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» Le hasard les réunit tous les trois sur le même point du globe, ce qui est, pour ces errants, une sorte de miracle... Ils se voient en cachette... Mme Davidson n'a pas le droit d'avoir pour père un chasseur d'hôtel et pour sœur une fleuriste des rues...

» Le comte Vatsi est descendu au Royal... Il a reconnu son ennemi... Yarko, son inséparable, découvre bientôt l'existence de Norma et de Loulou...

» Le père sera tué... Loulou sera tuée... Un scandale ne les atteindrait pas... Mais, pour Norma Davidson, n'est-il pas plus raffiné de la faire mettre en prison?

» Il suffit de pénétrer dans son appartement, de lui voler son revolver et son écharpe...

» Si elle connaît vaguement l'histoire de ses parents, Norma ne sait pas le nom de l'homme qui leur a voué une haine mortelle...

» Que peut-elle dire?... Que peut-elle faire?... Quelle preuve fournir, alors que toutes les preuves sont contre elle?...

» Si je n'avais pas bavardé avec mon ami John, s'il ne s'était souvenu que M. Henry parlait le hongrois, si...

— Avec des si... grommela Torrence. Dites donc! J'espère que nous allons quand même manger autre chose que des crevettes?

Le ticket de métro

LE TICKET DE METRO

I

Où, par un matin de brouillard, l'Agence O reçoit un client,

mais où elle ne le garde pas longtemps

C'était exactement le genre de matinée à se calfeutrer dans les bureaux et à se livrer paresseusement à des besognes de tout repos. Chacun, tour à tour, était arrivé avec le nez rouge, le bout des doigts engourdi, et chacun avait répété avec la même conviction:

— Quel brouillard!

Les poêles ronflaient, chargés jusqu'à la gueule. A cause du brouillard, bien qu'il fût neuf heures, les lampes étaient allumées. Barbet, comme chaque matin, venait de partir pour la poste. Mlle Berthe avait pris sa place dans l'antichambre et, pour tout dire, elle mettait de l'ordre dans son sac à main, dont elle faisait périodiquement le nettoyage par le vide.

Dans le grand bureau, Torrence, qui avait allumé une pipe, se tenait debout, le dos au feu, dans une pose familière à son ancien patron Maigret.

Quant à Emile, il passait son temps à tailler tous les crayons qui lui tombaient sous la main, dans le petit cagibi dont il aimait le désordre et d'où il pouvait voir tout ce qui se passait dans le bureau du patron.

Pour employer un mot de Torrence, la journée n'avait pas encore embrayé et il devait en être de même dans des milliers de bureaux parisiens, où on s'accordait ainsi quelques minutes de savoureux répit avant d'aborder le travail.

Soudain, Mlle Berthe leva la tête. On entendait des pas dans l'escalier, mais des pas lourds, maladroits, hésitants.

— S'il n'avait pas été si tôt matin, dira-t-elle par la suite, j'aurais cru que c'était un ivrogne...

Il est vrai que l'escalier de la cité Bergère est étroit et incommode.

Une main tâtonne, cherche le bouton de la porte. Mlle Berthe ne bouge pas, mais fixe ce bouton qui commence à tourner.

La porte s'ouvre. La jeune fille se lève.

— Vous désirez?

Elle ressent une impression désagréable. L'homme qui vient d'entrer la regarde comme s'il ne la voyait pas, ou plutôt comme si elle n'était qu'une poussière infime sur son chemin. Il est grand, vêtu d'un pardessus sombre. C'est un homme de cinquante ans, un bon bourgeois sans doute, habitué à commander.

Est-il déjà venu à l'Agence O? Il est vrai qu'il n'est pas difficile de deviner quel est le bureau du patron, car celui-ci possède une double porte matelassée.

Toute cette scène dure quelques secondes à peine. Un instant, au passage, l'homme s'est appuyé à la table. Sans s'inquiéter de la secrétaire, il ouvre la porte de Torrence. Celui-ci, surpris, regarde cet inconnu qui fait de la sorte irruption chez lui.

