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— Passez-le-moi donc à l'appareil...

— Cabine N° 2.

A quelle impulsion Emile a-t-il obéi? Il serait bien incapable de le dire. C'est un principe, chez lui, de ne jamais contrarier un premier mouvement. Chaque fois qu'il l'a fait, en effet, il l'a regretté.

— Allô !... Allô !...

Tout en décrochant le récepteur, il ne perd pas de vue le hall du palace, qu'il aperçoit à travers le rectangle vitré de la porte de la cabine.

- Allô!... M. Gorskine?...

— Non, monsieur... Ici, c'est le standard... M. Gorskine ne répond pas... Je sonne encore...

Mais Emile n'écoute déjà plus. Il vient de bondir hors de la cabine et l'instant d'après il surgit devant une jeune fille qui demeure aussi interdite que si la foudre était tombée à ses pieds.

— Bonjour, mademoiselle Dora...

L'a-t-elle reconnu du premier coup? Son premier mouvement, en tout cas, est de se précipiter vers la porte, mais elle se rend compte qu'il lui est impossible d'échapper à l'importun. Elle s'efforce de reprendre ses esprits, de sourire.

— Il me semble que je vous ai déjà rencontré... murmure-t-elle, tandis que sa poitrine palpite encore sous le coup de l'émotion.

— Pas plus tard que ce matin, mademoiselle. Dans votre si charmante chambre d'étudiante, rue Blomet... Souvenez-vous... Vous mangiez des croissants tout en potassant vos cours...

C'est en effet la petite Roumaine du matin qui, venant de l'ascenseur, et par conséquent des étages supérieurs de l'hôtel, se dirigeait vers la sortie au moment où Emile téléphonait.

Elle fait encore un essai pour se libérer d'Emile.

— Vous m'excuserez, murmure-t-elle, mais je suis assez pressée et...

— Je suis persuadé, mademoiselle, que vous n'êtes pas si pressée que cela et que vous allez, au contraire, bavarder un moment avec moi...

— Par exemple!

— Qu'il me suffise de vous dire que, si vous sortez, un policier officiel ne manquera pas de vous accoster et de vous demander d'où vous venez...

Le bluff réussit. Elle écarquille les yeux.

— C'est impossible... murmure-t-elle.

— Vous en voulez la preuve?... Faites donc quelques pas dehors avec moi... Ou plutôt non... Venez seulement jusqu'à la porte... Ne vous montrez pas trop... Regardez dans le petit bar d'en face... Vous apercevez un homme au visage velu qui a le nez collé à la vitre et qui surveille la sortie de l'hôtel... Il a non seulement votre signalement, mais celui de la personne que vous êtes venue voir...

Brave Barbet! Il ne se doute pas du service qu'il vient de rendre à son patron.

— Mais vous? Questionne la jeune fille.

— Moi, c'est différent... Je n'appartiens pas à la police officielle, vous avez dû vous en rendre compte au moment de l'enquête, rue Blomet...

— Pourquoi êtes-vous ici?

— Et vous?

— Je suis venue...

Ses yeux sont pleins d'angoisse, ses doigts se crispent sur le fermoir en argent de son sac à main.

— Je suis venue voir... Mais de quel droit me demandez-vous ça?... Je suis une jeune fille... Mettons que j'aie une aventure... Croyez-vous qu'il soit charitable...

— Vous êtes sûre que c'est un homme que vous êtes venue voir?

Il a posé cette question à tout hasard et il sent qu'elle a porté. La jeune fille est beaucoup plus effrayée encore que précédemment.

— Laissez-moi, je vous en conjure!... Je n'ai rien fait de mal... Il faut que je m'en aille... Accompagnez-moi si vous voulez...

— Où?

— N'importe où...

Un mot de trop, mademoiselle! Si vous aviez eu l'idée de donner une adresse quelconque, Emile s'y serait peut-être laissé prendre et vous aurait suivie, tout en laissant Gorskine sous la surveillance de Barbet.

Mais il comprend maintenant que ce que vous voulez, ce qui importe avant tout, c'est de l'éloigner du Bristol...

