— Notre secrétaire, excellente nageuse, va mettre un bonnet de bain et un maillot vert... J'en ai acheté un ce matin qui doit être à peu près à sa taille...
A cet instant, Mlle Berthe pensa qu'Emile ne l'avait pas souvent regardée, même quand elle était fort peu habillée, et ne devait pas être bon juge quant à sa taille.
— Elle s'installera dans le canoé et fera, autant que possible, ce que Mme Eva a fait mardi matin... Quant à vous, monsieur le commissaire, je me demande si la place la plus favorable, pour tout voir, n'est pas à bord du bateau de Joseph, étant donné que c'est celui qui a le plus circulé sur les lieux... Pour ma part, si M. Larignan veut bien m'accepter à son bord...
» Avant le départ, cependant, j'aimerais poser une question à chacun.
» Vous, monsieur Larignan, vous êtes-vous servi de votre bateau depuis mardi matin?
La réponse fut non.
___ Avez-vous retiré quoi que ce soit de ce qui se trouvait à bord ce matin-là?
— Le panier avec les poissons...
— Rien d'autre, vous en êtes certain?
— J'en suis certain...
— A vous, Joseph...
— Je me suis servi de mon bateau, mais je n'en ai rien retiré...
— Vous, monsieur Moss?...
— Demandez à Cornélius... Je ne m'occupe pas de ces questions-là!
— J'ai seulement retiré un bidon d'huile qui était vide, ainsi que ma salopette, que j'ai donnée au lavage...
— Eh bien! Messieurs, je pense que nous pouvons nous embarquer.
Tout comme un jour de régates, une embarcation avait été réservée aux gendarmes qui devaient empêcher les autres bateaux de pénétrer dans la calanque, et ils eurent fort à faire.
Le temps était splendide. La mer, d'un bleu turquoise. Une légère buée montait de la surface de l'eau qui, de temps en temps, frisait au passage d'un banc de sardines.
Rien d'aussi peu dramatique que cette scène, et il eût été bien difficile de penser que la tête d'un homme en dépendait. Mlle Berthe, la première, à bord du canoé verni comme un jouet, avait quitté le port, un peu gênée, car le maillot vert qu'Emile lui avait acheté était d'un numéro trop petit et moulait ses formes d'une façon peu discrète.
Le canot automobile la dépassa bien vite et fila vers le large en laissant derrière lui de larges remous; puis ce fut le tour du Cormoran, avec Joseph, debout à l'arrière, la barre entre les jambes.
Au moment de larguer l'amarre du Potam, M. Larignan retira de l'eau une sorte de panier en métal qu'il posa au fond de l'embarcation.
— Qu'est-ce que c'est? Questionna Emile.
— Des piades... Autrement dit, des bernard-l'ermite... Quand il n'y a pas de crevettes, c'est le meilleur appât pour la pêche au boulantin...
— Je sais...
Le canot de M. Larignan n'était pas très rapide, et, quand on arriva dans la calanque, il y avait déjà un bon moment que la vedette du banquier, dont le bourdonnement semblait remplir l'espace, décrivait des cercles au large.
— C'était ici... dit M. Larignan... Tenez!... Il n'y a pas à s'y tromper... Vous voyez ce rocher?... Penchez-vous... Il y a, tout à côté, une raie blanche... En pêchant juste au ras du rocher, on est sûr de prendre des rascasses...
Il laissa tomber au fond de l'eau la grosse pierre qui lui tenait lieu d'ancre.
— Qu'est-ce que je dois faire, maintenant?
— Autant que possible ce que vous faisiez mardi à la même heure...
— Je pêchais déjà depuis longtemps...
— Pêchez donc... Puisque vous n'avez rien retiré de ce qu'il y avait dans votre bateau, les lignes doivent s'y trouver...
— Les voici...
C'était vraiment le bateau de l'amateur soigneux. Sous le banc arrière, il y avait une petite armoire, des rayons, et les engins de pêche étaient rangés avec autant de soin que l'armoire de cuisine d'une bonne ménagère.
