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« Ce monde n’est pas réel. Mourir n’est qu’un passage d’un rêve à un autre. »

La mécanicienne le dévisagea comme s’il avait formulé des propos incompréhensibles.

« Tu as l’intention de mourir ici parce que tu penses que cela n’a aucune importance ?

— Je sais que cela n’a aucune importance », dit Alain de la voix la plus calme et la plus dénuée d’émotion qu’il put.

La mécanicienne plissa les yeux.

« Très bien, dit-elle. Ta guilde a signé un contrat pour que tu protèges cette caravane, c’est bien ça ? Et, par extension, que tu me protèges également. Pour ce faire, il va falloir que tu ne me quittes pas d’une semelle. Nous sommes les deux seuls survivants, et si tu restes ici alors que je m’en vais, cela voudra dire que tu romps le contrat. Allez, suis-moi ! Que ça te plaise ou non. »

La mécanicienne commença à s’éloigner. Alain hésita encore quelques secondes, puis il lui emboîta le pas. Après des années d’obéissance à l’autorité, il avait toutes les peines du monde à passer outre les ordres de la jeune femme, d’autant plus que ses arguments semblaient cohérents.

Sitôt assurée qu’Alain la suivait, la mécanicienne s’élança vers l’une des parois du défilé. Maintenant qu’il était derrière elle, Alain vit qu’elle portait un grand paquetage sur le dos. Il se demanda ce qu’il pouvait contenir de si précieux que la mécanicienne rechignât à l’abandonner pour se déplacer plus rapidement. Un trésor ? Les doyens avaient souvent répété que les mécaniciens étaient avides et prompts à la tromperie.

Ils escaladèrent des roches et gravirent une pente escarpée protégée des regards des brigands par le nuage de poussière. Pourquoi a-t-elle insisté pour que je l’accompagne ? Pourquoi ai-je obtempéré ? Malgré ces pensées, Alain ne quitta pas la mécanicienne durant l’ascension.

Les cris se rapprochaient peu à peu ; les bandits poursuivaient leur progression, mais avec précaution, sans doute en raison du manque de visibilité causé par la poussière. Les armes mécaniques ne tonnaient plus que très rarement désormais.

Ayant atteint une longue saillie, la mécanicienne venait de sauter par-dessus un amas pierreux lorsque trois silhouettes surgirent. Deux tenaient des arbalètes et la troisième une arme étrange à l’extrémité perforée, comme celle de la jeune femme. Les trois armes étaient braquées sur elle.

Consciente qu’elle était prise au piège, la mécanicienne s’immobilisa, les yeux rivés sur les bandits, tandis que sa main dardait vers son arme de poing. Le trio n’avait pas encore remarqué le mage qui peinait à la rattraper.

Chapitre 2

Une fois de plus, Alain invoqua la chaleur au-dessus de sa main, mobilisant ce qui lui restait de force ainsi que l’énergie résiduelle des lieux drainés par ses sorts précédents. Il prit conscience qu’il aurait pu fuir pendant que les bandits étaient occupés par la capture de la mécanicienne, mais il rejeta l’idée avant qu’elle ne prît corps.

Durant le laps de temps nécessaire à la création du sort, le doigt d’un des malfrats se contracta sur la détente de son arbalète. La mécanicienne aurait pu mourir, mais le bandit à l’arme étrange donna un coup sec dans l’arbalète et le carreau vola au loin sans causer de dommages.

« Imbécile ! S’il devait lui arriver quelque chose… »

La chaleur sur sa paume grimpa en flèche et Alain la déplaça sur un bloc rocheux situé dans le voisinage immédiat de l’homme au milieu du trio. Un battement de cils plus tard, la pierre explosait dans un fracas abominable.

L’individu le plus proche de la boule de feu poussa un cri strident tandis qu’il était propulsé de côté, puis on ne l’entendit plus. Criblés d’éclats acérés, ses compagnons furent projetés en arrière comme des poupées de chiffon.

