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» Voilà pourquoi le Gouvernement polonais a gardé le silence et a chargé deux de ses meilleurs policiers de se mettre discrètement en chasse... Les vrais noms de ces policiers nous importent peu... Ils sont arrivés, sous les noms de Saft et de Gorskine, à Paris, où ils avaient certaines raisons de croire que le vieil Isaac se cacherait...

Emile avait l'air de sourire aux anges. Ce qu'on lui révélait maintenant, en effet, il aurait pu le raconter. S'il avait ouvert la valise, il aurait tout compris et, pour le reste, il en savait davantage que l'homme de l'ambassade.

— Ce qui est incompréhensible, c'est que l'Agence O... Puis-je vous demander, monsieur Emile, de combien vous disposez d'agents?

— Nous sommes trois... répond modestement Emile.

— Voulez-vous nous dire ce que vous avez découvert?

— Avec plaisir... Quoique tout le mérite en revienne à mon patron, l'ex-inspecteur Torrence, qui a appartenu longtemps à la Police judiciaire... Vous voyez, monsieur le substitut, que je rends à nos institutions les honneurs qui leur sont dus... L'Agence O, donc, a découvert que le vieil Isaac était beaucoup trop malin pour se servir de ce que nous appellerons la planche à billets alors qu'il avait des policiers polonais à ses trousses... La bande s'est donc éparpillée dans Paris... Par prudence, les membres de cette bande, quand ils avaient à communiquer entre eux, ne se parlaient pas, n'avaient aucun contact visible, mais se contentaient de messages en morse...

— Comment n'avez-vous pas découvert ça, Gorskine? demanda sévèrement le personnage de l'ambassade.

— Je vous demande pardon, monsieur le conseiller, mais je n'ai jamais appris l'alphabet morse...

— M. Gorskine a fort bien travaillé, se hâta d'intervenir Emile. La preuve, c'est que, voilà trois jours, il est venu s'installer au Bristol, dans la chambre voisine de celle d'une jeune femme... Cette jeune femme était la personne qui détenait les fameuses matrices... Gorskine a avisé son collègue Saft... Le soir même, tandis que Gorskine faisait le guet dans le couloir — la jeune femme était sortie — Saft, de la chambre de son ami, passait par la fenêtre et, en marchant sur un rebord de brique, dans la chambre de l'inconnue, et s'emparait des plaques de cuivre...

— C'est exact, Gorskine?

— Tout à fait exact...

— Le matin, la bande découvrait le vol, si on peut employer ce mot, et un homme de main n'hésitait pas à tuer Saft dans sa chambre de la rue Blomet et à reprendre les cuivres en question... Par précaution, ils ne furent pas rapportés ici, ni même sortis de la maison de la rue Blomet, mais cachés dans la chambre d'une jeune fille qui habite cet hôtel et qui appartient à la bande...

Cette fois, Gorskine protesta.

— Non! C'est une véritable étudiante...

— Dans ce cas, elle connaissait votre voisine... Celle-ci lui a demandé de lui rendre ce service... Ensuite, il fallait faire vite, quitter la France, où le terrain devenait trop brûlant... Par l'intermédiaire de votre voisine, le vieil Isaac, à sa terrasse de café, est mis au courant du résultat de l'expédition... Il sait que les cuivres sont au troisième étage de la rue Blomet... La police est mise en branle... Ma visite à l'ambassade ne passe sans doute pas inaperçue...

» Cette fuite... Puis-je vous demander, monsieur Gorskine, pourquoi, lorsque je vous ai téléphoné tout à l'heure dans votre chambre, alors que le concierge affirmait que vous y étiez, vous n'avez pas répondu à mon appel?

— C'est très simple... J'étais dans le couloir, à écouter la conversation des deux femmes dans la chambre voisine... J'ai bien entendu la sonnerie, mais je ne pouvais abandonner la surveillance...

