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« Mon trésor ? » Elle le dévisagea, surprise, avant de s’apercevoir qu’il fixait son paquetage. « Ce n’est pas un trésor. Ce sont mes outils.

— Outils ?

— Les mécaniciens utilisent des outils. Personne ne t’a appris ça ?

— Non.

— Je n’ai pas le temps de développer, lâcha Mari, en se demandant si c’était une bonne idée d’expliquer ce concept à un mage. Sache simplement qu’un mécanicien ne doit jamais perdre ni abandonner ses outils. Jamais. C’est une des règles les plus importantes de ma guilde. »

Après une profonde inspiration, Mari se mit en route, gravissant péniblement une pente escarpée jusqu’à une paroi qu’elle escalada. La mécanicienne ne comprenait pas pourquoi le jeune mage était aussi épuisé. Il avait l’air en bonne santé et bien bâti, plutôt robuste même, pourtant il avait failli perdre connaissance après le… quoi-qu’il-ait-fait pour mettre les bandits hors d’état de nuire. Il devait donc y avoir un lien de cause à effet. Mais quel était-il ? L’ingénieur en elle n’avait cessé de s’interroger sur ce point, une distraction bienvenue à la peur qui lui nouait le ventre.

Malgré sa fatigue évidente, le mage restait dans son sillage, faisant preuve d’une détermination sans faille qui forçait l’admiration.

Ils dépassèrent une autre crête qui dissimula le chemin qu’ils venaient de parcourir. Mari essaya de déglutir et eut une quinte de toux qu’elle tenta d’étouffer en se couvrant la bouche des deux mains. Sur quelle distance les brigands allaient-ils les poursuivre ? Avaient-ils gagné du terrain ?

« Les as-tu aperçus, mage Alain ? »

Il secoua la tête.

« Non. Je n’ai entendu que quelques cris qui semblaient lointains. »

Peut-être avait-elle fait les bons choix. Je n’ai que dix-huit ans, et dix ans d’étude en ingénierie ne sont pas le meilleur des entraînements pour échapper à des bandits et survivre dans le désert. Savoir réparer une machine à vapeur ne va pas m’être d’une grande utilité dans le coin.

Le mage avait approuvé son premier choix et lui avait laissé la responsabilité des autres, croyant sans doute qu’elle savait ce qu’elle faisait. Elle aurait aimé se faire confiance à ce point. Pourquoi avait-elle été missionnée à Ringhmon de cette façon ? Dépêchée seule pour son premier contrat, en dépit de toutes les procédures standard, au prétexte que l’urgence de la situation ne permettait pas d’attendre le changement des vents pour qu’elle puisse prendre un bateau dans un port de l’Empire afin de rejoindre celui, minuscule, que Ringhmon entretenait sur la côte. Avec la paix qui régnait en ce moment entre ces deux nations, ce moyen de transport aurait pourtant été le plus sûr. Si ce satané contrat avait une telle importance et si la vitesse du voyage était aussi cruciale, pourquoi l’exposait-on à de pareils dangers ?

Et pourquoi le professeur S’san, qui s’était toujours intéressée à Mari à l’académie de la guilde à Palandur, avait-elle insisté pour lui offrir un pistolet semi-automatique quand cette dernière avait obtenu son diplôme ? C’était un objet hors de prix et difficile à trouver. Toutes les armes et toutes les machines étaient fabriquées à la main, et les quantités de production strictement limitées par la guilde. Un pistolet semblable à celui de Mari n’était produit qu’à quelques exemplaires par an. Qu’est-ce qui avait inquiété S’san au point de lui offrir un tel cadeau ?

Bien qu’ayant toujours rejeté l’autorité, Mari se surprit à regretter l’absence d’un mécanicien plus expérimenté à ses côtés. Quelqu’un qui aurait su quoi faire pour survivre.

Évidemment, si un autre mécanicien avait été avec elle, elle n’aurait jamais adressé la parole à un mage. Et on aurait sûrement invalidé la proposition qu’elle avait faite à celui-ci de l’accompagner.

