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« Pourquoi les doyens de ta guilde cautionneraient-ils une telle chose ?

— Je te l’ai dit, mes… doyens… n’ont pas pour habitude de justifier leurs agissements. Ils n’écoutent pas et ils n’expliquent pas. » Ses émotions avaient glissé de l’emportement vers la frustration. « J’aimerais… » La mécanicienne le regarda avec une intensité qui l’étonna. « Je suis désolée. Je ne devrais pas évoquer tout cela avec un…

— Je suis un mage », dit Alain. Ce n’était pas son problème que cet état de fait fût source de quiétude ou de malaise pour les autres – dont les sentiments n’avaient aucune importance, de toute manière –, mais cette fois il comprenait la mécanicienne. Certains sujets ne pouvaient être débattus avec un étranger, et surtout pas avec un mécanicien. Néanmoins, peut-être pourrait-elle l’éclairer sur d’autres points.

« J’ai reçu un enseignement en stratégie militaire, attendu que je serai amené à collaborer avec des troupes de communs. C’est peut-être la raison pour laquelle on m’a jugé apte à mener à bien seul cette mission. Explique-moi ton mouvement tactique. Pourquoi as-tu choisi d’escalader la paroi du défilé au lieu de rebrousser chemin sur la route que nous avions suivie ? Pourquoi avoir opté pour la voie la plus ardue ? »

La mécanicienne s’affaissa, puis se mit à rire doucement, à la surprise d’Alain.

« J’imagine que c’est mon caractère qui veut ça. Quand je travaille sur quelque chose, une locomotive ou un parle-au-loin, je donne le meilleur de moi-même. Je ne cherche pas la simplicité. C’est vrai quoi que je fasse. Je n’aime pas la simplicité. Les mécaniciens émérites n’ont pas toujours apprécié cette façon de procéder. » Elle soupira, les yeux perdus dans le vague. « De ce que j’ai vu de la route que nous avions empruntée, elle était complètement dégagée. Nous aurions été repérés et rattrapés en un rien de temps. Escalader les murs du défilé semblait plus difficile, mais c’était la bonne voie.

— Tu as eu raison, dit Alain, avant de se demander pourquoi il avait éprouvé le besoin de formuler cette remarque à voix haute. Dès que j’ai eu le temps d’examiner les options qui s’offraient à nous, je me suis rendu compte que tu avais eu raison. »

Le regard de la mécanicienne se focalisa sur lui, perplexe. « Pourquoi un mage dit-il à une mécanicienne qu’elle a eu raison ?

— Je… » ne sais pas. « Parce que nous avons survécu et que nous avons une chance désormais d’arriver jusqu’à Ringhmon.

— Ouais. Une chance. » La mécanicienne referma les yeux. « As-tu des vivres ou de l’eau ? Parce que, moi, je n’en ai pas.

— Moi non plus.

— Combien de temps survivrons-nous sans eau dans la Désolation ? »

Alain mit quelques secondes à comprendre que la réponse attendue n’était pas un décompte précis de jours.

« Sur la carte du maître caravanier, j’ai vu des puits indiqués plus loin sur notre route, une fois ce défilé traversé. »

Elle rouvrit les yeux, le regard plein d’espoir.

« En es-tu sûr ? À quelle distance ?

— Je suis sûr, mais je ne sais pas à quelle distance. »

La mécanicienne Mari hocha la tête d’un air las et Alain souhaita pouvoir lui insuffler plus d’espoir. Elle n’est qu’une ombre. Ne l’oublie pas. Tout comme celles que tu as combattues aujourd’hui.

Un vide glacial sembla s’ouvrir en lui. Il n’avait jamais véritablement combattu jusqu’à ce jour, jamais tué. Tous les gens qu’il avait aperçus ou croisés dans le convoi gisaient morts au fond du défilé ; ces gens qui avaient compté sur lui pour les protéger. Ils n’étaient que des ombres, rien de tout cela n’aurait dû avoir d’importance, pourtant cela en avait.

