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— Plus périlleuse que ce désert que nous traversons depuis si longtemps ? »

Le commandant hésita, l’inquiétude parcourut son regard tandis qu’il s’échinait à comprendre le sens de la remarque d’Alain.

« Oui, sire mage. Le défilé est plus dangereux que la chaleur, la soif et la poussière. » Il désigna de la main les sommets rocheux qui s’élevaient de part et d’autre de l’étroit passage. « Les bandits s’aventurent rarement loin dans le désert, et derrière ces collines les patrouilles de Ringhmon veillent à préserver l’ordre. Aussi, si nous devions essuyer une attaque, si des brigands rôdent dans les parages, c’est dans ce défilé qu’ils tenteront leur chance. Ce n’est pas pour rien que ce lieu est surnommé le défilé Tranche-Gorge. »

Il hésita de nouveau, esquivant le regard d’Alain.

« Sire mage, avez-vous quelque…

— Non », laissa tomber Alain sans prononcer un mot de plus. Chez certains mages le don d’augure s’exprimait par de brefs flashs avertissant d’événements à venir, mais jamais de manière fiable. Pour sa part, il ne l’avait jamais ressenti. Les doyens affirmaient que le danger ou le stress pouvaient activer cette capacité, cependant Alain n’avait absolument pas l’intention d’expliquer tout cela à un homme du peuple.

« Pourquoi Ringhmon n’installe-t-elle pas une garnison au défilé ? »

Le commandant passa nerveusement la langue sur ses lèvres avant de répondre. « Du point de vue de Ringhmon, entretenir une garnison ici serait à la fois trop complexe et trop dispendieux, sire mage. Approvisionner des troupes fournies dans cette région aurait un coût exorbitant ; et un détachement trop réduit risquerait de tomber sous l’assaut des bandits. » Il pointa son doigt devant lui. « Voyez-vous cette colonne, sire mage ? Ringhmon prétend qu’elle marque la frontière de son territoire, mais c’est du vent. Les autorités locales peinent à contrôler la moitié des terres qu’elles s’attribuent.

— Ringhmon est bien trop orgueilleuse. » Alain énonça sa phase sur le ton de l’affirmation et non de la question.

« C’est parfaitement exact, sire mage », acquiesça avec franchise le commandant, qui parut néanmoins surpris qu’un mage s’intéresse à ces choses-là. « J’ai dû assister, sans piper mot, à leurs fanfaronnades sur la puissance de Ringhmon qui à elle seule empêcherait l’extension de l’Empire vers le sud. »

Alain garda une figure et une voix impassibles, tout en masquant l’amusement qu’il ressentait soudain.

« C’est le grand désert de la Désolation qui a arrêté les armées impériales.

— C’est tout à fait vrai, sire mage. » Le commandant désigna de la main l’espace derrière eux. « Vous avez vu les débris que nous avons dépassés sur la route il y a quelques jours. Ce sont des vestiges d’une expédition impériale. La chaleur, la soif et les tempêtes de poussière, voilà ce qui a mis un frein à la marche de l’Empire vers le sud. Ça et la volonté des grandes guildes. » La peur brûla subitement dans les yeux du commandant. « Je veux dire… votre guilde, bien sûr, sire mage. La seule véritable grande guilde. »

