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— Continuer quoi?...

— La même chose...

Une heure plus tard, ils continuaient la série monotone des hôtels de toutes classes et, à cinq heures, Emile, qui en avait fini avec sa liste, se laissait tomber avec un soupir de soulagement dans le fauteuil profond d'un cinéma de la rue Neuve.

D'abord, ce fut le film qui l'intéressa. Puis ce fut le manège du monsieur qui était assis juste en face de lui. Ce monsieur, qu'il était difficile d'examiner dans l'ombre et qui n'était pour le moment qu'une silhouette très anonyme, s'obstinait à glisser la main le long des jambes de sa voisine.

Cette voisine, avec une obstination au moins égale, prenait cette main entre ses doigts et la déposait sur les genoux de son propriétaire.

D'autres se le seraient tenu pour dit. Deux minutes ne s'écoulaient pas que le monsieur recommençait de plus belle.

— Je vous en prie... souffla-t-elle d'abord.

Puis, après dix minutes et une dizaine d'assauts repoussés:

— Si vous recommencez, je crie...

Emile se réjouissait d'assister à la scène. Recommencera! Recommencera pas! Allons, messieurs, faites votre jeu, les paris sont ouverts...

Juste au moment où, en dépit des menaces les plus sévères, le monsieur avance une fois de plus la main, un baiser en gros plan unit quatre lèvres monstrueuses sur l'écran, le mot « Fin » paraît et la lumière se fait dans la salle.

Gentille, la petite demoiselle. Elle a eu bien raison, pense Emile, de ne pas se laisser faire par ce... par ce...

Et voilà qu'Emile écarquille les yeux. Tout le monde marche vers la sortie et, dans la rangée parallèle à la sienne, Emile vient d'apercevoir...

Aucun doute n'est possible. Le vilain monsieur qui a failli déclencher un scandale porte, sur la joue gauche, une magnifique tache lie-de-vin. En outre, son complet gris chiné correspond très exactement à la description qu'Angèle a donnée des vêtements de son séducteur...

— Pardon, monsieur...

Ils sont dehors. Il fait encore grand jour.

-- M. Dieudonné, n'est-ce pas?

Je ne vous connais pas, réplique l'autre, interloqué.

— Pourtant, nous sommes de vieilles connaissances... Si je puis vous donner un conseil, monsieur Dieudonné, c'est de ne pas essayer de me fausser compagnie... Je vous assure que vous avez tout intérêt à accepter le petit entretien que je désire avoir avec vous...

— Vous, je vois ça, vous êtes un Parisien, n'est-ce pas?

— Vous êtes dans le vrai... Je suis persuadé que, si vous vouliez me conduire à votre domicile...

— Alors il faut aller prendre le tram à la Porte de Namur...

Combien on peut se faire des idées fausses sur les gens! En écoutant le récit de l'appétissante Angèle, on imaginait son amant sous les traits d'un homme charmant, au physique agréable, à la parole fleurie.

Hélas! C'est un individu aussi banal que miteux, une sorte de don Juan pour quartiers pauvres, au veston trop cintré, à la cravate trop rouge, aux cheveux gras de brillantine. Et par-dessus le marché, il a un accent incroyable!

Il faut dire à sa décharge qu'il prend avec philosophie sa situation pour le moins désagréable.

— C'est dommage tout de même! remarque-t-il seulement. C'est l'heure à laquelle je devais faire une partie de cartes avec les amis en buvant un verre de gueuse...

De la Porte de Namur, le tramway, qui est bondé, les emmène vers quelque lointaine banlieue, et là, Dieudonné se dirige vers une petite maison meublée qui n'était ni sur la liste de Torrence, ni sur celle d'Emile.

— C'est moi! annonce-t-il, lugubre, à la propriétaire. Liske n'est pas rentrée, n'est-ce pas?

— Non, monsieur...

Il ouvre la porte avec sa clé. On pénètre dans un petit appartement tout neuf qui a l'air de sortir d'un bazar. Il y a des chromos aux murs, un appareil de TSF, et, sur la table, des napperons brodés couverts d'une infinité de bibelots horribles.

