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— Avouez que c'est rigolo... Un M. Davidson nous tombe du ciel, c'est le mot exact, au moment où sa femme est accusée de deux crimes... Il se dispute avec elle le plus vulgairement du monde... Vous êtes présent et vous n'y voyez que du feu, mais il n'en emporte pas moins la mallette de bijoux à votre nez et à votre barbe...

— Merci pour la barbe!

— Ce serait déjà assez joli... Car, enfin, vous ne connaissez pas M. Davidson... C'est par câble qu'il vous a chargé de veiller sur sa femme... Il est probable qu'un certain nombre d'Américains, à Deauville, le connaissent... Mais il n'a le temps de rencontrer personne... Il descend d'avion, il arrive en coup de vent et il repart comme il est venu... Autrement dit, rien ne nous prouve que ce soit le vrai Davidson...

— J'y ai pensé, soupira Torrence, et, dans ce cas, l'Agence O serait tout bonnement déshonorée, car elle aurait laissé voler les bijoux dans des conditions tellement audacieuses que cela pourrait passer pour de la complicité...

— Et pourtant ce n'est pas le plus beau... Le Royal est gardé par la police... Mme Davidson n'est, en somme, qu'en liberté provisoire et toutes ses allées et venues sont surveillées... Il y a un inspecteur dans le couloir... Il y a, dans son salon, le fameux Torrence qui, au cours d'un évanouissement de la dame, la porte sur son lit...

» — Laissez-moi un instant... demande la femme de chambre.

» Au fait, je parie que la femme de chambre était jolie...

» Le bon Torrence passe dans la pièce voisine et la porte se referme... Quand elle est ouverte, un peu plus tard, l'oiseau s'est envolé...

» Eh bien! Mon vieux (il arrivait rarement à Emile d'appeler le patron « mon vieux », mais il était vraiment d'humeur enjouée), je dis, moi, que c'est du vrai billard... Encore un cocktail, barman... Oui, la même chose... Je ne retiens pas vos noms compliqués...

» C'est tellement du billard que...

— ... Que j'ai bonne envie, mon cher Emile, de tout planter là. Je n'aime pas beaucoup qu'on se paie ma tête. J’ai toujours été heureux de collaborer avec vous, mais il y a des limites qu'un homme de mon âge, avec la carrière qu'il a derrière lui...

— Juste ce que je pensais!

— Hein?

— Oui, je pensais qu'il n'y a rien de communicatif comme la mauvaise humeur... Vous avez assisté tout à l'heure à une scène de ménage et je me disais que cela m'étonnerait fort si la journée se passait sans que...

— Sans que quoi?

— Que nous ayons tous les deux une bonne petite dispute comme ces estimables Davidson... Allons déjeuner, patron!... Ensuite je continuerai à m'initier, sous la direction de M. John, qui est un garçon fort intelligent, aux subtilités du métier de chasseur de palace...

Quand ils arrivèrent au Royal, Norma Davidson n'avait pas été retrouvée. On n'avait pas davantage de nouvelles de sa femme de chambre particulière qui répondait au nom de Daisy.

Quant à l'avion de M. Davidson, il était signalé faisant route en direction du Caire, d'où il était arrivé le matin. La seule réflexion d'Emile en se mettant à table fut:

— Moi qui avais tant envie de crevettes!

Il y avait quarante hors-d’œuvre, mais pas une seule petite crevette, bien entendu.

IV

Où, décidément, Emile semble vouloir se destiner à l'honorable

mais difficile profession de portier de palace

— Je suis persuadé, patron, qu'en allant vous promener de ce côté et en insistant un peu, vous ne perdrez pas votre temps...

Emile envoyait Torrence à Trouville. A part les hôtels et les grosses villas, en effet, Deauville comporte très peu de maisons d'habitation, et la plupart de ceux qui y travaillent ont leur domicile à Trouville.

C'était le cas de Loulou, la fleuriste du Casino. Si elle travaillait toute la nuit sur les marches du temple du baccara, elle passait plus modestement ses journées dans le quartier des pêcheurs, à Trouville, où elle occupait deux chambres chez de braves gens.

