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Puis il s’arrêta.

« Mari.

— Veux-tu donc partir ! C’est déjà assez dur comme ça !

— Je vois quelque chose. »

Elle fit volte-face et le dévisagea.

« Mon don d’augure, dit Alain, les yeux perdus dans les ombres de l’échauguette. Nous nous tenons de nouveau, toi et moi, sur les remparts de cette ville, pas dans cette fortification, mais sur le parapet. Du temps a passé. Quelques années, je dirais. Nous sommes plus âgés, mais pas de beaucoup. Il semblerait que bien des choses se soient passées. Nous nous tenons côte à côte alors qu’une bataille titanesque fait rage autour de nous. »

Mari scruta les ténèbres, mais ne vit rien.

« Quoi d’autre ? Que vois-tu d’autre ?

— Nous portons des brassards ornés d’un même motif étrange. » Alain cligna des paupières. « La vision a disparu. La manière dont nous nous tenions l’un près de l’autre laissait penser que nous avions traversé de nombreuses épreuves ensemble. Nous… nous dressions ensemble contre la tempête de la bataille. »

Les derniers mots furent prononcés lentement.

Elle sentit son cœur sursauter, puis s’emballer.

« Qu’es-tu en train de dire ? Que nous sommes certains de nous retrouver ?

— Il n’y a aucune certitude. Je me suis vu dans cette vision, ainsi que toi. Cette vision n’est qu’une des possibilités, quelque chose qui pourrait se produire si nous prenons des décisions qui nous mèneront à ce point. Si nous vivons suffisamment pour rejoindre ce temps et ce lieu.

— Quelles décisions ? À quel moment ?

— Je ne sais pas.

— Tu ne sais pas ? Eh bien, c’est magnifique ! »

Mari laissa sa colère exploser, puis pointa un doigt accusateur dans sa direction.

« Je suis prête à me briser le cœur et à dire adieu au seul homme que j’aie jamais aimé, et voilà qu’un de tes satanés sorts de mage se déclenche et fait miroiter la possibilité que quelque chose puisse se produire si nous prenons chacun les bonnes décisions, mais sans nous en apprendre davantage sur leur nature. Ai-je bien compris ?

— Oui, mais…

— Merci bien !

— Mari, cela montre que nous pouvons survivre. Que cette possibilité existe, malgré tous les périls. Nous étions ensemble et tu étais toujours vivante, toujours prête à te battre. Il y a donc un espoir.

— Je ne veux pas me battre !

— Cette vision nous prouve que le choix que nous faisons aujourd’hui est le bon, insista Alain. Qu’il nous met sur la voie qui nous conduira à ce jour.

— À cette bataille ? » Mari prit une profonde inspiration tremblante. « Qui combattions-nous ?

— La tempête », lâcha Alain, comme si ce mot était la réponse à tout.

« Très bien. Nous étions ensemble. Dans ce cas, je veux cet avenir-là, mage Alain. Un avenir avec toi. »

Elle fit un pas vers lui, mais réussit à s’arrêter.

« Tu as sans doute raison. Je te reverrai. Un jour ou l’autre. D’une manière ou d’une autre. T’as intérêt à prendre toutes les bonnes décisions, compris ? »

Il la dévisagea.

« Nous serons confrontés à un grand nombre de choix, et chacun d’eux pourrait sonner le glas de ce possible avenir que j’ai aperçu. Je ferai de mon mieux. Moi aussi, je veux un avenir avec toi, et tu auras besoin de moi lors de ce jour nouveau que tu dois faire naître.

— J’ai déjà besoin de toi, souffla Mari, mais j’ai l’impression que toi et moi parlons par moments de deux choses différentes. Quel jour nouveau ? Quelle tempête ? »

Était-ce un bref éclair de perplexité qui avait traversé le regard d’Alain ?

« Pourtant, tu avais dit… »

Il s’interrompit soudain pour épier en contrebas, tournant la tête d’un côté puis de l’autre.

« Des mages approchent. Ils me cherchent. Il ne faut pas qu’ils te trouvent. Je dois les entraîner ailleurs.

— Alain, quel… »

Mais il était déjà parti. Se glissant silencieusement d’ombre en ombre, il franchit le portail en laissant Mari fusiller du regard les ténèbres à l’intérieur de la tourelle vide.

Fichu mage ! Pourquoi ne puis-je me défaire de la sensation confuse qu’il y a une chose que tu ne me dis pas ? Non. On dirait plutôt qu’il y a quelque chose que tu penses que je sais, mais dont je n’ai pas la moindre idée. Bien. Pour l’heure, je dois partir afin de garantir ta sécurité, je vais donc le faire. Mais je te reverrai et nous serons ensemble. À ce moment-là, j’apprendrai ce que le jour nouveau signifie. Je réparerai tout ce qui n’ira pas. Peu importe ce qu’il en coûtera et peu importe ce qu’il faudra que je change.

Je changerai le monde, si cela est nécessaire.

Mari scruta de nouveau l’éclat de pierre sur le bord de la meurtrière et sentit un frisson la parcourir en se remémorant les mots d’Alain au sujet de la bataille. S’arrachant à la contemplation de ce vestige des luttes passées, elle embrassa le port du regard. Ses yeux glissèrent au-delà des constructions humaines, vers les eaux tumultueuses de la mer de Bakre.

Au nord, elle vit s’amonceler des nuages annonciateurs d’une tempête.