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» Barbet affirme qu'il n'a rencontré personne et qu'il n'a reçu aucun message en dehors du nôtre...

Emile commande un troisième petit verre.

— Eh bien! Je vais, je pense, répondre à cette question d'une manière satisfaisante... Wermster est un international qui, dans sa vie, a déjà franchi, régulièrement ou en fraude, un certain nombre de frontières... Il s'attend si bien à en franchir d'autres que son passeport porte d'avance quelques visas qu'il est trop long d'obtenir au dernier moment...

» Vous vous souvenez, patron, du raisonnement du chef de la police néerlandaise?... A quoi ce raisonnement d'homme qui s'y connaît a-t-il abouti?

Et Torrence de répondre docilement:

— A un coup de téléphone à une compagnie de navigation...

— Eh bien! Je parie que Wermster, lui aussi, a téléphoné à une compagnie de navigation... Je vais d'ailleurs faire exactement la même chose, et nous saurons si mon raisonnement tient debout ou si...

Un chasseur lui demande la communication avec la compagnie qui s'occupe de l'Astoria. L'entretien est long, difficile. Quand Emile revient, il a un petit sourire qui en dit long.

— Gagné, patron... C'est vous qui paierez la tournée, et je vais remettre ça... Tout d'abord, on hésitait à me répondre... Les gens d'ici sont d'une méfiance inouïe... Enfin!... Encore une chance que les bureaux des compagnies de navigation restent ouverts la nuit qui précède les départs de paquebots... J'ignorais d'ailleurs ce détail...

» Le central téléphonique, auprès de qui je me suis réclamé du chef de la police, m'a révélé tout d'abord que, la nuit dernière, le numéro de Paris, Elysée 64.37, qui est le numéro de Wermster, a demandé trois communications coup sur coup à Amsterdam... Il s'agissait de trois compagnies de navigation... Les deux premières n'ont pas répondu... La troisième a déclaré que l'Astoria appareillerait ce soir de Rotterdam pour l'Amérique du Sud...

» Wermster était donc renseigné... Comme le chef de la police, il en concluait que la voleuse du vison chercherait à s'embarquer à bord de l'Astoria...

» Aussitôt, il saute dans son auto en emportant ce qu'il a de plus précieux...

» Quelqu'un qui fera un drôle de nez, ce matin, c'est la jeune Nathalie Frécourt...

» Ce n'est pas tout, patron... La compagnie en question me confirme que Wermster a bel et bien retenu une cabine de première classe à bord de l'Astoria...

» Comprenez-vous, maintenant, pourquoi ce monsieur n'a plus du tout envie d'avoir l'Agence O dans les jambes?

» Tant qu'il n'espérait pas s'en tirer tout seul, il a fait appel à nous...

» Il avait besoin d'aide pour le gros de la besogne... Et, en effet, c'est nous qui avons découvert l'homme à la tache lie-de-vin, puis la piste d'Amsterdam...

» A partir d'ici, il est sur son terrain... Nous ne lui sommes plus d'aucune utilité... Nous risquons, au contraire, de lui mettre des bâtons dans les roues...

» Et voilà pourquoi il n'hésite pas à nous offrir double prime si nous acceptons de rentrer gentiment à Paris et de nous occuper de ce qui nous regarde...

Torrence pousse un profond soupir.

— Mon raisonnement ne vous plaît pas?

— Il est astucieux... murmure Torrence. Mais je ne vois toujours pas comment un vison de quarante mille, voire de cent mille francs, peut provoquer de telles allées et venues, et...

-- Nous allons déjeuner, voulez-vous? Je me suis déjà renseigné sur les spécialités d'ici...

— Ni moules, ni frites surtout!

-- Il y a un petit restaurant près du port où on ne sert que du poisson et où, paraît-il...

Au moment de payer les consommations, Torrence a un regard inquiet pour son collaborateur, car il constate avec stupeur qu'Emile vient bel et bien de vider cinq verres de genièvre.

