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Le ton de la doyenne ne portait plus aucune trace d’émotion quand elle s’adressa de nouveau à Alain.

« Avez-vous vu les appareils des mécaniciens ?

— Oui.

— Est-ce à dire que vous avez compris ce qu’ils étaient ?

— Non, doyenne. »

Au moins une question qui n’appelait pas de mensonge.

« J’ai vu des objets qui ressemblaient à des griffes de dragons. Mais pour le reste, je n’ai pas compris leur usage.

— Avez-vous étudié ces appareils ? demanda un autre doyen.

— Non. Ils faisaient du bruit. Ils diffusaient de la chaleur. Voilà tout ce que je sais.

— C’est tout ce qu’un mage a besoin de savoir. Les gadgets des mécaniciens auraient pu vous blesser, mais reconnaissons que, sur ce chapitre, vous avez agi avec circonspection en les évitant. En dépit de vos erreurs, le service que vous avez rendu à la guilde n’est pas négligeable, mage Alain. Pourtant, un problème demeure. »

Alain attendit en affichant un air impassible.

« Vous avez, ces derniers temps, été bien trop souvent en relation avec des mécaniciens. Vous avez développé une fascination pour une des leurs. Nos investigations nous ont appris que, malgré sa jeunesse, elle n’en est pas moins dangereuse. »

C’était une étrange sensation que d’entendre ses propres paroles dans la bouche d’un doyen, mais avec une intention fort différente de la sienne. Alain se contenta d’acquiescer, incertain de ce que sa voix pourrait révéler.

« Il faudra que vous informiez vos doyens si cette mécanicienne tente de reprendre contact avec vous, ou même si vous l’apercevez de loin. Si elle devient un danger pour notre guilde, si elle cherche à vous revoir, elle sera éliminée en guise d’avertissement à tous les mécaniciens. Ils n’auront aucune preuve matérielle, mais sauront parfaitement qui est derrière ça.

— Celui-ci comprend, répondit Alain, surpris par le timbre neutre qui était le sien alors que venait d’être prononcée la sentence condamnant Mari à mort.

— Mage Alain, dit le troisième doyen. La guilde ne saurait tolérer de menace à son encontre, quelle qu’elle soit. Nul mage ne doit accepter qu’un mécanicien l’approche. Comprenez-vous ?

— Celui-ci comprend. »

C’était une mise en garde qui le concernait directement, et peut-être une référence voilée à la prophétie. Obéis, sinon… Tiens-toi loin des mécaniciens, sinon… Il se souvint d’une nuit, quelques années auparavant, quand un acolyte rebelle poussé au-delà de sa résistance avait tenté de s’en prendre à un doyen, armé d’une arme blanche. Un autre doyen avait glissé à Alain : « Tous les ennemis de la guilde des mages doivent être éliminés. » Pourtant, à cet instant précis, il craignait moins pour sa vie que pour celle de Mari.

« Vous pouvez sortir. »

Alain quitta la pièce ; une partie de lui nota avec étonnement que sa démarche était assurée malgré les tremblements qu’il ressentait à l’intérieur. Ils vont la tuer, s’ils la voient en ma compagnie. Même s’ils ne se rendent pas compte qu’elle est la descendante. Il est impossible qu’ils le sachent déjà, car, si cela avait été le cas, je ne serais pas sorti de là vivant. Mais s’ils nous voient ensemble encore une fois, ils vont se douter de quelque chose et la tuer. Mari avait raison. Je dois la quitter. Pas pour me protéger, moi, mais pour la protéger, elle. Si elle meurt, elle ne pourra pas faire naître un jour nouveau, ne pourra pas arrêter la tempête. Peu importe la peine que j’en éprouverai, je dois faire en sorte que la maîtresse mécanicienne Mari soit saine et sauve. Et la seule manière d’atteindre ce but est de ne jamais me trouver en sa présence tant que ma guilde me surveillera.