— C'est plus intime qu'à l'hôtel, n'est-ce pas?... C'est ce que je disais toujours à Liske... Il faut ce qu'il faut et j'aime mieux donner cent francs de plus par mois, mais que ce soit propre et qu'on ait l'impression d'être chez soi... Alors, comme ça, vous êtes de la police?...

— Peut-être ferions-nous mieux de commencer par le principal... Il est possible que, si vous me remettiez le manteau de vison que vous avez volé...

— Cette fille a dit que je l'avais volé?... Je savais bien qu'elle était mal élevée... Elle voulait absolument que je l'épouse... Moi, j'étais déjà depuis trois ans avec Liske...

» Liske?... Vous ne connaissez pas Liske?... Ça, c'est une belle fille, vous savez, monsieur... Regardez seulement...

Et il montre un portrait encadré, le portrait d'une Flamande grasse et rose de vingt-cinq à trente ans.

— Liske était avec vous à Paris?

— Bien sûr, monsieur...

— Et de quoi viviez-vous tous les deux?

— De quoi nous vivions?

Il est roublard, vulgairement roublard. Il essaie de gagner du temps Emile l'a déjà jugé. C'est un petit escroc sans la moindre envergure, juste bon pour rafler les économies des petites bonnes trop crédules.

— Qui a eu l'idée du manteau?

— C'est Liske...

Il se repent déjà de ce cri du cœur.

— Liske, sachant qu'Angèle, votre maîtresse, avait une patronne qui possédait un manteau de vison, a eu l'idée de...

— C'est naturel, n'est-ce pas, monsieur?... Les femmes, ça ne pense qu'à la toilette...

— Vous saviez que le manteau valait plus de cinquante mille francs?

— Je ne me suis pas inquiété de cette question...

— Vous ne connaissiez pas M. Frécourt?

— Je ne lui ai jamais été présenté...

— Tâchez d'être plus précis...

— Je m'étais un peu renseigné, bien sûr... On aime savoir qui on fréquente...

— Vous aviez surtout envie de savoir ce qu'Angèle pourrait voler pour votre compte dans l'appartement de ses maîtres...

Dieudonné se tait, réprobateur, jugeant sans nul doute ce Parisien fort mal élevé.

— Vous vous êtes rendu compte que le vison seul avait de la valeur... Vous avez obtenu que votre maîtresse le prenne pour un soir et vous n'avez pas hésité à lui jouer une assez vilaine comédie... J'ai pu constater tout à l'heure, au cinéma, que ces comédies-là ne sont pas pour vous déplaire...

— J'ai du tempérament, moi, monsieur!... Quand je vois une jolie fille...

— Sans doute votre autre maîtresse, Liske, avec laquelle vous viviez depuis trois ans, vous attendait-elle non loin de là?...

— Devant la Gare du Nord... avoue Dieudonné, à qui il n'est décidément pas difficile de tirer les vers du nez.

L'Agence O n'a jamais cru en cette affaire. Elle ne s'y est embarquée que contrainte et forcée. N'avait-elle pas raison? Tant d'efforts pour aboutir à ce petit escroc de rien du tout, qui se croit obligé de tirer un cruchon du buffet et d'offrir, avec des grâces vulgaires, un verre de genièvre à Emile!

— Mais si! Mais si! Ça fait du bien, vous savez...

Un détail fait plaisir à Emile. Tandis qu'il discutait avec Torrence, il a prétendu que le voleur avait sans doute eu besoin d'une complice. Il fallait, en effet, passer la douane. Un homme ayant un manteau de vison dans ses bagages aurait été aussitôt repéré.

— C'est donc Liske qui a passé la frontière avec le manteau sur le dos...

— Oui, monsieur... D'ailleurs, il n'aurait pas tenu dans ma valise... La voici... Il y avait déjà mon complet neuf, que j'ai acheté aux Galeries la semaine dernière...

— Pour séduire Angèle?

Il ne comprend même pas l'ironie et murmure avec satisfaction:

— Il faut ce qu'il faut...

— Voulez-vous, maintenant, me remettre le vison?