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— Je ne vois pas en quoi...

— Vous êtes joueur, Emile?

— Je ne suis pas trop mauvais à la belote...

— Ce n'est pas ce que je vous demande... Vous n'avez jamais joué au baccara?... Vous ne connaissez sans doute pas Loulou?... C'était une petite marchande de fleurs... Une gamine sans âge... On aurait pu lui donner seize ans... En réalité, elle en avait vingt-quatre... Toutes les nuits, elle s'installait sur les marches du Casino avec son panier d'œillets et de roses... Elle en vendait peu... Loulou passait pour être mascotte... Nombreux étaient les joueurs qui, en passant pour se rendre au « privé », n'auraient jamais manqué de jeter quelques billets dans son panier et de lui toucher l'épaule... On prétend que Loulou se faisait de la sorte une petite fortune...

» C'est pourquoi, sans doute, elle n'hésitait pas à passer toute la nuit à son poste...

» Tenez... Voici le Casino... Voici, sur la troisième marche, la place qu'occupait d'habitude Loulou... Eh bien! Mercredi, à cette heure-ci, un joueur enragé, Ronald Sinclair, qui sortait du Casino, où il avait pris une bonne culotte, fut fort étonné de voir Loulou endormie près de son panier...

» Du moins, il le croyait... Il s'approcha d'elle... Il aperçut un filet de sang qui courait le long des marches...

» Quelques instants plus tard, on constatait que Loulou avait reçu une balle de revolver en pleine poitrine... Sourcils froncés, Emile objectait:

— C'est certainement désastreux pour cette jeune fille... Mais j'avoue que je ne vois pas, patron, en quoi ce crime nous concerne et surtout pourquoi vous en paraissez aussi accablé... Vous êtes ici, je pense, pour veiller sur Norma Davidson?...

— Et si, au bas des marches, on avait retrouvé le revolver de Norma Davidson? Une arme de luxe, un bijou, au sujet duquel aucun doute n'est possible... Le doute est d'autant moins possible que les initiales de l'Américaine sont gravées sur la monture en argent de la crosse...

— C'est cette arme qui a tiré?

— Sans contestation... Il manquait une balle dans le chargeur... C'est bien la balle que les médecins ont retirée de la blessure...

— Et vous, patron, où étiez-vous cette nuit-là?

— Dans mon lit... Au Royal... Ce palace que vous apercevez sur votre droite...

— Vous aviez abandonné votre surveillance?

— Nullement... Le mardi soir, Mme Davidson, entourée, comme toujours, d'une petite cour plus ou moins recommandable, avait dîné au Casino... Il y avait le « gala en bleu et blanc »... Elle a beaucoup bu, comme d'habitude. Par contre, elle a joué assez modérément et elle n'a perdu qu'une cinquantaine de mille francs... A trois heures, contre toute attente, elle est rentrée se coucher et, comme elle faisait chaque nuit, elle a enfermé ses bijoux dans le coffre du Royal en présence du concierge de nuit et de moi-même...

— Vous êtes donc allé vous coucher?

— Ma mission était terminée pour cette nuit-là...

— Quelqu'un a vu Mme Davidson sortir ensuite du Royal?

— Non...

— Dans ce cas...

— Attendez... Nous n'en sommes qu'au commencement du drame... Vous voyez à quoi ressemble Deauville à cette heure-ci?... La plupart des gens dorment... Seul le personnel de la voirie, des magasins et des hôtels est sur pied... Quelques originaux aussi, qui croient qu'ils sont ici pour prendre des bains de mer... Tenez, en voici un qui passe en peignoir... Un qui veut nager!... On n'a pas encore terminé le nettoyage de la plage, le ramassage des papiers, etc.

— Je vous comprends... Vous voulez dire que la mort de la petite fleuriste, tout d'abord, n'a pas fait trop de bruit...

