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Toutes les filles rêvaient d’entendre ce genre de phrase de la part d’un garçon ; elle devait, elle, l’entendre de la bouche d’un mage aux traits impassibles et à la voix égale.

« Je n’ai rien de si particulier. Mes talents sont rares et le contrat de Ringhmon rapportera beaucoup d’argent à ma guilde, mais… » Mari se rendit compte que le mage la fixait sans ciller. « Quoi ?

— Connais-tu le don d’augure ?

— Le don d’augure ? Comme ceux qui racontent la bonne aventure ? » lâcha Mari, sur un ton méprisant.

« Non », répondit le mage sans donner l’impression d’être blessé. Ce qui ne voulait pas dire grand-chose vu qu’il avait tendance à ne jamais montrer ce qu’il ressentait. « Le véritable don d’augure dit ce qui va se passer et on ne peut y faire appel de manière fiable. De plus, il n’est pas aisé de comprendre ce qui a été vu ou entendu. » Le mage la regardait droit dans les yeux, son expression était empreinte de sérieux malgré l’absence d’émotion sur son visage. « J’ai développé un modeste don de ce type. Un nouveau danger t’attend à Ringhmon. »

Mari se raidit et effleura son torse du bras gauche pour sentir le pistolet dissimulé dans le holster sous sa veste.

« Ne me dis pas que tu me menaces. » Toutes les mises en garde qu’elle avait reçues à l’encontre des mages revinrent en force.

Il la considéra pendant un long moment avant de répondre.

« Non, je ne suis pas la source de ce danger. »

Bien sûr, pensa Mari. C’est un attrape-nigaud. Le mage voulait qu’elle lui offrît quelque chose en échange d’informations. La plus vieille arnaque du monde. Quel culot il avait de la lui sortir alors qu’ils étaient poursuivis par des bandits !

« Qu’est-ce que tu veux ? Combien m’en coûterait-il pour en savoir plus sur ce danger qui, selon toi, m’attend ? »

L’expression du mage ne varia pas d’un iota.

« Aucune somme d’argent, aucune faveur d’aucune sorte n’y changerait rien. Ce que j’ai appris par mon don n’a aucune valeur pour moi. Je vais te dire le peu que je sais. »

Il voulait assurément une rétribution. Ses supérieurs au sein de la guide avaient tous décrit les mages de la même manière : des bonimenteurs avides d’argent, des imposteurs, des menteurs à qui il ne fallait jamais faire confiance ni même adresser la parole. Sans parler de les toucher. Combien de règles avait-elle enfreintes aujourd’hui ?

« Tu n’exiges aucun paiement ? »

Il secoua la tête.

« Tu n’as pas souscrit d’accord pour recourir à mes services. T’avertir peut être considéré comme afférent au contrat passé avec les propriétaires de la caravane. En tout état de cause, tu ne me dois rien et l’argent ne m’intéresse pas.

— Comment peux-tu être aussi froid à propos de tout ? »

Elle aurait juré avoir vu la pointe des lèvres du mage s’incurver fugacement vers le haut tandis qu’il désignait le soleil qui dardait ses rayons sur eux.

« Pour tout t’avouer, j’ai plutôt chaud en ce moment. »

Même si la phrase avait été énoncée d’une voix dénuée d’émotion, ce signe d’humanité ou, à tout le moins, cette preuve d’un sens de l’humour dissipa la colère de Mari. Un garçon se cachait derrière le visage que le mage Alain utilisait comme masque. Il semblait sincère et son refus de rémunération battait en brèche tout ce qu’on avait enseigné à Mari sur la guilde des mages. Alain était un mage étrange, mais il n’était pas malveillant.

« Donc tout ce que tu sais, c’est qu’un danger m’attend à Ringhmon.

— J’ai entendu des paroles qui n’ont aucun sens pour moi. À Ringhmon, prends garde à ce qui pense, mais ne vit pas. »

Mari retint sa respiration, certaine qu’elle venait de trahir le choc qu’elle ressentait. Elle inspira lentement pour redevenir maîtresse d’elle-même, tout en spéculant sur la manière dont un mage avait pu avoir vent du contrat secret pour lequel elle devait se rendre à Ringhmon.

