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— Dites-le...

— Cupidon, monsieur... J'ai demandé ce que ça voulait dire... Quand on m'a expliqué...

Une heure plus tard, l'Agence O, qui se partageait la besogne, avait réuni un certain nombre de renseignements.

Une péniche, aménagée pour la navigation de plaisance sur les canaux et rivières, avait passé trois mois, deux ans plus tôt, au bord de la Marne, à cent mètres du canal de Chelles. Le propriétaire était un artiste peintre, un grand et bel homme, aux yeux bleu très clair.

Il était accompagné d'une très jeune femme d'un blond qui paraissait artificiel. Elle parlait à peine le français.

Plusieurs fois le garde champêtre était intervenu, à cause de la tenue plus que sommaire dans laquelle cette jeune femme se promenait sur le pont du bateau. On disait que, la nuit, le couple se baignait tout nu dans la rivière.

Les propriétaires de la péniche Cupidon recevaient parfois un grand nombre d'invités. Dans ces cas-là, la fête, à bord, durait toute la nuit et on retrouvait jusqu'à l'écluse des bouteilles à champagne vides qui dérivaient au fil de l'eau.

Personne ne savait ce que le Cupidon était devenu. On confirmait, par contre, qu’à plusieurs reprises on avait aperçu de la lumière dans la maison.

— Ils avaient laissé des affaires, vous comprenez?... Alors, sans doute qu'ils venaient les chercher...

A midi moins le quart, Torrence, vêtu d'un complet sec et d'une gabardine toute neuve, pénétrait au Ministère des travaux publics et demandait le bureau de la navigation fluviale.

Un rédacteur le reçut aimablement.

— Le Cupidon?... Vous permettez?... S'il navigue en plaisance, il ne sera pas difficile de le retrouver... Pensez que, grâce aux écluses, il nous est facile de suivre les allées et venues de tous les bateaux...

Il compulsa les dossiers.

— Attendez donc... L'été dernier, le propriétaire du Cupidon...

— Vous avez son nom?

— Dassonville... Jean Dassonville, artiste peintre... Un instant... Le Cupidon a reçu un permis de circulation pour la Seine... Il a dû passer les mois d'août et de septembre à Honfleur... Voyez-vous, ces bateaux-là ne naviguent pas beaucoup... Ils cherchent un endroit agréable et s'y fixent pour les vacances...

— Vous pouvez savoir où se trouve actuellement le Cupidon?

— A moins qu'il ait changé de poste récemment, il est amarré un peu au-dessous du pont de Saint-Cloud... C'est un endroit fort recherché pour l'hivernage... On est à Paris et on est en même temps à la campagne... Savez-vous que le nombre de gens qui vivent en bateau augmente de mois en mois?... Pas de loyer, pas de propriétaire et la possibilité de changer de quartier en quelques heures!... Il y a eu un moment où la Seine, en plein Paris, était encombrée de bateaux de ce genre, et nous avons dû y mettre bon ordre... Aucune loi n'interdit...

A une heure exactement, Emile et Torrence, attablés dans un petit restaurant sympathique de Saint-Cloud, mangeaient des escargots en contemplant une longue péniche, aménagée en maison flottante, qui portait en lettres d'or le nom Cupidon.

De la fumée sortait de la cheminée. A l'arrière, un énorme chien danois était à l'attache sous un petit toit qui l'abritait de la pluie.

Une accorte serveuse apportait un fricandeau à l'oseille quand, sur le pont de la péniche, une jeune femme parut et posa une écuelle devant le chien.

Sa tenue indiquait que ce n'était pas une domestique. Ce n'était pas non plus la jeune femme blonde décrite par la pitoyable Laurence.

C'était une des plus belles brunes que Torrence et Emile eussent jamais contemplées.

II

Où Torrence s'essaie à jouer les mécènes, mais où la pré-

sence d'une petite Japonaise entièrement dévêtue n'est pas

sans le gêner

Le déjeuner des deux hommes n'était pas terminé, dans le petit restaurant de Saint-Cloud, qu'ils avaient déjà des nouvelles de Barbet, laissé à Lagny pour continuer l'enquête. Les renseignements de Barbet confirmaient ceux qu'on possédait déjà. Ils avaient en outre l'avantage d'écarter définitivement toute idée de mystification.

