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— Ou cela m'étonnerait fort, souffla Emile à son patron, ou on ne va pas tarder à l'appeler au téléphone... Si vous le voyez se diriger vers la cabine, vous me ferez le plaisir de bondir vers le commissaire de police que j'aperçois là-bas dirigeant le service d'ordre... Je viens de me renseigner... La voiture du comte est une grosse Mercédès verte...

— Que faut-il demander au commissaire de police?

— De se tenir près de la voiture, de façon à entendre l'ordre que le comte donnera à son chauffeur... Si cet ordre est de le conduire au Royal, rien à faire... Si, au contraire, la destination est un peu lointaine, je pense qu'il serait prudent, malgré le caractère peu patient du personnage... Vite! Tenez!... On vient le prévenir qu'on le demande au téléphone...

L'instant d'après, en effet, le Hongrois, manifestement inquiet, pénétrait dans une des cabines réservées aux turfistes... Il n'y resta pas longtemps et, quand il en sortit, il émiettait entre ses doigts le cigare qu'il fumait auparavant. Il regarda autour de lui comme s'il craignait d'être épié et il franchit à grandes enjambées l'espace qui le séparait du garage des voitures.

Deux hommes, près de la Mercédès, bavardaient calmement et l'un d'eux n'était autre que le commissaire de police de Deauville, qui n'était pas trop rassuré par la mission dont Torrence le chargeait.

— Combien d'essence? Questionnait cependant le comte en se penchant vers son chauffeur.

— Soixante litres...

— Prenez tout de suite la route de Rouen et de là...

— Pardon, monsieur...

C'était le commissaire.

— Je suis désolé de vous interrompre, mais votre voiture n'est pas en règle...

— Qu'est-ce que vous dites? Je suis le comte Vatsi et...

— Je suis le commissaire de police et je vous demande de me suivre à mon bureau pour vérification de...

Quant à Torrence, comme pour appuyer cette déclaration, il jouait négligemment avec une paire de menottes qu'il avait toujours en poche.

— Je vous suis, messieurs, mais je vous préviens que vous paierez cher ce... cette...

— Pourquoi n'avez-vous pas avoué à l'enquête que M. Henry était votre père?

La jeune Norma Davidson, qu'on était allé cueillir à bord des Deux-Frères et qui était maintenant assise dans le bureau du commissaire, répliqua:

— Parce que Davidson ne l'aurait pas permis... Un Davidson peut épouser une girl si bon lui semble, mais pas la fille d'un chasseur d'hôtel... Il me l'a déclaré en m'annonçant qu'il allait demander le divorce...

— II vous a parlé longtemps, dit doucement Emile, et même avec une certaine violence...

— Il me reprochait d'avoir déclenché un scandale... C'est vrai que je ne lui ai jamais dit qui était mon père... Il est parti en emportant les bijoux et en m'annonçant que, si j'étais arrêtée et si son nom continuait à être mêlé à cette affaire, non seulement il réclamerait le divorce, mais encore il ne m'allouerait aucune pension... C'est alors que j'ai décidé d'aller me cacher en attendant de pouvoir quitter la France... Cette nuit, si vous n'étiez pas intervenus...

— Et votre sœur? Questionna Emile, avec toujours sa douceur angélique.

— Vous savez aussi?... C'est vrai, Loulou était ma sœur...

— Pardon, messieurs, intervint le commissaire de la Brigade mobile. Cela ne vous ferait rien de nous donner quelques explications? Cette famille qui...

Pendant ce temps, un inspecteur, dans un bureau voisin, essayait de cuisiner le comte Vatsi. Celui-ci le prenait de très haut et l'inspecteur ne paraissait pas devoir obtenir le plus petit résultat.

Heureusement que, dans un troisième bureau, un autre personnage ne manifestait pas autant de désinvolture vis-à-vis de la police française. C'était Yarko, le secrétaire-valet de chambre du noble Hongrois, qui, en parlant de son maître, employait une curieuse formule: « Nous... disait-il toujours, comme s'il était la moitié du comte. Nous avons fait ceci... Nous avons décidé cela... Nous étions sur le point de... »

Il n'y a que pour l'écharpe et le revolver à crosse de nacre qu'il se permit d'employer le singulier.