Alain se plia en deux, tomba à genoux et s’affaissa contre un rocher. Il chercha à reprendre sa respiration en espérant qu’il n’y eût pas d’autres adversaires dans les parages. Alors qu’il s’efforçait de ne pas perdre connaissance, il leva les yeux à l’affût d’un danger potentiel et aperçut les bandits morts. Ses précédentes attaques avaient été portées à distance et il n’en avait pas contemplé le résultat. Cette fois, il vit distinctement le flanc carbonisé du brigand qui s’était trouvé au plus près du point d’impact de la boule de feu. Il vit des ruisseaux de sang s’écouler des dépouilles des deux autres malfrats. Alain détourna le regard des cadavres, se sentant envahi par une impression de vide à la vue des hommes qu’il venait de tuer. Ce ne sont que des ombres, se répétait-il inlassablement, mais ces mots ne lui apportèrent aucun réconfort. Il fut pris de nausées et se félicita de n’avoir rien mangé depuis un certain temps.

La mécanicienne le fixait avec des yeux exorbités. Elle fit quelques pas dans sa direction, posa un genou à terre et tendit la main vers lui, n’arrêtant son geste qu’au dernier instant avant de le toucher. Manifestement, même les mécaniciens savaient qu’on ne touchait jamais un mage sans sa permission.

« Est-ce que tu vas bien ? »

Il hocha la tête, incapable de parler.

« Qu’est-ce que tu as… » La mécanicienne se releva ; évitant les cadavres, elle courut vers le rocher qu’Alain avait embrasé, et effleura des doigts le cratère qui en ornait désormais le sommet. « C’est chaud. Bien trop chaud pour résulter uniquement de l’exposition au soleil. De la vapeur surchauffée pourrait provoquer cela, mais je ne vois pas comment tu pourrais cacher une chaudière à vapeur sous tes robes. Et puis, il n’y a pas de résidu apparent non plus. » La jeune femme revint rapidement vers lui, d’un air décidé. Cette fois, elle attrapa Alain par le bras et l’aida à se remettre sur pied. « C’est impossible à faire sans brûler quelque chose, ou utiliser un accélérateur. Qu’est-ce que c’est ? »

Surpris d’être empoigné par ses vêtements, Alain ne prêta pas immédiatement attention à ce que lui disait la jeune femme. Il ne parvenait pas à se concentrer, l’esprit embrumé par la fatigue et la peur ; aussi secoua-t-il la tête.

« Je ne comprends pas le sens de tes paroles.

— Tu n’as aucune idée de ce dont je parle ?

— Pas la moindre. » Des cris s’élevèrent en contrebas, aux abords de la caravane. « Nous ferions mieux de filer. Ils ont peut-être entendu le rocher exploser sous l’effet de mon sort.

— Un instant. Est-ce que tu tiens sur tes jambes ? »

Alain acquiesça et la mécanicienne le lâcha. Elle fit ensuite volte-face et ramassa l’étrange objet en métal dont la longueur dépassait celle de son bras. Alors qu’il l’observait de loin, Alain nota qu’il ressemblait vaguement à une arbalète, sauf que l’arbrier était plus long et ne comportait pas d’arc. Le métal de l’arme luisait sous la couche de poussière qui la recouvrait. Une odeur intense en émanait, âcre, presque piquante, mais avec en arrière-plan une note huileuse, profonde. Il éprouva le désir de l’examiner plus avant, mais l’objet étant de toute évidence l’œuvre des mécaniciens, il savait que ce ne serait pas avisé. Ses professeurs l’avaient averti des pièges dont les mécaniciens bardaient ce qu’ils avaient coutume d’appeler leurs appareils.

La mécanicienne tournait et retournait l’arme entre ses doigts en la soumettant à une brève inspection.

« Un modèle standard de fusil à répétition. Fabriqué dans les ateliers de la guilde à Danalee, dans la Fédération de Bakre. Celui-ci est tout neuf, il n’a été utilisé qu’une ou deux fois. » Elle leva les yeux vers Alain, puis abandonna l’arme par terre. « Mais le mécanisme de levier a été cassé, il ne nous sera donc d’aucun secours. » Elle jeta un coup d’œil rapide en direction des arbalètes que serraient dans leurs mains les deux autres bandits avant de s’en détourner avec un frisson. « Et je ne veux pas d’arbalètes d’aussi piètre qualité. »