Une autre sensation succéda au vide, et Alain se retourna vers la crête. Un voile noir, de ceux qui envahissent le champ de vision quand on manque de perdre connaissance à cause d’un effort physique trop intense, flottait juste au-dessus du gouffre. Il ne connaissait que trop bien ce phénomène après des années d’entraînement éreintant visant à ignorer ce que les non-mages appelaient réalité. Cependant, ce voile-là était différent. Il ne vacillait pas. Soudain, Alain comprit ce qu’il représentait. Le don d’augure, l’avertissement du danger. Ainsi ce don se manifestait-il enfin, dans une situation de tension extrême, comme l’avaient enseigné les doyens. Ces mêmes doyens l’avaient également mis en garde contre son manque de fiabilité. Alain rampa précautionneusement vers la crête jusqu’à apercevoir la pente qu’ils venaient de gravir. Des silhouettes l’escaladaient, visibles à présent qu’elles avaient surmonté le nuage de poussière, leurs armes mécaniques étincelant sous les rayons du soleil.

Alain se hâta de rebrousser chemin.

« Ils sont en train de grimper pour venir par ici », dit-il d’une voix ne laissant aucune place aux émotions traîtresses.

Chapitre 3

Mari sentit son cœur s’affoler en entendant les paroles du mage. Sa main droite fusa vers le pistolet qu’elle avait glissé dans son holster. Puis elle inspira profondément pour se calmer. Il était temps de partir. Par où ?

« Là-bas, dit-elle au mage en pointant une direction du doigt. Nous allons poursuivre l’ascension. »

Elle avait cessé de s’interroger sur la pertinence de leur alliance qui serait aussi courte que possible. Le mage l’agaçait avec sa voix neutre, sa figure impassible et ses agissements étranges. Néanmoins, qu’ils fussent toujours pourchassés par les prétendus bandits l’obligeait à faire équipe avec lui pour une simple question de survie, même si elle ne s’estimait nullement responsable de son sort.

Le mage la gratifia d’un de ses regards placides.

« Vers l’ouest ? Le terrain y est moins praticable. Par ailleurs, c’est de là que nous venons.

— Exactement ! Ils vont penser que nous fuyons sans réfléchir et que nous empruntons le chemin le plus aisé qui est dans la direction opposée.

— Sans compter que tu recherches toujours la difficulté.

— Eh bien… oui. » Elle ne s’était pas attendue à ce que le mage retienne ce détail. « Parce que, cette fois, c’est parfaitement logique. En plus, ce sera plus facile de rester cachés là-haut. » Mari se tut quelques instants en se remémorant le malaise du mage Alain après quoi-qu’il-ait-fait aux bandits sur le promontoire. « Est-ce que tu peux y arriver ? »

Et que ferait-elle s’il ne le pouvait pas ? Le laisserait-elle ? Non. Personne ne sera abandonné. Pas par moi. Pas même l’un d’entre eux. L’avoir touché pour l’aider à se remettre sur ses jambes avait été… bizarre, après tout ce qu’elle avait entendu au sujet des mages. Mais s’il avait de nouveau besoin d’assistance, elle serrerait les dents et ferait le nécessaire.

Malgré sa capacité à dissimuler ses émotions, le mage Alain lui lança un regard d’où émanait un fond d’amour-propre blessé. Pendant une fraction de seconde, il eut l’air plus humain : un garçon du même âge qu’elle.

« Bien sûr que je peux y arriver. »

Mari se leva en titubant, regrettant que ses outils ne fussent pas plus légers. S’en séparer était toutefois exclu. Son rang de maîtresse mécanicienne lui avait permis de se voir attribuer un des rares parle-au-loin portatifs. Il était rangé dans ses affaires, mais sa portée était si limitée qu’elle avait calculé qu’il leur faudrait être à moins d’une journée de marche de Ringhmon pour pouvoir demander de l’aide à sa guilde par ce biais. Jusque-là, ce ne serait qu’un objet lourd dans son sac.

« Pourquoi n’abandonnes-tu pas ton trésor ? » Le ton lisse du mage donnait l’impression que la réponse à cette question ne l’intéressait absolument pas.