Il la visualisa en train de l’attendre sur les remparts et sa détermination vacilla. Je dois la prévenir. Oui, je le dois. Puis il nous faudra nous séparer, car Mari ne doit pas mourir à cause de moi.

Le jour nouveau et le fait d’arrêter la tempête qui menaçait ce monde perdirent de l’importance à ses yeux. Tout ce qui occupait l’esprit d’Alain était qu’il avait touché le bonheur du doigt et qu’il devait y renoncer.

Mari était assise sur une chaise inconfortable devant une longue table dans les tréfonds de l’hôtel de sa guilde à Dorcastel. Trois mécaniciens émérites siégeaient face à elle. Il y avait le vieux Saco, la femme qui l’avait dénigrée dans les décombres du pont et un troisième homme qu’elle n’avait jamais vu. La porte dans son dos était épaisse et avait été verrouillée avec soin après qu’elle était entrée dans la pièce. Elle observa les expressions des mécaniciens émérites devant elle. Si ses sentiments n’étaient pas ceux d’un prisonnier, ils ne devaient guère en être différents. On pourrait croire que je suis de la clique des mécaniciens sombres et non celle qui les a démasqués.

La femme prit la parole d’une voix formelle et détachée.

« Cette procédure a été ouverte pour apporter des réponses aux interrogations qui pèsent sur les actions de la maîtresse mécanicienne Mari de Caer Lyn dans la ville de Dorcastel la nuit passée. »

Le mécanicien émérite que Mari n’avait jamais vu auparavant parla d’un ton brusque.

« Qu’est-ce qui vous a conduite dans le port intérieur la nuit dernière ? »

Mari garda la tête droite et fourbit sa repartie en regardant l’homme dans les yeux. Elle n’avait pas à s’excuser de quoi que ce fût et ne comptait pas se laisser intimider.

« Je me suis intéressée aux actes perpétrés par les soi-disant dragons. J’ai mené une enquête de manière autonome en étudiant les indices disponibles et j’ai conclu que le bassin où sont amarrées les barges devait probablement receler les explications des événements qui ont nui à la guilde en paralysant le commerce dans cette ville. »

Elle s’était répété ces mots depuis que, la nuit précédente, elle avait attendu l’arrivée de ses confrères mécaniciens. Elle savait que cette déclaration serait nécessaire. La préparer lui avait de surcroît évité de penser à Alain.

Le mécanicien émérite Saco lui jeta un œil noir.

« Qu’est-ce qui vous a fait croire que vous jouissiez d’une quelconque prérogative vous autorisant à lancer cette enquête ?

— Je n’avais pas le choix. Toutes mes tentatives pour évoquer mes théories avec la direction de la guilde avaient essuyé des échecs. Attendu que les mécaniciens émérites refusaient de m’écouter et de répondre aux requêtes officielles soumises en bonne et due forme, j’ai été amenée à prendre l’initiative pour le bien de la guilde. »

Qu’ils aillent donc inscrire cela dans les minutes de la procédure. Néanmoins, nul ne parut enclin à poursuivre dans cette voie.

Saco fronça les sourcils en la regardant et changea de sujet.

« Seule ? Vous avez dit avoir agi seule. Votre rapport est particulièrement vague sur les causes de l’explosion de la chaudière dans cet entrepôt et sur la façon dont vous y avez survécu. »

Mari, imperturbable, lui rendit son regard.

« Ainsi que je l’ai signalé dans mon rapport, les gens qui se trouvaient dans l’entrepôt ont été distraits de leurs tâches par un visiteur alors qu’ils avaient lancé la production de vapeur. À ce qu’il m’a semblé, ils ont laissé monter la pression au-delà du seuil critique. Quant à moi, je me tenais suffisamment loin de l’engin pour ne pas avoir été blessée au moment de l’explosion.

— Nous avons retrouvé la soupape de sécurité de la chaudière, lâcha le troisième mécanicien émérite d’une voix dure. Elle avait été bloquée au moyen d’une corde. »

Mari acquiesça, décidée à dire la vérité dès qu’elle en aurait l’occasion.