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— On dirait, fit remarquer Emile, que les gens qui possèdent cette maison s'en servent comme débarras et qu'ils ont un bateau assez important... L'ancre est lourde... Chaînes et cordages ont dû servir à bord d'une péniche...

Dans la troisième pièce, rien, sinon un vieux chevalet de peintre tout démantibulé.

— Venez voir au premier... Je crois que c'est par-là qu'il y a quelque chose d'intéressant...

Trois chambres encore. Deux d'entre elles complètement vides. Dans la troisième, qui donnait sur la rivière, mais dont les fenêtres étaient aveuglées par des planches clouées à l'extérieur, un lit de fer, une paillasse, une couverture.

— Vous remarquez, dit Emile, que la maison n'a pas l'électricité. Cette pièce paraît avoir été habitée, et pourtant on n'y trouve aucun moyen d'éclairage... Ni lampe à pétrole, ni bougie, ni pile électrique...

Le plus impressionnant — et ce qui donnait à cette pièce une odeur fétide — c'étaient les boîtes à conserves vides qui s'entassaient dans un coin à même le plancher. Il y en avait un grand nombre: conserves de sardines, de singe, de harengs au vin blanc...

Emile, songeur, allait et venait dans la chambre et, à chaque instant, il devenait plus soucieux.

— Notez, dit-il à Torrence, qu'il n'y a pas un seul morceau de pain... Par contre, voici une boîte de biscuits de mer... Qu'est-ce que cela nous prouve?

Torrence le regarda avec des yeux ronds.

— Qu'il n'y a pas de boulanger dans les environs? Est-ce cela que vous voulez dire?

— Non... Cela prouve que le prisonnier était seul dans cette maison... S'il y avait eu quelqu'un pour le garder, on aurait pu lui donner du pain plus ou moins frais...

« Tenez!... Voici trois brocs dans un coin... Pourquoi trois brocs, alors qu'il n'y a même pas une cuvette pour se laver?... Parce qu'il fallait laisser au malheureux des provisions d'eau pour plusieurs jours... Comptez ces bouteilles vides et pleines... Il y en a une vingtaine... Du vin pour un certain temps...

C'était sinistre, d'autant plus sinistre que les trois hommes n'avaient pour s'éclairer que leurs lanternes sourdes.

— L'homme n'avait que cette seule pièce à sa disposition. On a placé une seconde serrure à la porte, et celle-ci est en chêne épais... Vous ne trouverez pas dans la chambre un seul objet lourd permettant, soit de défoncer l'huis, soit de faire voler la fenêtre et sa doublure de planches en éclats... Barbet!... Torrence!... Braquez donc vos lampes sur la paillasse...

Emile s'était penché. Quand les trois faisceaux lumineux se rejoignirent sur la paillasse, on put distinguer ce qui avait intrigué le jeune homme roux.

C'étaient des poils blancs en assez grand nombre. Ils étaient drus, légèrement frisés.

— Des poils de barbe!... Comprenez-vous?... Avant que le prisonnier quitte cette pièce, on lui a coupé la barbe, qu'il avait blanche... Pourquoi?... Je n'en sais rien...

— Dites donc, patron, vous ne croyez pas qu'on l'ait enterré dans la cave?

Emile hocha la tête.

— D'abord, depuis huit jours qu'il pleut, cette cave est inondée... Il aurait donc été difficile d'y creuser une tombe...

Ensuite, il n'y a aucune raison de couper la barbe d'un mort ou d'un homme qu'on va tuer...

— Qu'est-ce que nous faisons? Questionna Torrence, qui aurait aimé se sécher devant un bon feu.

— On continue... Le moindre centimètre carré de cette maison peut nous apporter des indications...

Ce n'est qu'à une heure du matin qu'ils réveillèrent un hôtelier de Lagny, réclamèrent du vin chaud, puis des chambres.

A huit heures, dans un jour glauque, le paysage ne leur parut guère plus plaisant que la nuit.

L'aubergiste, qui frottait à la craie la grande glace placée derrière son comptoir, fut interrogé le premier.

