Выбрать главу

Le pas traînant des bœufs ralentit davantage quand la caravane atteignit le pied des collines et en commença l’ascension. Alain regarda autour de lui en tentant de préserver une apparente indifférence tandis que l’excitation d’une possible confrontation à venir bouillait en lui, un frisson qu’il ne put occulter à l’idée d’utiliser enfin ses talents dans un combat à mort. La peur était là, elle aussi, même s’il était incapable de déterminer si c’était la peur d’échouer à cet ultime test ou celle d’être blessé. Bien qu’il ne vît aucun signe de menace, Alain nota que les gardes surveillaient les rochers, arbalète en main, prêts à tirer.

Le jeune homme les scruta à son tour, mais, à mesure que le temps passait et que la caravane gravissait lentement la pente vers le défilé, il se rendit compte que la réflexion de la lumière du soleil sur la pierre nue le faisait pleurer. Il baissa les yeux et battit des paupières pour les reposer, avant de relever la tête.

Quelque chose scintilla brièvement tout en haut de la muraille. Une armure ou une arme, comme le comprit aussitôt Alain grâce à ses cours sur les arts militaires des communs, mais avant qu’il pût réagir, la terre jaillit de sous les premiers wagons du convoi dans une gerbe gigantesque de poussière et de rochers. Alain en resta bouché bée, son flegme de mage sérieusement entamé. Une pluie rocailleuse se déversa sur les chariots et le tonnerre de l’explosion résonna dans le défilé. À peine eut-il réalisé que les premières voitures s’étaient volatilisées avec les gardes qui les escortaient, que les montagnes retentirent de crépitements répétés, bien moins puissants que la première déflagration, mais suffisamment forts pour donner l’impression qu’une tempête s’était abattue sur la caravane. Alain cligna des yeux tandis que de brefs éclairs naissaient entre les rochers pour disparaître immédiatement.

Le conducteur du chariot d’Alain fixait, éberlué, le cratère au milieu de la route où se trouvait quelques instants plus tôt le véhicule de tête, tout en tentant de maîtriser la panique qui s’était emparée des bêtes de trait. Soudain, il se raidit comme s’il avait été frappé par un carreau d’arbalète, puis bascula en avant. Tout autour de lui, Alain entendait les hommes crier des instructions et s’époumoner d’effroi sous cet étrange orage ; il voyait de la poussière et des éclats de bois jaillir sous les impacts de sortes de projectiles. Les animaux hurlaient de terreur et de douleur avant de s’affaisser sur le sol et de mourir. Le commandant aboyait des ordres, son visage masqué par ses lunettes était impossible à déchiffrer, mais sa voix trahissait son inquiétude. Des gerbes poudreuses giclèrent subitement de ses vêtements et il chut pour ne plus se relever alors que son cheval s’enfuyait au galop.

Alain s’arracha à la contemplation du sang qui s’écoulait du torse du conducteur et formait une flaque autour de lui. Il devait faire quelque chose. La colère et la peur grandissantes déferlèrent en lui pour alimenter en énergie le sort qu’il préparait et s’ajouter à celle qu’il puisait dans les minces réserves des environs. Il leva sa main droite et sentit la chaleur s’accumuler juste au-dessus de sa paume pendant qu’il invoquait son existence. Cette chaleur n’est qu’une illusion. Je peux la rendre plus puissante. Je peux en accumuler assez au creux de ma main pour faire fondre la roche. Ce n’est qu’une altération temporaire de l’illusion du monde, mais c’est tout ce dont j’ai besoin.

La chaleur s’embrasa et devint visible. Alain tourna alors sa paume, désigna un point où étaient rassemblées plusieurs sources des mystérieuses lumières clignotantes et sa volonté y transféra les flammes.

