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— Il faut que je fasse préparer ma note et que...

Il est passé en coup de vent devant la porte ouverte... Il a vu, ou plutôt entrevu... Dans le corridor, il hésite et... Le sort en est jeté! Il descend l'escalier à pas lourds...

A deux heures déjà, il prend le rapide de Paris tandis que Mlle Berthe prend un peu plus tard le train pour Cassis.

Le rôle de l'Agence O est terminé. Il faut en laisser pour la police officielle et la plus grande qualité de celle-ci est certainement l'opiniâtreté.

Deux fois, trois fois, dans les jours qui suivent, la maison de Larignan est fouillée de fond en comble. Ses empreintes sont envoyées à Paris, où elles ne correspondent avec les empreintes d'aucun criminel connu...

Pour peu, au Lavandou, il y aurait des émeutes, car les gens s'indignent qu'on puisse soupçonner leur Monsieur Larignan.

En désespoir de cause, on publie sa photographie dans tous les journaux, deux photos plus exactement, une avec lunettes sombres et l'autre sans lunettes.

Huit jours se passent. La piste désignée par Emile ne va-t-elle rien donner? M. Moss est rentré à Amsterdam et ne suit l'affaire que par les journaux.

Enfin, d'une petite ville perdue dans le Sud tunisien, une lettre arrive. Quelqu'un a reconnu la photographie. Il ne s'agirait pas du tout d'un M. Larignan mais d'un Nestor Caquois, qui était, voilà dix ans, régisseur dans une exploitation agricole du pays...

Larignan-Caquois, mis sur la sellette, nie encore. On fait venir plusieurs personnes de là-bas et toutes le reconnaissent formellement.

Or, il y a dix ans que ce Caquois est recherché par la police. Régisseur de M. Grétillat, il a disparu la nuit où celui-ci a été assassiné et où le contenu de son coffre a été volé.

L'épouse de M. Grétillat s'appelait Eva... Eva Grétillat... Ruinée, elle a quitté la Tunisie... Elle a habité Bruxelles... Elle est devenue la maîtresse du banquier Mass.

Et certain matin d'août qu'elle nageait dans une calanque et qu'elle se rapprochait d'un petit bateau où un homme pêchait paisiblement au boulantin, elle a reconnu dans cet homme...

A portée de la main de Larignan-Caquois, le marteau qui lui servait à casser les piades...

C'est sa sécurité, sa vie qui sont en jeu...

Joseph, dans son bateau, a le dos tourné... La vedette automobile du banquier s'éloigne...

Un geste rapide, presque un réflexe....

— En somme, lui dit le juge d'instruction, près de deux mois plus tard, vous avez failli réaliser le crime parfait... Et par deux fois!... Une première fois, vous avez pu quitter la Tunisie sans être inquiété et venir, sous un autre nom, passer des années paisibles au Lavandou avec le fruit de votre crime... Une seconde fois, si vous n'aviez pas commis la faute de vous débarrasser de ce marteau...

L'autre ricane.

— Je ne suis pas si bête! réplique-t-il cyniquement.

— Pourtant, c'est parce que vous avez jeté ce marteau à la mer que le détective de l'Agence O...

— Je n'ai jamais jeté ce marteau à la mer...

— Je ne comprends plus...

— Je ne l'ai jamais jeté! Lorsque j'ai frappé, j'avais, comme tout pêcheur, les mains mouillées... Le marteau m'a échappé des mains... Il a continué sa trajectoire, certes... Il a frappé le crâne mais ensuite il est tombé à la mer et voilà pourquoi...

Un petit frisson. Machinalement, il se passe la main sur la nuque.

— Un jeune homme si insignifiant!... ne peut-il s'empêcher de soupirer. Dire que j'étais persuadé qu'il ne pensait qu'à faire l'amour avec sa secrétaire...

Quels battements de cœur, si Mlle Berthe avait pu l'entendre!