— Je vous remercie... C'était le seul point obscur... Le vieil Isaac décide donc la fuite générale... Rassemblement à Amsterdam... Mais il est impossible d'aller reprendre les cuivres rue Blomet, où la police monte la garde... La jeune Roumaine est priée d'apporter ici le petit colis... Les places sont retenues dans l'Etoile-du-Nord... Quant à celui des complices qui risque le plus, celui qui a tué Saft d'un coup de couteau, je suppose que c'est lui qui a joué à la gare le rôle de la femme malade...

» J'étais dans la cabine téléphonique quand j'ai vu descendre la jeune étudiante de la rue Blomet... Quelques instants plus tard... C'est vraiment si simple, messieurs.

— N'empêche que, pour une question de secondes, je perds la prime, soupire Gorskine. J'avais tout entendu, là-haut. Je savais que la jeune femme prenait le train à la Gare du Nord et emportait la mallette... Je me précipitais derrière elle... Je lui aurais arraché cette mallette sur le quai de la gare et... Quelques secondes, je le répète!... Cent mille zlotys!...

— Qui sait, murmure Emile, si, sur le quai de la gare, vous auriez retrouvé cette mallette?... N'oubliez pas qu'il y a deux mois que vous êtes sur cette piste et que...

C'est qu'Emile se souvient du peu d'enthousiasme de Torrence pour cette affaire, qui, selon lui, ne devait rien rapporter, sinon des ennuis.

Or voilà qu'en deux jours l'Agence O encaisse cent mille zlotys. A combien, au fait, est maintenant le zloty? Sept francs? Huit francs?...

— Vous comprendrez maintenant, messieurs, que le secret doit continuer à être gardé... Si on savait que ces plaques ont été pendant si longtemps en la possession de malfaiteurs... Qui croirait qu'ils n'ont pas encore eu l'occasion de s'en servir?... Que deviendrait le crédit de notre pays et qui sait si... C'est pourquoi je souhaite...

Sonnerie du téléphone.

— Allô!... M. Emile, s'il vous plaît?... Ici, le commissaire spécial de la Gare du Nord... J'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer...

Tout va bien, puisque c'est une mauvaise nouvelle! Le vieil Isaac et sa femme malade ont pu passer à travers les mailles du filet. On peut compter sur eux et sur tous leurs complices pour ne pas faire long feu à Paris.

— Si M. Torrence, votre patron, veut se donner la peine de passer demain matin à l'ambassade, je me ferai un devoir de lui remettre la somme qui...

Il est en outre vaguement question d'une décoration, ce qui ne manque pas de faire sourire Emile. Torrence décoré! Ce brave Torrence qui ne sait encore rien de cette affaire et qui est en train de surveiller le couloir d'un petit hôtel de Montparnasse, peut-être de cambrioler les deux chambres qu'on lui a désignées et qui sont celles d'un policier polonais!

Les grosses légumes se congratulent. La mallette est transportée dans la voiture de l'ambassade, qui resplendit devant le Bristol.

— Dites donc... murmure Emile à l'adresse de son collègue de Varsovie. Si on allait boire un... Au fait, qu'est-ce qu'on boit à cette heure-ci dans votre pays?

— De la vodka...

— Allons donc boire de la vodka au bar... Quant à ces zlotys... Vous êtes marié?... Vous avez des enfants?...

— Je suis fiancé...

— C'est tout comme!... Eh bien! Que diriez-vous si nous faisions part à deux?

Et Emile commande, en tirant de sa bouche une cigarette à moitié dévorée:

— Deux vodkas... Deux!...

Quant à Barbet, il peut attendre au Vieux-Beaujolais, où le gros rouge ne doit pas être mauvais.

Les trois bateaux de la Calanque

LES TROIS BATEAUX

DE LA CALANQUE

I

Où il est démontré qu'on peut assassiner quelqu'un en

plein soleil devant trois témoins sans que personne ne s'en

aperçoive

L'affaire de la calanque, comme certains l'ont appelée, est sans doute la seule que l'Agence O ait suivie en dehors de ses méthodes habituelles, méthodes que tout le monde connaît désormais.