— Tenez!... Je me souviens que c'est avec cette ligne-ci que je pêchais... J'étais assis sur mon pliant...
Il alla prendre le pliant et s'y installa.
A bord du canot automobile, l'inspecteur Machère, son chapeau melon en arrière, regardait férocement ses deux compagnons. Pourquoi diable, se demandait-il, Emile lui avait-il confié ce poste? Il flairait confusément un piège et il ne perdait pas un seul geste des deux hommes.
Quant au commissaire de la Brigade mobile, il était déjà devenu copain avec Joseph et les gens qui regardaient aux jumelles eussent été bien étonnés du cours de leur conversation.
— Ainsi, c'est pour cela que vous devez toujours avoir aux lèvres une cigarette allumée?
— Parbleu!... C'est facile à comprendre... Supposez que j'aperçoive un banc de poissons...
— Mais comment pouvez-vous les voir? Je ne vois rien dans l'eau...
— Parce que vous êtes trop bas... Moi, comme vous le constatez, je suis très au-dessus de l'eau... Mon regard plonge... Quand je vois les poissons, je n'ai que quelques secondes pour allumer la cartouche et la lancer... En même temps, il faut que je continue à diriger le bateau... Vous voyez ma main droite, dans ma poche... Elle tient une cartouche...
— Vous en avez réellement une?
— M. Emile m'a dit de faire exactement comme mardi...
— Vous avez lancé une cartouche, mardi?
— Une seule, dans ce coin-là, près de la pointe Prime... Mais je l'ai lancée trop tard et je n'ai rien eu...
— Faites donc la même chose...
Pour être tout à fait sincère, il faut avouer que le commissaire obéissait moins, en donnant cet ordre, à un souci de reconstitution exacte, qu'au désir de voir de ses yeux une pêche à la dynamite.
Ce fut vite fait. Joseph approcha sa main droite de sa cigarette... Cette main tenait une petite chose enveloppée de papier de soie. Un geste rapide. Puis une volte brusque du bateau et bientôt, à une dizaine de mètres, un bruit sourd, l'eau agitée...
— Mais les poissons?...
— Attendez... Il n'y en avait peut-être pas...
— Si... Regardez... Oh! Le beau loup...
— Ce n'est pas un loup... C'est une daurade... Tenez!... En voilà d'autres... Est-ce qu'on les ramasse?
— Hélas! Il est juste onze heures... fit le commissaire à regret en consultant sa montre... Que faisiez-vous à onze heures?...
— Je me dirigeais vers l'autre pointe...
Depuis quelques instants déjà, Mlle Berthe avait plongé. Le canot automobile de M. Moss était entré dans la calanque et s'était immobilisé. Cornélius était occupé à dévisser une des bougies.
Selon les instructions reçues, Mlle Berthe nageait vers l'embarcation...
Puis celle-ci se remettait en marche et décrivait un large cercle...
— Je me demande ce qu'il espère! grogna le commissaire.
— Qui?
— Ce détective de l'Agence O... Vous comprenez, mon ami, ces gens-là veulent toujours employer des méthodes épastrouillantes... Sinon, où serait leur prestige?... A les croire, la police officielle, trop routinière, est incapable de mener une enquête à bien et... Mais qu'est-ce qu'ils font?
De loin, on voyait Emile et M. Larignan qui allaient et venaient à bord de leur petit bateau. Ils se penchaient, fouillaient partout. Ils avaient l'air de chercher quelque chose.
Quant à Mlle Berthe, elle tirait paisiblement sa coupe, ne sachant plus ce qu'elle devait faire. Le canoë, tout seul, flottait dans un large espace vide.
— C'est vers ce moment-ci que vous vous êtes étonné de ne plus voir le bonnet blanc?
— A peu près... Tenez!... Nous avons juste le soleil dans les yeux... Je n'y ai pas pris garde tout de suite... J'ai encore fait un tour...