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Écouter, apprendre et obéir. Voilà ce qu’exigeaient les mécaniciens émérites assis en face d’elle. Le mot d’ordre n’avait pas varié d’un iota depuis qu’elle était apprentie. Peut-être que les outils dont elle avait besoin maintenant n’étaient pas ceux d’un mécanicien, mais ceux d’un apprenti. En cas de danger imminent, il était important de tout mettre en œuvre pour minimiser les risques de dommages et de mort. C’était l’une des premières règles inculquées aux apprentis. Elle lui serait en l’occurrence d’une grande aide.

Elle acquiesça en direction des mécaniciens émérites.

« Je fais vœu de suivre toutes les règles et recommandations de la guilde et de ne rien dévoiler des événements récents. »

Mais je ne vous dis pas pour combien de temps.

Saco se pencha vers elle une nouvelle fois.

« Votre vœu inclut vos tout derniers propos. Vous ne le répéterez pas. À personne ni à vous-même. »

Mari opina. Elle savait que sa voix tremblait de colère, mais elle espérait que les mécaniciens émérites prendraient cela pour de la peur.

« Je fais vœu de ne pas reparler de ces choses. » Au moins durant quelques minutes.

« Qu’en est-il des mages ? demanda Saco. Avez-vous des questions à leur sujet ? »

Mari le regarda un bref moment dans les yeux, sans rien dire, tandis que des images d’Alain défilaient dans sa tête. La veille au soir, elle avait fugacement escompté que sa guilde serait intéressée par la perspective d’en apprendre davantage sur les mages, maintenant que la preuve de l’existence des mécaniciens sombres était établie. Peut-être – avait-elle fantasmé – que la guilde serait prête à offrir sa protection à un mage disposé à réitérer auprès d’autres toutes les choses qu’il lui avait apprises. Mais la preuve de l’existence des mécaniciens sombres avait été purement et simplement supprimée. Il n’y avait donc aucune raison pour que la preuve des capacités d’un mage fût traitée différemment.

Et que se passerait-il s’ils venaient à découvrir qu’elle était amoureuse de l’un d’eux ?

Si ces mécaniciens émérites n’hésitaient pas à menacer des confrères de guilde, ils ne montreraient aucune pitié envers un mage.

S’il reste à mes côtés, quelqu’un le tuera. Soit un de ses pairs, soit un mécanicien. Je l’aime. Cela signifie que l’heure est venue de le quitter. Je ne veux pas qu’il meure par ma faute.

« Non, dit-elle. Pourquoi devrais-je m’enquérir de la politique de la guilde vis-à-vis des mages ?

— Même si vous avez longuement tenu compagnie à l’un des leurs ? insista Saco d’une voix insistante.

— Après la destruction de la caravane ? J’ai déjà expliqué à Ringhmon qu’il ne s’était rien passé, outre que nous avons été compagnons de route. J’ai fait ce qu’il fallait pour assurer ma survie. Et à présent, je sais également ce que je dois faire pour survivre. »

Elle savait exactement ce qu’elle entendait par là, mais elle savait aussi que les mécaniciens émérites l’interpréteraient comme un signe de capitulation.

« Bien, conclut la mécanicienne émérite, pendant que Saco s’adossait sans cacher sa déception. Il est agréable de voir que vous apprenez enfin. Soyez prévenue que la clémence de la guilde a des limites. Il n’y aura pas de deuxième chance. Vous savez ce qu’il en coûte de briser un vœu solennel.

— Je comprends.

— Dans ce cas, je déclare cette affaire classée. Nul ici présent ne devra évoquer ce qui vient d’être dit. »

La femme adressa à Mari un sourire poli, comme si cette dernière était tout juste entrée dans la pièce.

« J’ai une bonne nouvelle pour vous », ajouta la mécanicienne émérite en poussant une feuille de papier vers elle.

La jeune femme réussit à prendre le contrat sans laisser paraître la tension qui s’était emparée d’elle.

« Un contrat. Aussi vite ?

— Oui. Nous savions que vous seriez ravie de saisir une occasion de servir votre guilde. Bon voyage, mécanicienne Mari.

— Maîtresse mécanicienne Mari.

— Bien entendu. Maîtresse mécanicienne Mari. » La femme désigna le document. « Vous aurez noté que vos services sont requis de toute urgence, aussi vous quitterez Dorcastel dès que nous vous aurons trouvé un moyen de transport. »

Mari baissa les yeux sur le feuillet.

« Merci. J’ai hâte de quitter Dorcastel… pour continuer à servir ma guilde. »

Si les mécaniciens émérites avaient perçu la brève pause qu’elle avait marquée dans sa phrase, ils n’en firent aucun cas. La femme signifia à Mari qu’elle était libre de partir avant d’entamer une conversation à voix basse avec ses homologues.

Mari se leva, ouvrit la lourde porte et s’engagea dans le labyrinthe de couloirs. Des couloirs familiers, reprenant les plans standard de tous les hôtels de la guilde. Elle les avait parcourus à de multiples reprises.

Cependant, pour la première fois depuis son arrivée au sein de la guilde, à l’âge de huit ans, Mari réalisa à quel point ces corridors pouvaient être oppressants. À quel point, au lieu d’induire un sentiment de sécurité, ils provoquaient une sensation de confinement. À quel point les ombres et les alcôves étaient propices à dissimuler quelqu’un qui vous espionnait ou vous guettait, une arme à la main. La jeune femme constata avec amusement combien le monde qui l’entourait pouvait changer alors que son apparence demeurait identique. Alain lui aurait dit que tout dépendait de la manière dont on regardait l’illusion.

Elle redressa les épaules et marcha posément dans les couloirs, déterminée à ne montrer aucun signe de peur. À qui pouvait-elle parler ? Personne entre ces murs, c’était certain. Tout mécanicien qui lui témoignerait de la sympathie serait aussitôt surveillé et il était probable que chacun avait reçu pour instruction de ne pas se lier avec elle.

Mais si les mécaniciens émérites ont dans l’idée de briser la maîtresse mécanicienne Mari, ils vont apprendre qu’on ne m’arrête pas aussi facilement. Mes certitudes sont peut-être remises en cause, mais l’une d’elles reste inébranlable. Je crois en mes capacités.

Et je suis toujours prête à faire ce qu’il faut, quoi qu’il m’en coûte. Les choses doivent être réparées. Et c’est à moi qu’incombe cette tâche, si personne d’autre ne s’en charge. Mais, dans un premier temps, je dois me faire oublier. Pour que les mécaniciens émérites ne soient plus sur mon dos. Puis je devrai trouver des gens en qui je peux avoir confiance.

Quelqu’un en qui je puisse avoir confiance.

Que vais-je dire à Alain quand viendra l’heure des adieux ?

Postée dans une tourelle surplombant la mer sur les remparts de Dorcastel, appuyée contre le rebord d’une meurtrière, Mari contemplait les flots. Les bateaux, qui quittaient le port de nouveau, arboraient une ligne de flottaison basse tant ils étaient chargés de marchandises. Le vent soufflait fort le long de la côte et ballottait les goélands qui se battaient pour des reliefs de nourriture. Crocheter la serrure du portail qui permettait d’accéder à cette échauguette n’avait pas été trop difficile, et nul ne pouvait la voir à l’intérieur, masquée qu’elle était par les ténèbres.