Alain ne réagit ni aux paroles de l’homme ni à ses excuses. Depuis son départ d’Ihris, il avait plusieurs fois entendu faire référence aux « grandes guildes » et avait fini par comprendre que les gens du commun parlaient ainsi de la guilde des mages et de celle des mécaniciens. Fait étrange que le peuple pût croire que les mécaniciens eussent quelque pouvoir ; néanmoins, tout comme les mages, ces derniers avaient des hôtels de guilde dans toutes les villes. Les doyens avaient enseigné à Alain que, tout comme les mages, les mécaniciens louaient leurs services à ceux qui avaient les moyens de se les offrir. Et si à cet instant Alain était lié par contrat à cette caravane marchande qui circulait dans l’étroite zone neutre séparant l’Empire et Ringhmon, son prochain engagement pouvait parfaitement l’associer aux armées impériales, et le suivant à leurs ennemis. Il n’avait de loyauté qu’envers sa guilde, et seule la solvabilité du client importait à la guilde des mages, tant que nul n’osait lever la main sur elle ni contrevenir à ses volontés en quelque domaine que ce fût. Si d’aventure une organisation ou un État prenaient le risque de s’attaquer aux mages – que ce fussent les villes mineures des îles Syndari à l’extrême ouest, les cités vaguement alliées de la Fédération de Bakre qui jouxtait Ringhmon à l’ouest, celles cernées de forêts de l’Alliance du Ponant au nord-ouest, les Cités-Libres qui tenaient les grandes chaînes de montagnes loin au nord, ou les vieilles cités du puissant Empire à l’est –, ceux-ci se verraient aussitôt refuser les services de la guilde alors que ses membres rejoindraient gracieusement les rangs de leurs ennemis. Aussi puissant que parût l’Empire aux yeux des gens du commun, l’Empereur n’avait pas d’autre choix que de se plier aux désirs de la guilde.

Seuls les mécaniciens défiaient ouvertement les mages, mais ils étaient quantité négligeable. C’était, du moins, ce que l’on avait inculqué à Alain. Les mécaniciens pensaient eux aussi diriger le monde. L’idée aurait été amusante, si les mages s’étaient autorisé l’amusement.

« Quelle sorte de bandits risquons-nous de croiser et quel en serait le nombre ? » Alain était satisfait d’entendre l’absence continue d’émotion dans sa voix. C’était la première fois qu’il était confronté à ce type de danger, mais nul ne serait en mesure de s’en apercevoir.

La nécessité de donner une réponse précise et circonspecte chassa la peur de l’esprit du commandant. L’air pensif, il se gratta le menton mangé par une barbe naissante, les yeux perdus au loin.

« Ni trop nombreux ni trop bien armés, je dirais. Toute bande qui dépasserait la douzaine aurait bien du mal à survivre par ici. De plus, il n’y a pas grand-chose à piller. Les caravanes comme la nôtre passent trop rarement. Je doute que les bandits du coin possèdent un fus… des armes plus imposantes que des épées et des arbalètes. »

Alain posa un regard imperturbable sur le commandant qui semblait suer plus profusément maintenant qu’il avait failli prononcer le nom des armes que les mécaniciens prétendaient si supérieures.

« Je fais mon affaire de n’importe quelle arme. »

Le commandant déglutit bruyamment alors, en essayant ostensiblement de trouver une formule diplomatique.

« Oui, sire mage, bien entendu. Nous n’en doutons pas un seul instant. Je vais passer mes hommes en revue, sire mage, si ma présence à vos côtés n’est plus requise.

— Vaquez », dit Alain, en reportant son attention sur la route qui s’étirait devant eux.

« Avec votre permission, sire mage. » Une vague de soulagement déferlant sur sa figure, le commandant s’inclina une dernière fois avant de talonner sa monture pour mettre rapidement autant de distance que possible entre Alain et lui. « Préparez… armes ! », cria-t-il de sa voix puissante qui roula sur le paysage désolé.

Les gardes vêtus de cottes de mailles défirent les sangles qui maintenaient leurs arbalètes et les armèrent afin d’y placer des carreaux. Sitôt cette tâche terminée, et l’arbalète calée sur l’avant de la selle, ils libérèrent les sabres dans leurs fourreaux.

Alain s’installa confortablement ; le regard porté vers l’avant, il sonda les alentours pour sentir le pouvoir qui en émanait. Un mage ne savait jamais par avance la quantité d’énergie qui imprégnait une région, mais on avait prévenu Alain que sur toute l’étendue de la Désolation il trouverait peu de réserves dans lesquelles puiser. Il se demanda si les bandits étaient au courant de ce fait et si cela pesait dans le choix de ce lieu pour tendre leurs embuscades. Les gens du commun n’étaient pas censés posséder un tel savoir, mais on avait appris à Alain que les mages sombres n’hésitaient pas à monnayer toutes leurs connaissances ou presque.