C'est là qu'Emile avait envoyé l'imposant Torrence, qu'un déjeuner somptueux n'était pas parvenu à mettre de bonne humeur.

L'enquête officielle suivait son cours avec une discrétion admirable. Le mot d'ordre était évidemment de ne pas troubler par un zèle intempestif, surtout à une semaine du 15 août, là « saison », qui était plus que brillante. Certes, des messieurs, qui n'avaient pas l'allure des estivants habituels, allaient et venaient, chuchotaient dans les coins, partaient en taxi pour des destinations inconnues, mais rien ne sentait le drame et on pouvait croire que la petite fleuriste ainsi que le portier du Royal étaient déjà oubliés.

Sans doute, dans un jour ou deux, les enterrerait-on de bonne heure et n'y aurait-il que quelques amis derrière les deux corbillards.

Emile, lui, passa un après-midi assez bizarre. En effet, il s'attacha, tout comme le matin, à la personne de John, le portier, qu'il ne quitta pour ainsi dire pas d'une semelle. Etant donné que les moments de calme plat étaient rares, que des autos allaient et venaient, qu'on abordait l'homme en livrée pour lui demander les renseignements les plus inimaginables, la conversation avait fatalement une allure des plus décousues.

Souvent le jeune homme roux de l'Agence 0 avait juste le temps de faire un bond de côté pour éviter les roues de quelque roadster. Une fois même, malgré sa tenue civile, une jeune étrangère le prit pour un employé de l'hôtel et lui demanda en italien s'il restait une chambre libre.

— En somme... disait Emile peu après à son nouvel ami John, vous ne savez presque rien les uns des autres... Ainsi, bien que travaillant dans le même hôtel, vous ignoriez tout de la vie privée de M. Henry...

— Comment vous expliquer cela?... Nous sommes un très petit nombre dans le monde entier car, quoi qu'on pense, le nombre des grands palaces de luxe est assez restreint... C'est toujours, ou à peu près, le même personnel qui va de l'un à l'autre... Nous nous rencontrons, comme des artistes de music-hall, tantôt à Louxor, tantôt à Bombay ou à Miami... Une saison, on est ensemble... On se perd de vue pendant dix ans et on se retrouve à Cannes ou à San Remo...

— Et vous ne vous posez pas de questions?

— Ce serait assez mal vu... Justement parce que, comme je vous le disais ce matin, il y a parmi nous des gens venant de mondes très différents... A la Légion étrangère, il serait de très mauvais goût de demander son nom de famille à un camarade avec qui on vit depuis des années et avec qui on a fait le coup de feu... Dans cet hôtel même, il y a, parmi le personnel, un grand seigneur russe et un fils de famille suisse qui s'est brouillé avec les siens...

— Vous souvenez-vous des langues que M. Henry parlait couramment?

— Voyons... Le français, évidemment... L'anglais... L'allemand... L'italien... L'espagnol...

— Cela en fait cinq et vous m'aviez dit sept...

— Je cherche... Attendez... Un peu de hollandais, je m'en souviens, car il a travaillé au Carlton d'Amsterdam... Et enfin... Oui, c'est cela... Il a été le seul, voilà quatre ou cinq jours, à comprendre le comte Vatsi... Le comte Vatsi est un Hongrois récemment arrivé... C'est à cette occasion que j'ai constaté que mon prédécesseur, alors mon chef, parlait couramment le hongrois...

— Vous êtes nombreux à parler cette langue?

— Très peu... La plupart des Hongrois qui descendent dans les palaces connaissent l'allemand et le français...

— J'ai toujours entendu dire, murmura Emile, que c'est une langue très difficile et qu'à moins d'avoir vécu fort longtemps dans le pays... Au fait, le comte Vatsi est encore à l'hôtel?

— Vous l'avez vu sortir il y a moins d'une demi-heure... Un grand et bel homme entre deux âges, qui portait un melon gris et un œillet à la boutonnière... Il est allé aux courses, comme chaque après-midi...