— Dites-moi, la maison qui se trouve à peu près en face de l'écluse de Chelles...

— La maison de la briqueterie?... Vous ne voulez 'pas la louer, des fois?

L'hôtelier était nettement ironique.

— A qui appartient-elle?

— A Laurence... Mais si vous pouvez tirer un mot sensé de Laurence...

— Qui est Laurence?

— Une vieille qui boit comme un trou, comme dix trous, comme tous les trous de la briqueterie où elle habitait jadis... A cette heure-ci, si elle n'est pas dans sa chambre, vous la trouverez au poste de police, où elle cuve son vin trois nuits sur cinq...

On découvrit Laurence, non au poste de police, mais dans une chambre qui ressemblait davantage à une écurie. Son premier soin fut de réclamer du vin rouge. Après quoi, la bouche pâteuse, elle questionna méfiante:

— Qu'est-ce que vous lui voulez, à ma maison?... Je sais! Je sais! On aimerait mieux que je la vende... Pas si bête!... Je suis propriétaire, moi, monsieur!... Et quand ces messieurs de la police essaient de me coffrer pour vagabondage, je peux leur répondre que je suis propriétaire et

que je paie l'impôt foncier... Ha! Hal... C'est ça qui les embête... Sinon, on aurait vite fait de boucler la pauvre Laurence...

— Vous avez des locataires?

— Qui est-ce qui pourrait m'empêcher d'avoir des locataires?... Des gens bien, encore!... Quand ils m'ont demandé de louer pour deux mois, je leur ai répondu:

» — Pas de ça, mon petit monsieur... Pour trois, six, neuf, comme tout le monde... Et il faut payer trois ans d'avance...

— Pardon... Ils ont habité la maison?

— Pourquoi est-ce qu'ils l'auraient habitée, puisqu'ils habitent sur l'eau?

— Ce sont des mariniers?

— Oui-da! Des mariniers! Appelez ça un yacht, oui... Une fois, je suis montée à bord, pour la signature... Car on a signé des papiers, parfaitement!... Tant pis si ça vous embête!... Je suis en règle, et si vous ne me payez pas un autre litre...

— Leur bateau était amarré dans le bief?

— Le quoi?

— Etait-il amarré non loin de la maison?

— Juste en face... C'est même pour ça qu'ils ont loué... Un bateau, ça a beau être grand, on n'a jamais trop de place... Surtout pour faire de la peinture...

— Qui faisait de la peinture?

— Le monsieur, donc!... C'était l'été... Alors, il peignait dans la maison... Même qu'une fois je suis entrée et que j'ai trouvé la petite dame toute nue... Elle posait, qu'Il m'a dit...

— Quelle petite dame?

-- Une blonde... Une étrangère, que je comprenais à peine quand elle parlait... Mignonne, messieurs!... Des petits seins comme des pommes et une peau aussi blanche que du lait...

— C'était l'été dernier?

— L'été d'avant... Oui...

— Et ils sont revenus l'été dernier?

— Non... Je ne les ai pas revus... Paraît qu'il y a eu parfois de la lumière dans la maison, mais ça ne me regarde plus, vu que j'ai loué pour trois, six, neuf... J'ai fait croire aux imbéciles du pays que c'étaient peut-être des revenants et il y en a qui parlent de la maison hantée... Pour vous dire comme ils sont bêtes...

— Comment s'appelle votre locataire?

Elle réfléchit, l'œil hagard.

— Je ne sais pas, avoua-t-elle après un effort. J'ai oublié. C'est surtout de la tête que je m'en vais, voyez-vous!... C'est à peine si je me rappelle le nom de mon défunt mari... Il s'appelait Jules... Il prenait de ces cuites!...

— C'était un nom français?

— Peut-être bien que oui... Pour un beau bateau, c'était un beau bateau, tout verni... La forme d'une péniche, mais, dedans, il y avait de vrais salons...

— Vous ne retrouvez pas non plus le nom du bateau?

— Pour ça, si! Même que c'était assez coquin et que ça allait bien avec la petite dame...