— J'ai pénétré dans l'appartement 27 et j'ai...

Emile et Torrence avaient dédaigné les fastes culinaires du Royal et, dans un petit bistrot de Trouville, Emile pouvait enfin se donner une indigestion de crevettes, qu'il accompagnait de grandes bolées de cidre bouché. Le soir tombait. La marée montait et le Deux-Frères était sur le point d'appareiller, non plus pour conduire Norma Davidson en Angleterre ou en Belgique, mais pour traîner le chalut au large.

— Voyez-vous, patron, sans vouloir vous critiquer, je me permets de vous faire remarquer que vous vous êtes laissé hypnotiser par cette histoire de bijoux... Je connais un peu mieux que vous la mentalité américaine et j'ai trouvé tout naturel qu'un riche Yankee, s'il pare sa femme comme une vierge de procession, ne tienne pas à se laisser voler une seule pierre... En réalité, M. Davidson n'avait rien à voir dans ce drame et il nous l'a bien montré... Cyniquement, il est venu s'assurer de la petite fortune qu'il possédait ici et, après avoir menacé sa femme, il est reparti vers l'endroit d'où il était venu... Pourquoi tuer un chasseur de palace?... Pourquoi tuer une fleuriste de casino?... Toute la question était là et nulle part ailleurs...

— Je ne suis qu'une vieille bête, soupira Torrence avec un excès de modestie.

___ Non, mais vous n'avez pas bavardé comme je l'ai fait avec M. John et vous n'avez par conséquent pas appris que son prédécesseur, M. Henry, parlait le hongrois comme sa langue maternelle... Or, il y avait, depuis peu, un Hongrois dans l'hôtel... La marchande de fleurs assassinée portait comme par hasard, bien que née en France, un nom hongrois... Et le valet de chambre du comte se promenait volontiers dans les escaliers de service.

— N'empêche que, si votre expérience du champ de courses n'avait pas réussi...

— J'aurais cherché ailleurs... Si le comte Vatsi avait quelque chose à se reprocher, si on fouillait son appartement, si son fidèle valet de chambre le lui téléphonait soudain, il était à peu près fatal que, affolé...

— Vous n'allez pas prétendre que vous aviez deviné cette ahurissante histoire d'amour?

— Non... Je me doutais seulement qu'il s'agissait d'une très vieille histoire... Les chasseurs de palace, comme me disait mon vieil ami John, viennent des milieux les plus différents... M. Henry était un Hongrois de bonne famille, mais sans fortune, et le comte Vatsi, lui, était un des plus gros propriétaires terriens de son pays, quelque chose dans le genre des anciens boyards russes... Vous avez vu sur quel ton il a répondu aux questions posées... S'il avait eu une cravache ou même un pistolet à la main...

» Imaginez la tête de ce grand seigneur à qui rien ne résistait quand, la veille de son mariage, sa fiancée est enlevée par un de ses amis pauvres qu'elle aime depuis longtemps...

» Je crois que les Hongrois, sur ce point, valent les Corses, et qu'une haine de cette sorte aboutit fatalement, un jour ou l'autre, à un drame sanglant...

» Le comte Vatsi est puissant... M. Henry, que nous continuerons à appeler ainsi, parcourt le monde, sachant que son ennemi n'hésitera pas à le tuer et à tuer sa compagne...

» Il a choisi un métier qui lui permet de changer sans cesse de climat... A Cagnes-sur-Mer, alors qu'il travaille au Ruhl de Nice, une fille lui naît, Loulou... Elle est inscrite, par prudence, à l'état civil, sous le nom de sa mère...

» Plus tard, en Amérique, une seconde fille, Norma, mais sa mère meurt en la mettant au monde...

» Le père continue sa vie vagabonde... Norma devient Mme Davidson, par le plus grand des hasards... Loulou, plus indépendante, est la petite fleuriste porte-bonheur du Casino de Deauville...