La boule de feu ne traversa pas l’espace qui la séparait de sa cible, même si c’était toujours ce que pensaient avoir vu les gens du commun. Il avait créé l’illusion de chaleur à côté de lui et pouvait par un simple effort de volonté la transférer ailleurs. En un instant, elle s’évanouit et se matérialisa à l’emplacement qu’il avait désigné. La boule d’air surchauffé apparut à côté de sa cible et des fragments de roche fusèrent dans toutes les directions tandis qu’un tonnerre différent résonnait dans le défilé.

Les attaquants suspendirent leur assaut, comme sonnés, puis le relancèrent de plus belle. Ne voyant pas d’offensive venir depuis l’endroit où il avait projeté sa première boule de feu, Alain attira à nouveau la chaleur à lui. Un bref moment plus tard, une seconde explosion d’envergure marqua la destruction d’un autre nid de bandits.

Alain fut soudain cerné par une nuée d’éclats de bois. Il lui fallut quelques instants pour comprendre qu’il était devenu la cible principale des brigands. La peur naissante ne dura qu’une fraction de seconde, annihilée par son entraînement. Il sauta au pied du chariot et conjura un autre sortilège, qui courbait les rayons de lumière et les forçait à le contourner. Il baissa les yeux pour voir son image vaciller et disparaître.

Une fois dissimulé, Alain prit le temps de chercher de nouvelles cibles. Un garde poussa un cri et tomba près de lui, faisant fléchir sa concentration. Alain fixa l’homme mort, puis balaya du regard les environs. Il ne vit plus aucun garde défendre le convoi ; il n’était plus entouré que de cadavres qui gisaient dans la poussière. Plusieurs wagons avaient été renversés dans le mouvement de panique qui s’était emparé des caravaniers. Alain aperçut un des conducteurs qui s’enfuyait à toutes jambes, puis son corps fut parcouru d’un spasme et il s’écroula.

Suis-je le dernier ? Des gerbes sablonneuses s’élevaient autour d’Alain, lui rappelant que les assaillants tiraient au jugé sur son emplacement présumé. L’estomac noué par l’angoisse, il s’obligea à se concentrer à nouveau sur ses sorts. Si je veux survivre, si je veux sauver d’éventuels rescapés, je dois continuer à me battre.

Il en appela à ses pouvoirs pour créer une boule de feu après l’autre et les envoyer sur les rochers qui surplombaient la caravane. Une série d’explosions fit pleuvoir une cascade de gravats sur les agresseurs. Ce tir de barrage brisa enfin l’assaut. Des nuages de poussière roulèrent depuis les sommets du défilé, engloutissant ce qui subsistait du convoi et masquant aux yeux d’Alain la dévastation qui l’entourait ainsi que les positions des bandits.

Il cessa les hostilités, le souffle lourd, ruisselant de sueur. Il considéra ses mains tremblantes d’épuisement et prit conscience qu’il avait tant puisé dans ses forces que son sort de dissimulation s’était dissipé. Une erreur stupide digne d’un acolyte. Il ne serait plus en mesure de se défendre ni de protéger la caravane avant d’avoir pris du repos. Et même dans cette éventualité, il ne restait presque plus d’énergie à proximité. Sous ses robes, il portait un de ces longs couteaux qu’arboraient les mages, mais celui-ci ne serait d’aucun secours contre les armes dont disposaient les brigands.

Non que défendre la caravane eût encore quelque utilité. Les attaques frontales et latérales se poursuivaient, les malfrats répandaient la mort à l’aveuglette dans le brouillard poussiéreux. De plus en plus de carreaux d’arbalète se plantaient dans le sol ou les montants en bois des chariots, comme si les assaillants étaient à court de projectiles invisibles, bien plus meurtriers. Pourtant, Alain n’entendait nul mouvement proche, nul garde qui retournât le tir.

Il tituba vers la queue du convoi ; exténué par l’usage de la magie, il était néanmoins décidé à rejoindre les derniers wagons. Peut-être y avait-il là-bas des gardes survivants. Il espérait que le déchaînement de ses attaques dissuaderait les bandits d’avancer pendant quelques minutes encore, et laisserait ainsi le temps aux défenseurs de se regrouper.