— Asseyez-vous d'abord un instant, voulez-vous? fait Emile en désignant les profonds fauteuils disposés par-ci par-là dans le hall.

— Je vous en supplie!...

Trop tard! L'ascenseur qui va et vient sans cesse vient de s'arrêter une fois de plus au rez-de-chaussée. Une femme en sort, une petite mallette forte élégante à la main.

Emile l'a reconnue du premier coup d'oeil. C'est son inconnue du matin, celle-là même qui, à une terrasse des grands boulevards, lançait le fameux message en morse.

Au premier moment, elle n'a rien vu d'anormal. Le concierge se précipite déjà vers elle.

— Voici votre billet pour Amsterdam... Vos bagages sont enregistrés... J'appelle un taxi et...

A cet instant, elle aperçoit la petite Roumaine. Elle écarquille les yeux. L'autre essaie de lui faire comprendre qu'elle doit partir aussitôt.

— Bonjour, madame...

Emile s'est avancé. A vrai dire, il se fait un peu l'effet d'un chef d'orchestre qui serait débordé par le nombre d'instruments. II ne peut pas être partout à la fois. Il lui est impossible de surveiller en même temps la petite Roumaine, l'inconnue à la mallette et de s'occuper par surcroît du Gorskine qui ne répond pas au téléphone, mais qui paraît ne pas avoir quitté l'hôtel.

Comme le matin, il faut choisir vite, en essayant cette fois de ne pas se tromper, de suivre la bonne piste.

Est-ce que cette mallette constitue la bonne piste? Est-ce que ce n'est qu'un banal nécessaire de toilette? Qui sait si elle n'est pas là pour détourner l'attention et...

— Pardon, monsieur, mais le train va partir et je ne vois pas ce que vous...

S'il était de la police régulière, il pourrait l'emmener au commissariat, s'assurer que la mallette ne contient pas ce que...

Comme pour mettre le comble à son embarras, l'ascenseur s'arrête à nouveau, après être parti vers les étages supérieurs. Et cette fois, c'est Gorskine qui en sort, en costume de voyage, une valise à la main. Il a eu un mouvement pour se précipiter vers le bureau de la réception, comme un voyageur qui vient de décider brusquement de partir et qui réclame sa note de toute urgence. Son regard rencontre la jeune femme inconnue, puis Emile.

Il s'arrête net, au milieu du hall.

— Vous partez? lui demande le concierge en s'emparant de sa valise.

— C'est-à-dire... Je ne sais pas encore...

Tout cela s'est passé en quelques secondes, dans le va-et-vient d'un hall de palace. Nul ne s'est aperçu de quelque chose d'anormal. Un peu partout, autour du groupe, des gens se rencontrent, s'interpellent, se réunissent ou se quittent de la même manière.

Emile se sent maître du jeu, à condition de ne pas commettre la moindre faute. Dix solutions au moins s'offrent à lui et il sait, il sent qu'il n'y en a qu'une de bonne.

C'est pour des minutes comme celle-là qu'il a renoncé à la marine et à toutes les professions imaginables, pour devenir la cheville ouvrière de l'Agence O.

Il se penche vers l'inconnue; décidément, c'est elle qu'il choisit. D'un geste qui paraît naturel, d'un geste qui a l'air d'une simple galanterie, il saisit la poignée de la mallette.

— Vous permettez que je vous débarrasse?...

Et, plus bas:

— Il y a une demi-douzaine de policiers dehors... Serge Gorskine n'a pas hésité beaucoup plus longtemps que lui. Il s'approche à son tour.

— Pardon, dit-il avec un assez fort accent. Cette dame est avec moi et, si vous le permettez...

Il veut se saisir de la mallette. Emile ne fait qu'un bond. Tant pis, cette fois, si l'un ou l'autre des personnages lui échappe. Sur sa droite, une porte à vitre dépolie porte le mot « Direction ». C'est là, Emile le sait, que se trouve l'immense coffre-fort de l'hôtel où les voyageurs peuvent louer une case.

Il est entré en coup de vent, laissant les autres pantois.