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— Vous permettez?

Le personnage disparut derrière une porte matelassée et le silence régna une heure encore. Quand la porte s'ouvrit à nouveau, ils étaient deux messieurs taillés à peu près sur le même modèle, sauf qu'un des deux, qui paraissait le plus Important, ne portait cependant qu'un veston noir bordé de soie avec son pantalon rayé.

— Je crois, monsieur... Pardon... J'ignore votre nom...

— Emile...

— Je crois, monsieur Emile, qu'il s'agit d'une affaire très banale et que la Justice ne s'en occupera pas longtemps... Je suppose que l'Agence O est capable de se montrer discrète... Qu'il me suffira donc de vous dire, comme je vais le confirmer par un coup de téléphone au Parquet, que M. Saft est un policier polonais...

» Surtout n'allez pas croire à une histoire d'espionnage ou à je ne sais quelles besognes plus ou moins diplomatiques...

» M. Saft appartenait à la Section criminelle de la police de Varsovie. Ce n'était pas un personnage de premier plan. Il a été envoyé ici en mission, sans doute pour suivre la piste de malfaiteurs quelconques. Si on nous a avisés de son existence, c'est simplement parce qu'il recevait son courrier et envoyait le sien par notre intermédiaire.

» C'est tout, monsieur... monsieur Emile, avez-vous dit? Il ne me reste qu'à vous remercier de votre communication...

Emile n'était pas particulièrement fier pendant qu'un huissier majestueux le reconduisait à travers les couloirs de l'ambassade, et, dans la rue, il se trouva tout penaud.

— Autrement dit, traduisit-il en bon français: « Mêlez-vous de ce qui vous regarde, jeune homme... » Taxi!... Hep! Taxi... 22, rue Blomet...

Malgré les deux heures perdues à attendre, ces messieurs étaient encore sur les lieux, car on tenait à procéder sur place à un certain nombre d'interrogatoires. A son entrée, le substitut fronça les sourcils.

— D'où sortez-vous, vous? Questionna-t-il, car il avait donné l'ordre de ne laisser sortir personne.

— Je vous demande, pardon, monsieur le substitut... On ne vous a pas encore téléphoné?

— Pourquoi m'aurait-on téléphoné?

— Pour vous révéler l'identité de M. Saft... Je suis sûr que d'un instant à l'autre...

Au même moment, on appelait le magistrat à l'appareil. Quand il revint, il était soucieux et il regarda Emile d'une drôle de façon.

— Veuillez faire sortir tout le monde, monsieur le commissaire... Oui, y compris vos inspecteurs... Restez, jeune homme...

— Et moi? Questionna Torrence, ahuri.

— Ma foi, vous, vous pouvez rester... J'espère que l'Agence O se montrera discrète...

— Je l'ai déjà promis, affirma Emile.

— A qui?... Voilà justement ce que je me demande… Comment pouviez-vous savoir ce que le procureur général allait me téléphoner personnellement?

— Je vous demande pardon... Une idée qui est venue à M. Torrence, tout à l'heure... Comme il s'agissait d'un Polonais et qu'on ne savait rien de lui, il m'a dit comme ça:

» — Emile, allez donc demander à l'ambassade de Pologne si par hasard...

Quand les deux hommes quittèrent le meublé, la patronne courut après Emile:

— Je suppose, maintenant que je sais qui vous êtes, que vous ne gardez pas votre chambre?

— Mais si, madame... Mais si...

Et tout en marchant dans la rue, il expliqua, avec un certain embarras, il est vrai, à son compagnon Torrence:

— Il y a une certaine étudiante roumaine... Vous savez, patron, que les Roumaines sont vraiment de jolies femmes?

— Où allons-nous? grogna Torrence au lieu de répondre.

— Je ne sais pas...

— Quelle est cette mission que vous avez confiée à Barbet par téléphone?

— Suivre l'homme au chapeau melon... Contrairement à ce que j'ai déclaré à la police, je n'ai pas perdu sa trace et j'ai prié Barbet de continuer la filature... C'est le seul personnage de toute cette histoire que nous tenions à peu près...

