Or, Emile avait tout au moins une certitude: c'est que l'homme au chapeau melon, qui l'avait prise en filature, n'était pas installé à la terrasse du café. Donc, ce n'était pas à lui que le message était destiné.
— Oh! Pardon... Excusez-moi, madame...
Il avait à tout hasard frappé à une porte, au troisième étage. Une voix à l'accent étranger très prononcé l'avait invité à entrer. Et il se trouvait en présence d'une jeune fille qui mangeait des croissants tout en potassant ses cours devant une petite table.
— Je suis désolé de vous déranger. Je suis un nouveau locataire et je m'aperçois que j'ai oublié mes allumettes...
Elle se leva sans se troubler et prit une boîte d'allumettes sur la cheminée tout en questionnant:
— Quelle faculté?
— Je... Je ne suis pas étudiant... Je suis à Paris pour travailler et c'est par hasard que...
— Ah!
Il sentit bien que, du moment qu'il n'était pas étudiant comme elle, il ne l'intéressait plus.
— Je vous rapporterai vos allumettes tout à l'heure...
— Vous pouvez les garder... J'ai un briquet...
Elle ne se doutait pas, cette excellente jeune fille — elle devait être Roumaine, autant qu'Emile put en juger — que son voisin, si elle n'avait pas été chez elle, ne se serait fait aucun scrupule d'examiner sa chambre de fond en comble.
— Voyons, raisonnait Emile un peu plus tard. Il y a cinq chambres par étage... La dame au talon éloquent a expressément désigné le troisième... J'ai déjà visité deux chambres de cet étage et...
Au fond du corridor, il y avait une porte qui n'était marquée d'aucun numéro. Emile se souvint que la porte correspondante, à l'étage supérieur, était celle d'un placard où Olga avait pris le linge qui lui était destiné. Il essaya d'ouvrir, à tout hasard. La porte était fermée à clé.
Il grimpa au quatrième. Il constata que la porte du placard, si elle avait une clé sur la serrure, n'était pas fermée.
— Essayons toujours...
Il avait faim. Il se disait:
— Si, dans un quart d'heure, je n'ai rien découvert, j'abandonne... Tant pis pour mes cinq cents francs!... Ou plutôt pour mes cinq cent cinquante francs...
Si Emile n'était pas trop embarrassé par une porte fermée, c'est que Barbet, grâce à ses mauvais antécédents, avait pu lui donner de précieuses leçons. Avec une dextérité de cambrioleur, il se servit d'un joli passe-partout nickelé qu'il avait toujours en poche et la porte du placard céda aussitôt.
— Hé! là... protesta machinalement Emile en essayant de reculer.
Il venait en effet de recevoir dans ses bras un corps inerte.
Au cri qu'il avait poussé, la jeune étudiante était sortie de sa chambre et elle questionnait, un demi-croissant à la main:
— Qu'est-ce que vous faites?
— Comme vous voyez... J'essaie de me dégager de...
Il parvint à étendre le corps sur le plancher. L'étudiante n'était pas une femmelette sensible, car elle s'approcha tranquillement se pencha sur le visage:
— Tiens... C'est M. Saft!... Qu'est-ce qu'il faisait dans le placard aux balais?...
En effet, dans le placard ouvert, on voyait encore des balais et des seaux.
— On dirait qu'il est mort... poursuivait-elle.
— Il est déjà froid... grogna Emile.
— Vous n'appelez pas la police?... Pauvre M. Saft!...
— Vous le connaissiez?
— De vue... Il occupait la chambre à côté de la mienne... Je me demande pourquoi on l'a mis dans ce placard... De quoi est-il mort?...
Une large plaie à la poitrine expliquait clairement que M. Saft était mort d'un coup de couteau.
— Dites-moi, mademoiselle... Cet homme paraît trente-cinq ans... Je suppose donc que ce n'était pas un étudiant...
— Je ne sais pas...
— Il y a longtemps qu'il habitait cette maison?