— Et même la police avait décidé, d'accord avec les autorités municipales et avec la direction du Casino, d'en parler aussi peu que possible... On n'aime pas, en vacances, penser à des choses tristes... Les joueurs sont superstitieux et toute la ville ne vit que des joueurs... Bref, un commissaire de la Mobile avait pris l'enquête en main... Elle devait se poursuivre dans la coulisse... Or, à onze heures...

— C'est-à-dire à l'heure où les gens se lèvent?

— A peu près... L'heure du petit déjeuner et du tennis... Le directeur du Royal, que je connais personnellement, se tenait au milieu du hall et paraissait nerveux. Je lui dis en plaisantant:

» — Il y a quelque chose qui ne va pas, monsieur Maurice?

Ils étaient arrivés tous deux non loin du Bar du Soleil et la plage s'étendait devant eux, d'un roux assez sombre, car la mer venait seulement de se retirer et le sable restait humide. On mettait en place des tentes multicolores. On faisait la toilette de la terrasse et des cabines.

— « M. Henry n'est pas encore descendu... m'a répondu le directeur. Cela m'étonne d'autant plus qu'il est très ponctuel. Il aurait dû prendre son service à dix heures... »

— Toutes les personnes que vous citez paraissent n'avoir que des prénoms! remarqua Emile.

— Parce que, dans les milieux hôteliers, les gens n'ont en effet qu'un prénom... M. Maurice... M. Charles... M. Henry...

— Qui est votre M. Henry?

— Qui était!... Un personnage aussi célèbre à Deauville que Loulou... Le principal chasseur du Royal... Si vous êtes déjà venu à Deauville, vous n'avez pas manqué de le voir, dans sa livrée bleue à parements or... De dix heures du matin à minuit, et souvent plus tard, il était là, debout devant la porte tournante, et tout le monde l'appelait par son nom, c'était à lui qu'on s'adressait pour n'importe quoi, pour une voiture, pour un tuyau aux courses, pour obtenir le dernier potin, pour... Bref, M. Henry était à Deauville ce que le chasseur de chez Maxim's a été longtemps à Paris...

— Il est mort?

— N'allez pas trop vite... Je vois que vous n'avez pas encore compris la gravité de la situation, surtout pour l'avenir de l'Agence O... Ou je suis un imbécile, ou...

— Vous savez bien, patron, que vous n'êtes pas un imbécile...

— N'empêche que tout le monde le prétendra... Nous sommes fichus... Après ce qui s'est passé mercredi...

— Si vous me disiez tout de suite ce qui s'est passé?...

— Eh bien! Un quart d'heure plus tard, le directeur du Royal décidait d'envoyer un groom voir pourquoi M. Henry n'était pas descendu... Peu de membres du personnel couchent à l'hôtel même, mais M. Henry, dont on pouvait avoir besoin à toute heure, était parmi les privilégiés... Sa chambre était là-haut, sous les toits... Je fumais ma première pipe en arpentant le hall avec le directeur quand le groom revient aussi pâle que... qu'une feuille de papier...

» — Il est mort! hurle-t-il à tous les échos.

» — Qui est-ce qui est mort?

» — M. Henry...

» Nous voilà dans l'escalier de service... Nous arrivons au cinquième... Le directeur pousse une porte et nous découvrons, en effet, M. Henry la face contre terre au pied de son lit...

— Pardon, questionne calmement Emile en mettant une cigarette entre ses lèvres mais en oubliant, selon son habitude, de l'allumer. Son lit était défait?

— Oui...

— Il était en pyjama?

— Non... Je suis content que vous me posiez cette question... Il avait bien son pyjama sur le corps, mais il avait passé un pantalon noir par-dessus... Ses cheveux étaient défaits... Sa tenue était celle d'un homme qu'on a réveillé en plein sommeil et qui a passé en hâte un vêtement...

— Revolver?

— Une balle en plein cœur...

— On a retrouvé l'arme?

— Non... L'autopsie a déjà été pratiquée... Calibre 6,35... Le calibre le plus ordinaire, le même que celui de la balle qui a tué Loulou... Mais les striures, elles, ne sont pas semblables... Autrement dit, le coup n'a pas été tiré avec le revolver de Norma Davidson...