« Pourquoi dis-tu cela ?

— C’est ce que j’ai entendu. Je n’en comprends pas le sens. Je ne connais rien qui pense, mais qui ne vit pas.

— Pas même un appareil des mécaniciens ?

— Je ne sais rien des appareils des mécaniciens, quels qu’ils soient. » Le mage s’interrompit et posa son regard sur elle ; ses yeux étaient le seul élément vivant de sa figure figée. « Je n’ai pas quitté les hôtels de la guilde des mages depuis l’âge de cinq ans. On m’y a appris que tous les appareils des mécaniciens étaient des attrape-nigauds. »

Mentait-il ? Il ne pouvait que mentir. Mais pourquoi ? Et pourquoi prétendait-il ne rien savoir de plus s’il voulait lui extorquer quelque chose ?

« C’est exactement ce que l’on m’a inculqué au sujet des mages ; tout ce que vous faites se résume à de vulgaires tours de passe-passe. »

Le mage Alain considéra ce qu’elle venait de dire avant de reprendre la parole.

« Eh bien, il semble que nos informations soient erronées. »

Cette fois, il ne plaisantait pas. Ou si ? Mari était incapable de trancher. Elle n’avait jamais été très douée pour comprendre les garçons, qui étaient bien plus compliqués à décrypter qu’une panne de locomotive à vapeur ou une équation de dynamique des fluides. Et ce mage paraissait encore plus difficile à appréhender que tous les apprentis et les mécaniciens confirmés qu’elle avait côtoyés en grandissant.

« Je ne te suis pas, lança-t-elle. Que veux-tu ?

— Ce que je veux n’a aucune importance. »

Il avait prononcé ces paroles mécaniquement, si tant est que la description pût s’appliquer à un mage, comme si chacun des sons lui avait été chevillé au corps.

Se souvenant des pires brimades qu’elle avait endurées pendant son apprentissage, Mari se demanda quel avait été son parcours. Que lui avait-on infligé pour qu’il ait l’air si inhumain ?

« Pourquoi ne peux-tu pas te comporter comme n’importe qui ?

— Je ne suis pas n’importe qui », lui répondit-il avec un regard insondable.

Sans qu’elle puisse s’en expliquer la raison, ses mots éveillèrent en elle un sentiment de tristesse.

« Je te demande pardon, mage. » L’excuse formelle faillit rester coincée dans sa gorge parcheminée, mais Mari la força à sortir et vit une surprise sincère traverser les yeux d’Alain. « Je suis une mécanicienne, mais je ne suis pas étroite d’esprit. » Ce qui m’a déjà mise dans le pétrin un nombre incalculable de fois. « Merci pour ton avertissement. »

Le mage pencha la tête.

« Mer…ci », répéta-t-il. Les syllabes franchirent ses lèvres dans un grincement rouillé, son regard se fit plus intense.

« Merci, dit-il de nouveau dans un souffle, pour lui-même, la compréhension se frayant un chemin dans sa voix. Je… me souviens. Asha.

— Asha ?

— Il y a longtemps. Je ne me rappelle plus ce qu’il faut répondre. » Le regard qu’il posa sur elle ne laissait filtrer aucune émotion. « Qu’est-ce que je réponds ?

— Eh bien… tu réponds… je t’en prie. »

Les réactions du mage induisaient chez Mari une peine singulière.

« Oui. » Il inclina la tête dans sa direction. « Je… t’en… prie, maîtresse mécanicienne Mari. »

Détournant les yeux afin de dissimuler ses sentiments, Mari se demanda qui ce garçon avait pu être avant que les mages ne lui mettent la main dessus. Cependant, lui aussi était un mage désormais, et elle ne pouvait rien y changer.

« Euh… allons-y, juste au cas où les bandits seraient toujours à nos trousses. Nous nous sommes reposés aussi longtemps que possible. »