» Retrouver la jeune femme, ce serait une chance inespérée. D'autant plus que je connais mieux ses souliers, que j'observais, et son dos, que je regardais en la suivant, que son visage... Je suis incapable de dire à quel milieu elle appartient... Une étrangère, probablement... Elle avait ce genre d'élégance toujours un peu agressive des étrangères, surtout à Paris, où elles veulent épater les Parisiennes...

Une femme du monde? Peut-être!... Une aventurière?... Vraiment, je ne sais pas...

— En tout cas, fit Torrence, comme si c'était une trouvaille, elle connaît le morse...

— Je vois fort bien une annonce dans les journaux, ironisa Emile: « On recherche jolie femme, probablement étrangère et peut-être aventurière, qui connaît le morse et porte des souliers en crocodile à talons très hauts et très pointus... » Blague à part, il y a un autre personnage que j'aimerais retrouver, mais ce n'est peut-être pas plus facile... Plus j'y réfléchis... Voyez-vous, patron, ce matin, je crois que j'ai fait la plus grosse gaffe de ma carrière...

Torrence le regarda avec étonnement.

— Qui avait le plus d'importance? Celle qui envoyait le message, ou celui qui le recevait?... Celle qui envoyait le message n'était peut-être qu'une comparse, une intermédiaire... Celui qui le recevait, au contraire... Il savait ce que cette adresse voulait dire, puisqu'il ne demandait pas d'explication... Donc, il savait qu'on devait tuer Saft... Peut-être en avait-il donné l'ordre?... On venait, en somme, lui rendre compte d'une mission... Cela vous ennuierait fort de m'offrir un demi, patron?... Figurez-vous que, malgré ce joli soleil, ces messieurs de l'ambassade laissent encore tous les radiateurs allumés... J'ai la gorge d'un sec...

Ils s'assirent à une terrasse du boulevard Saint-Michel, où ils étaient arrivés, en face du Luxembourg.

— Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce qu'il est toujours plus agréable de suivre une femme, je me suis élancé sur les pas de celle-ci en négligeant celui qui avait reçu le message... Et plus j'y pense... C'est drôle... Je revois la terrasse de ce matin aussi nettement qu'une photographie... Derrière moi, il y avait trois diamantaires qui discutaient de leur commerce... A la table voisine de la leur, une bonne femme de la province et son fils à qui elle montrait Paris pour la première fois... Je me souviens d'un bout de dialogue.

» — Ils en écrasent beaucoup? demandait l'enfant.

» — Peut-être cent par jour... D'ailleurs, tu verras peut-être un accident...

» Elle se doutait bien peu qu'elle côtoyait quelque chose de plus grave qu'un simple accident de la circulation...

» Où en étais-je?... Au vieux monsieur tout seul... Evidemment... L'air tellement petit rentier, tellement heureux de vivre encore à son âge et de déguster sa tasse de café dans un rayon de soleil!... Eh bien! Si c'était à refaire, c'est lui que je suivrais... Surtout parce qu'un détail me revient... Devant lui, sur le guéridon, il avait posé un journal et un porte-mine... Quelqu'un qui n'est pas très habitué à l'alphabet morse traduit mal au vol, risque en tout cas de perdre une partie du message ou de s'embrouiller... Tandis qu'en prenant note en marge de son journal...

Les journaux du soir annonçaient déjà la découverte du cadavre d'un inconnu dans un placard, rue Blomet, mais ils ne donnaient pas encore de détails.

— Et ils n'en donneront pas davantage demain, prévit Emile. Ils recevront sûrement la consigne de se taire... Si vous aviez vu mes deux messieurs de l'ambassade...

Il y avait trois brioches sur le guéridon et Emile les mangea toutes les trois, commanda un autre demi.

— En somme, c'est simple... Presque trop simple... M. Saft, policier polonais, suit des malfaiteurs à Paris... Il faut croire que l'affaire est importante, puisque voilà déjà deux mois qu'il y est... Et elle n'est pas banale, étant donné qu'il ne prend pas contact avec la police française, comme c'est l'habitude...