La fleuriste de Deauville

LA FLEURISTE DE DEAUVILLE

I

Où le grand Torrence est tout à fait dégonflé et où Deauville

est le théâtre de deux assassinats

Emile arriva à six heures et quelques minutes du matin. Il venait, par les moyens les plus directs, du Lavandou, où Il avait terminé l'enquête au sujet de la dame au maillot vert. Il avait laissé Mlle Berthe, la dactylo potelée de l'Agence O, en vacances à Cassis, et seul le garçon de bureau Barbet, le voleur à la tire repenti, gardait les locaux de la cité Bergère.

Emile, à vrai dire, était assez intrigué. Son « patron » Torrence ne paraissait nullement devoir faire appel à lui pour l'affaire dont il était chargé. Ce n'était même une affaire que dans le sens le plus mercantile du mot, mais l'Agence O était bien obligée de faire ce qu'il fallait pour équilibrer son budget, surtout avec la manie d'Emile de ne pas regarder à la dépense.

Bref, Torrence, à Deauville, était tout bonnement chargé de surveiller discrètement Norma Davidson, femme d'Oswald Davidson, le richissime américain. Il en était chargé par Oswald Davidson lui-même, retenu en Egypte par ses affaires.

Il n'était pas question de jalousie. Le vieux Davidson n'ignorait pas que sa jeune épouse était toujours entourée d'une cour d'hommes jeunes et beaux et que, parmi eux, les élus ne manquaient sans doute pas. Etait-il résigné? Cela ne regardait pas Torrence.

Le rôle de celui-ci était d'éviter les scandales trop éclatants et aussi de veiller sur les bijoux que Norma Davidson, soit après de fortes pertes au jeu, soit au cours d'une nuit trop joyeuse, avait la singulière habitude de semer un peu partout.

Or, le télégramme de Torrence à Emile, alors que celui-ci était encore au Lavandou, était assez alarmant:

Si êtes disponible, venez toute urgence Deauville, où me débats contre problème insoluble. Torrence.

C'était si peu dans la manière du « patron », dont l'impassibilité était presque aussi légendaire que celle de Maigret, avec qui il avait travaillé pendant quinze ans!

Emile, en débarquant du train, était d'une humeur charmante. Il venait de résoudre, au Lavandou, un problème assez compliqué. En plein mois d'août, il quittait la côte torride de la Méditerranée pour l'atmosphère délicieusement limpide de la Manche. Il avait fort bien dormi. A son réveil, un soleil léger, capiteux comme du champagne, l'avait accueilli. Entre les toits des maisons, il venait d'apercevoir la mer, non plus d'un bleu sombre comme celle qu'il quittait, mais d'un bleu aérien de pastel. Enfin, la toute pimpante gare de Deauville était bien faite pour le maintenir en humeur enjouée.

Or Torrence était là, et Emile reconnut à peine celui que beaucoup appellent le grand Torrence. A croire que le bon géant venait soudain de subir les premières atteintes d'une grave maladie de foie. Ses yeux étaient cernés, soulignés de poches profondes. Il était mal rasé, à la diable. Son complet gris était fripé. Et c'est d'une voix lugubre comme pour des condoléances qu'il articula en serrant la main de son collaborateur:

— Je suis bien content que vous soyez venu... Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit... Laissez donc vos bagages au pisteur du Royal, qui les portera à l'hôtel... Si vous n'êtes pas trop fatigué, nous irons à pied et nous pourrons bavarder...

— Le temps d'avaler un café au buffet, patron...

Emile avait toujours aimé ces matins-là, quand les gens dorment encore et que quelques personnes seulement font ce qu'on pourrait appeler la toilette de la ville. Les balayeurs municipaux étaient à leur poste. Dans les petits cafés, dans les bars, dans les magasins, on nettoyait les vitres au blanc d'Espagne. Ailleurs, on roulait la cendre rouge des tennis, on tendait les filets.

A peine hors de la gare, pourtant, Torrence murmurait:

— C'était avant-hier, exactement à cette heure-ci... Remarquez qu'au Casino, en ce moment, il y a encore une partie en train... Il en était de même mercredi... Quelques enragés, autour du tapis vert... Le soleil à beau percer de ses rayons la toile écrue des stores, ces messieurs, en habit ou en smoking, restent impassibles devant les sabots de baccara, et le lustre du « privé » demeure allumé...