Le garçon de bureau de l'Agence O, en effet, avait mis la main sur un gamin de quatorze ans, que tout le monde surnommait Passoire, à cause des traces que la petite vérole avait laissées sur son visage. Ce qui avait fait sourciller Barbet, c'est que le gosse vendait des brochettes de grenouilles de porte en porte. De là à penser aux trous de la briqueterie…

Il se confirmait que le dénommé Passoire avait en effet trouvé, quatre jours plus tôt, la lettre sur la berge, juste en face de la maison. Il l'avait mise dans sa poche et il l'y avait gardée quarante-huit heures. C'est par hasard qu'il avait eu l'idée, en apercevant une boîte postale, de la jeter dedans.

Il était donc évident:

1° Qu'un homme avait été séquestré pendant plusieurs semaines dans la bicoque, du bord de l'eau;

2° Que cet homme y passait la plupart du temps seul, dans une pièce du premier étage, sans gardien;

3° Qu'il était parvenu à écrire une lettre et qu'il avait adressé celle-ci, non à la police officielle, mais à l'Agence O;

4° Qu'il avait vraisemblablement glissé cette lettre entre deux des planches qui masquaient ses fenêtres;

5° Qu'au cours des trois derniers jours, on était venu le chercher.

En effet, s'il s'était échappé, sans doute aurait-il averti l'Agence O. En outre, on aurait retrouvé des traces d'effraction, ce qui n'était pas le cas.

La maison, enfin, était louée pour neuf ans à un certain Jean Dassonville, artiste peintre, qui vivait à bord de la péniche Cupidon et qui, deux ans auparavant, était accompagné d'une jeune étrangère blonde.

— Vous connaissez les locataires de cette péniche? demandait Torrence en prenant un air aussi indifférent que possible.

Le patron du petit restaurant, un brave homme d'Auvergnat, ne manqua pas de faire la grimace.

— J'aimerais autant ne pas les connaître... grommela-t-il, en essuyant la table avec la serviette qu'il avait toujours sous un bras.

— Ce sont vos clients?

— C'est-à-dire qu'ils restent des semaines sans mettre les pieds ici. Puis, une nuit, à onze heures du soir ou à une heure du matin — les heures ne comptent pas pour eux! —ils réveillent toute la maison en frappant comme des sourds sur les volets et ils réclament des bouteilles de fine, de champagne, de chartreuse ou de bénédictine...

— Parce qu'ils ont des amis?

— C'est cela! Vous ne pouvez vous imaginer ce qu'il défile de monde à bord de ce bateau... Des gens de toutes sortes... Des rapins aux longs cheveux... Des femmes qui ne valent pas grand-chose et des femmes du monde qui arrivent en voiture avec chauffeur... Parfois, c'est assez correct... D'autres fois, cela fait du tapage toute la nuit... Ce sont ces nuits-là qu'on nous dérange lorsque les provisions de boissons sont épuisées... Enfin, il se fait que j'ai une fille...

Regard interrogateur de Torrence.

— Vous voyez d'ici comment ils ont aménagé la péniche?... Dans ses flancs, ils ont percé de grandes fenêtres... L'arrière est vitré... Eh bien! Messieurs, on ne se gêne pas, là-dedans, pour se mettre tout nu, sous prétexte de peinture, sans seulement se donner la peine de tirer les rideaux...

— M. Dassonville vend beaucoup de tableaux?

— Beaucoup, je ne sais pas... Le fait est que, de temps en temps, on voit quelqu'un s'éloigner avec une toile sous le bras... Des fois, on me paie... des fois, on me fait attendre tout un mois... Certaines fois, quand ils ne sont pas en fonds, on vient manger ici et on fait une ardoise... Pour ma part, je n'aime pas les hommes aux yeux froids...

Emile et Torrence se regardèrent. Qu'est-ce que ce brave Auvergnat entendait par des hommes aux yeux froids?