Le mage Alain serait mort et elle aurait été capturée par les bandits sur le promontoire.

Une issue guère plus enviable.

Au moins, pour l’heure, ils semblaient dans une relative sécurité. Mari tenta d’inspirer profondément, mais fut prise d’une nouvelle quinte de toux douloureuse. La sécheresse de sa gorge n’avait rien à envier au désert environnant.

« Nous allons avoir besoin d’eau », croassa-t-elle.

Le mage acquiesça. « Même ceux qui viennent des étoiles ont besoin d’eau, alors ? » Sa voix était aussi dénuée d’émotion que d’ordinaire.

Mari le fusilla du regard, incapable de dire s’il plaisantait ou non.

« Les mécaniciens maîtrisent des compétences particulières, mais nous sommes des êtres humains comme les autres quand il s’agit de boire ou de se nourrir. Les mages n’ont-ils pas besoin d’eau ?

— Si, bien sûr. Nous avons les mêmes besoins. » Le mage s’absorba dans ses pensées pendant quelques instants, comme s’il cherchait à se rappeler quelque chose. « Peut-être que tout le monde est venu des étoiles.

— Très drôle.

— Drôle ? » demanda le mage comme s’il ne connaissait pas ce mot.

Était-il possible qu’il fût à ce point coupé des émotions ? Mari voulut grogner en guise de réponse, mais seul un nouveau crachotement quitta son gosier déshydraté.

Le mage la jaugea, puis parla lentement.

« Il y a un endroit pas loin où l’on peut trouver de l’eau. »

Mari sentit l’espoir l’envahir et elle releva la tête.

« Où ?

— La caravane. »

L’espoir disparut aussi vite qu’une bulle de savon qui éclate.« As-tu perdu la raison, mage ? Nous ne pouvons pas y retourner.

— Pas pour le moment, non. Mais tu as dit toi-même que les bandits s’imaginent que nous fuyons sans réfléchir. Ils ne s’attendront donc pas à ce que nous restions à proximité du convoi et que nous nous y faufilions à la première occasion pour chercher de l’eau. »

Haletante, la bouche desséchée, Mari jongla avec l’idée. Le plan était insensé, mais la manière dépassionnée dont le mage l’avait énoncé le rendait presque envisageable.

« C’est notre seule chance de survie, n’est-ce pas ?

— Je n’en vois pas d’autre. »

Mari était parfois trop impulsive. Ses professeurs l’avaient fréquemment mise en garde contre ce trait de caractère, pourtant toutes les décisions qu’elle avait spontanément prises aujourd’hui leur avaient permis de rester en vie.

« Escaladons encore un peu ces rochers avant de repiquer vers le défilé. Nous attendrons que la nuit tombe. Peut-être que les bandits auront achevé le pillage de la caravane.

— Ils n’avaient pas l’air enclins au pillage », insista le mage une nouvelle fois.

Mari hocha la tête d’un air las.

« C’est vrai. Ils ont pulvérisé les premières voitures. Pourquoi détruire le butin, hein ? Même s’ils voulaient me mettre la main dessus, pourquoi rechigner au gain ? Et toutes ces armes, ces explosifs… Aucune caravane ne pourrait transporter assez de richesses pour couvrir les dépenses. Mage Alain, je ne pense pas que tu aies une idée du prix des fusils et des balles, mais dis-toi que même l’Empire n’envisagerait pas une telle débauche de moyens à moins d’avoir une excellente raison. Le coût des seuls fusils permettrait d’entretenir une petite armée, quant aux munitions il y en a au moins pour un coffre rempli d’or.

— C’est ce que tu as dit. Donc ta capture valait ce prix. »

Le rire de Mari se transforma en toux douloureuse.

« Moi ? Je suis douée dans ce que je fais, mais je ne suis pas aussi prétentieuse. »

Le mage la regardait intensément.

« Peut-être que tu vaux bien plus que tu ne le penses, bien plus que tous les trésors du monde. »