Emile, dans le petit bureau voisin, est attentif aussi, derrière la glace sans tain que les visiteurs ne soupçonnent pas et qui lui permet de tout voir, comme un micro lui permet de tout entendre.

L'homme a ouvert la bouche... On sent qu'il fait un effort désespéré et pourtant il ne sort de ses lèvres que des sons inarticulés... Il vacille... Ses deux mains sont crispées sur sa poitrine...

On ne sait rien, on ne soupçonne pas encore la vérité, et pourtant chacun est empoigné par le sentiment de quelque chose de tragique. Le poêle ronfle.

Les yeux de l'homme deviennent hagards... Dix heures sept minutes...

— Le... le...

Au mur, juste au-dessus de Torrence, il y a une horloge aussi banale que possible, une horloge comme on en voit dans la plupart des bureaux, un cadran blafard entouré de noir...

Une des mains de l'homme essaie de la désigner... Les aiguilles marquent exactement dix heures sept minutes...

— Le... le...

Quelque chose lui monte dans la gorge. Son regard exprime le désespoir le plus atroce. Il veut parler, coûte que coûte.

— Le nè...

— Le quoi? Questionne Torrence en se précipitant.

L'homme est tombé lourdement sur le plancher. Un flot de sang a jailli de ses lèvres et pourtant Torrence, penché sur lui, jurerait que, dans un souffle, l'inconnu a murmuré:

— Le nègre...

Déjà les yeux qui fixaient l'horloge sont devenus vitreux. Quelques secondes encore, un spasme, une secousse de tout l'être, et il n'y a plus qu'un mort sur le plancher.

Mlle Berthe a téléphoné au docteur Marie, qui habite tout à côté, faubourg Montmartre. Barbet revient de la poste en sifflant joyeusement.

Torrence, qui a écarté le pardessus du mort, montre à Emile une petite plaie sanglante, juste à la hauteur de la poche supérieure du gilet.

— Il n'y a que quelques minutes que cet homme a reçu une balle dans le poumon gauche, explique Torrence, qui a l'habitude de ces sortes de blessures... Voyez!... Le sang s'est aussitôt coagulé à l'orifice... Une hémorragie interne s'est produite... Il a fallu à cet homme un effort surhumain pour marcher encore, pour monter jusqu'ici, pour balbutier quelques syllabes...

Ni Torrence ni Emile ne sont des femmelettes, et pourtant ils sont aussi pâles l'un que l'autre. Il y a, dans ce drame, quelque chose de sourd, d'équivoque, qui les impressionne.

— Le docteur vient tout de suite, annonce Mlle Berthe, qui préfère ne pas regarder du côté du mort.

Et celui-ci, couché en travers de la pièce, paraît anormalement grand.

— Vous feriez bien de téléphoner à la PJ, patron... Torrence appelle le commissaire Lucas, son ancien collègue au Quai des Orfèvres.

— Mais oui, mon vieux... Viens toi-même... J'aimerais autant que cela se passe discrètement... Non, je ne le connais pas... Je jurerais que le coup de feu a été tiré à moins de cent mètres de mon bureau... Il n'aurait pas pu marcher davantage... Je t'attends, oui...

Emile, qui a commencé à fouiller les poches du mort, en a retiré, non sans surprise, un gros revolver à barillet. L'arme est froide. Et pourtant il manque une balle dans le barillet et le canon est encrassé.

— Qu'est-ce que vous dites de ça, patron?

Torrence hoche la tête. C'est dans des cas semblables que sa vieille expérience de la Police judiciaire lui est utile.

— Je dis que cet homme n'a pas pu se suicider... Regardez le pardessus, le veston... Il n'y a pas de traces de poudre sur le tissu, pas la moindre brûlure... Si le coup avait été tiré d'aussi près, surtout avec une arme de ce calibre... Mais où est passé Barbet?

— Je l'ai envoyé en mission dans la cité Bergère...

Torrence comprend. Les poches du mort sont vidées une à une. Et d'abord, de la poche droite du pardessus, on extrait un ticket de métro qui porte la date du jour et qui a été délivré à la station Saint-Martin.