— Peut-être deux mois?... Si je le connais un tout petit peu, c'est qu'il est venu une fois ou deux, comme vous, frapper à ma porte pour me demander des allumettes...
— Il recevait beaucoup?
— Vous ne pensez pas, répéta-t-elle, que vous feriez mieux d'appeler la police?
— Cela ne vous dérangerait pas trop de le faire?
Elle hésita. La preuve qu'elle se méfiait quand même du nouveau locataire qui faisait, dès son arrivée, des découvertes aussi extraordinaires, c'est qu'elle ferma sa porte à clé avant de descendre.
Cela donna à Emile le temps de fouiller les poches de M. Saft. Il n'y trouva pas de portefeuille. Rien que des choses banales, un paquet de cigarettes, des allumettes, un mouchoir et trois bouts de crayons.
Olga gravissait les marches quatre à quatre.
— Qu'est-ce qu'elle raconte?... M. Saft a été...
— assassiné, oui, mademoiselle...
— Comment se fait-il que vous ayez ouvert ce placard?
— Pourquoi me demandez-vous ça? Etait-il d'habitude fermé à clé?
— Jamais... Justement!... Tout à l'heure, en faisant mes chambres, j'ai voulu l'ouvrir pour prendre un balai... La porte était fermée et la clé n'était pas sur la serrure... J'ai pensé qu'un de ces messieurs avait voulu me faire une farce... Cela leur arrive assez souvent de me jouer des tours... Je suis allée prendre un balai au premier et je n'y pensais déjà plus...
— M. Saft recevait-il parfois quelqu'un pour la nuit?
— La patronne ne le permettrait pas... La maison est sérieuse et...
— De la journée, recevait-il des amis?
— C'est peut-être arrivé... Je ne sais pas... De jour, on ne fait pas attention... Ça va, ça vient...
La patronne montait à son tour, les chairs tremblantes comme de la gélatine, en compagnie d'un sergent de ville et de la petite étudiante, qui n'avait pas lâché son croissant.
— Ainsi, vous prétendez qu'il est mort... grommela comiquement l'agent, les mains sur son ceinturon.
— Vous pouvez vous en assurer vous-même...
— Ce que je voudrais bien savoir, jeune homme, c'est de quel droit vous l'avez sorti de ce placard... Vous savez cependant que, dans des cas semblables, il est absolument interdit de...
— Il est tombé sur moi, murmura Emile
— Tiens! Tiens! Il est tombé sur vous! Et autrement, qu'alliez-vous faire dans ce placard? Vous faites partie du personnel de la maison?
— Si cela vous est égal, sergent, je répondrai à ces messieurs de la Police judiciaire, que je vous conseille vivement d'avertir au plus tôt...
— Un instant!... Des fois que vous voudriez en profiter pour vous éloigner...
Emile dut le suivre dans le bureau de l'hôtel et, pendant qu'il téléphonait à ses chefs, l'agent le tenait gravement àl’œil, tressaillait chaque fois qu'Emile faisait un mouvement.
— Je vous prie, en attendant que ces messieurs arrivent, de vous considérer comme prisonnier... Et d'abord, vos papiers... Que je sache si vous avez seulement des papiers en règle...
Bien entendu, comme la plupart des honnêtes gens, Emile n'avait pas une pièce d'identité sur lui. Et il eut de la peine à obtenir qu'en attendant l'arrivée de la PJ Olga allât lui chercher un sandwich chez un traiteur du quartier.
— Vous me permettrez bien de donner un coup de téléphone?
— A qui?
— A l'Agence O...
— Ha! Ha! Vous avez donc besoin de vous défendre, que vous faites déjà appel à l'Agence O?...
Emile put téléphoner. Torrence était par hasard au bureau.
— Barbet n'est pas rentré? Il n'a envoyé aucun message? Bon! Ecoutez, patron. Il faudrait que vous veniez à toute vitesse au 22, rue Blomet. Oui... Si c'est important?... C'est-à-dire que, si vous n'êtes pas ici dans quelques minutes, je risque fort d'aller passer la nuit au Dépôt...