V

Où la douane sert à quelque chose et où l'homme à la

tache lie-de-vin, s'il était présent, ferait drôle de figure

— Mais si, patron, elle viendra... La police a été assez discrète pour ne pas l'effaroucher, même si elle est sur ses gardes... Et comment serait-elle sur ses gardes?... Elle est persuadée que personne, sauf certain bonhomme qui se trouve à Paris, n'est au courant de son secret...

— Quel secret?

— Vous le saurez tout à l'heure... Ça ne vous donne pas envie de voyager, vous, cet embarquement?

Ils sont tous les deux à la gare maritime de Rotterdam. Un train spécial a amené un certain nombre de voyageurs et les grues ne cessent de hisser, dans d'immenses filets, des tonnes et des tonnes de bagages, voire des automobiles.

C'est le cas de M. Wermster, qui a amené sa voiture, une puissante douze-cylindres, que des matelots sont occupés à arrimer solidement dans la cale. M. Wermster, en passant devant les deux hommes de l'Agence O, a évité de les saluer.

— Pourvu qu'elle ne se soit pas débarrassée du manteau de vison... soupire Torrence.

— Je suis certain qu'elle ne s'en est pas débarrassée... Il lui est trop utile...

— Je ne comprends pas... Sans compter qu'elle devra payer des droits de douane...

— Justement!

Torrence renonce à comprendre. Emile, lui, est comme un petit poisson dans l'eau, mais, ce jour-là, il s'est révélé tellement amateur de genièvre que son patron n'est pas sans inquiétude sur son on équilibre.

Le chef de la police d'Amsterdam a envoyé un de ses meilleurs collaborateurs qui, en civil, se tient, comme un simple employé, à côté de l'homme chargé de contrôler les passeports.

Cela se passe à bord. Elie Wermster s'y trouve déjà. Il a choisi une des meilleures cabines sur le pont supérieur, et maintenant il rôde aux environs de la passerelle en fumant un gros cigare.

En principe, il est sauvé. Ses papiers ont été épluchés en vain. Ses bagages ont été examinés minutieusement, plus minutieusement qu'il n'est de règle.

Dix heures... Dix heures et demie...

Les deux hommes de l'Agence O sont à terre. Ils rôdent dans le hangar de la douane et sur les quais. Un taxi s'arrête enfin.

Une jeune femme beaucoup trop brune, d'autant plus que son teint est celui d'un Rubens, en descend, affairée, avec une seule malle, achetée tout récemment. Elle porte un manteau de vison.

Coup d'œil aux douaniers, qui ont reçu des instructions. Tout près d'eux, Torrence fume sa pipe! Emile suce sa cigarette sans feu, l'air aussi innocent que possible.

— Rien à déclarer?

Elle ouvre la malle. C'est une malle qu'elle a achetée le jour même et elle n'a pas encore l'habitude de la serrure. Emile s'approche pour l'aider.

Rien que du neuf, là-dedans, du linge fin, des vêtements achetés dans les grands magasins de confection. Pas une seule pièce qui ait déjà été portée.

On sent que Liske, après avoir passé des heures chez le coiffeur, qui l'a transformée en brune, a couru les magasins pour se constituer un trousseau. Elle n'a pas regardé au prix. Le linge est en crêpe de Chine. Il y a douze paires de chaussures de grand luxe, toutes plus voyantes les unes que les autres.

— Vous avez la facture de ce vison?

— Pourquoi? Il faut une facture?

— A moins que vous vouliez payer les droits sur le prix fort...

— Combien?

Le douanier se livre à un rapide calcul, lance un chiffre, et elle paraît soulagée, elle ouvre son sac, qui est plein de billets de dix et de cent florins.

— Je me demande, intervient alors Emile, si vous avez bien examiné ce manteau...

Jusque-là, Liske a essayé d'imiter l'accent espagnol. A ce moment, elle se tourne vers Emile, aussi vivement que si un serpent l'avait piquée, et elle lance, avec l'accent belge retrouvé:

— Qu'est-ce que c'est que celui-là?

Au clin d'œil d'Émile, le douanier s'est mis en devoir de tâter la fourrure.