un complet noir et coiffé d'un chapeau melon. A toi d'en apprendre davantage.

Barbet ne demandait jamais la raison d'une consigne et il se contenta d'adresser un clin d'œil à son patron.

— Le grand jeu? Questionna-t-il pourtant.

Car Barbet avait été longtemps voleur à la tire et il ne lui déplaisait pas, quand il effectuait une filature, d'examiner d'assez près le contenu des poches de son client.

Au lieu de lui répondre nettement, Emile se contenta de hausser les épaules, ce qui était moins compromettant.

Un quart d'heure plus tard, un taxi déposait Emile en, face du 22 de la rue Blomet. C'était une maison meublées

— C'est pour longtemps? Questionna la femme aux cheveux de filasse et à la molle poitrine qui paraissait être la propriétaire du meublé.

— Cela dépendra... J'arrive seulement à Paris... Je suis à la recherche d'amis qui doivent déjà s'y trouver... C'est l'un d'eux qui m'a donné l'adresse de votre maison...

— Comment s'appelle-t-il?

Zut! Que lui répondre?

— Gérard... Gérard Vauquier...

— Nous n'avons pas ça ici... Nos chambres sont surtout occupées par des étrangers, des étudiants pour la plupart...

— Et des étudiantes, sans doute?

— Il y en a quelques-unes...

— A quel étage auriez-vous une chambre libre?

— Je ne sais même pas si j'en ai en ce moment... Olga!... Olga!...

Une femme de chambre ne tarda pas à paraître, s'essuyant les mains à son tablier.

— Qu'est-ce que c'est, madame?

— Est-ce que M. Charles a déjà fait prendre ses bagages?

— Oui, madame... On est venu ce matin...

— La chambre est prête?

— Je n'ai plus que le lit à faire...

Elle se tourna vers Emile.

— Dans ce cas, j'aurais une chambre au quatrième... C'est cinq cents francs par mois, payables d'avance.

— Vous n'avez rien de libre au troisième?

— Le troisième ou le quatrième, c'est pareil... Toutes les chambres sont les mêmes... Electricité, eau courante... par exemple, il est interdit de laver le linge dans les toilettes et de brancher des fers à repasser sur la lumière.

— Je puis vous promettre que...

— Vous montez tout de suite?

— Je voudrais auparavant examiner la liste de vos locataires... Je suis à peu près sûr qu'un ou l'autre de mes amis est descendu ici et... Coriace, la dame aux seins mous et aux cheveux d'étoupe !

— Je vous ai déjà dit que nous n'avons pas de Vauquier... Olga! Montrez à Monsieur le 17...

Il n'y avait pas d'ascenseur. La maison était vieille, l'escalier étroit, couvert d'un tapis rougeâtre, très usé. Si on n'avait pas le droit de laver son linge dans les chambres, des locataires devaient néanmoins faire leur cuisine, car cela sentait le réchaud à alcool et la côtelette.

Pas déplaisante, Olga, dans sa robe noire qu'égayait un tablier blanc.

— Quand est-ce que vous apporterez vos affaires?

— A vrai dire, je voudrais avant tout me reposer une heure ou deux. J'ai voyagé toute la nuit et j'aimerais m'étendre avant d'aller reprendre mes bagages à la consigne... Mon Dieu, on ne peut pas dire que la vue soit très jolie...

La chambre 17, en effet, donnait uniquement sur des toits et sur des cours étroites comme des cheminées.

— Pour cinq cents francs, on ne peut pas vous donner la vue sur l'Arc de Triomphe ou sur la mer...

La chambre meublée la plus banale qui soit. Un lit de fer. Un linoléum d'une teinte indécise. Un paravent pour cacher la toilette et le bidet. Sur la cheminée, un faux bronze et deux chandeliers.

— Si vous voulez payer...

Tant pis! C'était cher, mais il fallait y passer, et la curiosité d'Emile était piquée au vif. Il versa les cinq cents francs, plus un billet de cinquante francs destiné à amadouer Olga.

— Attendez que je fasse votre lit...

Elle alla prendre des draps et une taie d'oreiller dans un placard qui se trouvait au fond du couloir. Quelques instants plus tard, Emile était seul.

A deux heures de l'après-midi, Emile était toujours rue Blomet et il n'avait pas pris la peine de déjeuner.

Dire qu'il était calme serait exagéré. Il s'était lancé tête baissée dans une aventure et il s'obstinait à découvrir quelque chose alors que, selon toute vraisemblance, il n'y avait rien à découvrir.

Il avait déjà fait un certain nombre d'excursions dans les couloirs du meublé. L'heure de midi était favorable, car la plupart des locataires devaient manger au restaurant. Il remarqua que nombre d'entre eux ne fermaient pas leur porte à clé, ce qui lui permit d'entrer dans plusieurs chambres.

Cela lui rappela le temps où il vivait en meublé, lui aussi. Les photos glissées dans le cadre des glaces, beaucoup de photos de femmes, mais aussi des portraits de parents. Sur certaines tables, des cours de droit, ou des livres de médecine. La patronne n'avait pas menti: la maison était surtout habitée par des étudiants.

De grosses valises portant des étiquettes étrangères. Des pardessus râpés aux portemanteaux, des chapeaux fatigués. Plusieurs fois, dans les garde-robes, au lieu de trouver des vêtements, il trouva des restes de fromage ou de saucisson, des quignons de pain, une orange, une banane.

Pourtant, une chose était certaine: la jeune femme du boulevard Montmartre avait nettement transmis le message: 22, rue Blomet... Troisième étage...

Elle ne pouvait avoir (transmis ce message qu'à quelqu'un se trouvant, comme elle, à la terrasse et même assez près d'elle.

Quand on se donne la peine d'employer le morse au lieu d'un langage plus aisé, c'est qu'on a des raisons de croire qu'on est surveillé.

D'où cette conclusion d'Emile:

La dame voulait faire connaître à quelqu'un une nouvelle importante à l'insu d'une tierce personne qui la surveillait.