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— Rien que ces deux-là ? demanda Asha.

— Cinq. Nous en avons tué deux avant qu’ils ne parviennent à passer, et Harl en a occis un autre sur le chemin de ronde. Ces deux-là ont réussi à atteindre la cour. »

Un homme était mort, son sang et sa cervelle empoissant la longue hache de Lorren, mais le second respirait encore avec difficulté, bien que la pique d’Âpre-langue l’eût cloué au sol dans une mare de sang qui allait en s’élargissant. Tous deux étaient revêtus de cuir bouilli et de capes tachetées de brun, vert et noir, avec des branches, des feuilles et des broussailles cousues autour de leur tête et de leurs épaules.

« Qui es-tu ? demanda-t-elle au blessé.

— Un Flint. Et vous ?

— Asha de la maison Greyjoy. Ce château est le mien.

— Motte est le siège de Galbart Glover. C’est pas un lieu pour les encornets.

— Il y en a d’autres que toi ? » lui demanda Asha. Comme il ne répondait pas, elle empoigna la pique d’Âpre-langue et la tourna ; le Nordien poussa un cri de souffrance, et du sang jaillit plus fort de sa blessure. « Quelle était ton intention, ici ?

— La dame, dit-il en tressaillant. Dieux, arrêtez. On est venus pour la dame. Pour la sauver. Y avait que nous cinq. »

Asha le regarda dans les yeux. Quand elle y lut le mensonge, elle pesa sur la pique en la tordant. « Combien d’autres ? insista-t-elle. Dis-le-moi, ou je prolonge ta mort jusqu’à l’aube.

— Beaucoup, finit-il par hoqueter entre des hurlements. Des milliers. Trois mille, quatre… Ahhhh… Par pitié… »

Elle lui arracha la pique du corps et la planta à deux mains dans sa gorge de menteur. Le mestre de Galbart Glover avait prétendu que les clans des montagnes étaient trop querelleurs pour jamais s’unir sans un Stark pour les mener. Peut-être ne mentait-il pas. Il a simplement pu se tromper. Elle avait appris le goût de l’erreur aux états généraux de la royauté de son oncle. « On a envoyé ces cinq-là ouvrir nos portes avant l’attaque principale, décida-t-elle. Lorren, Harl, allez me chercher lady Glover et son mestre.

— En un seul morceau, ou saignant ? voulut savoir Lorren Longue-hache.

— Un seul morceau et sauve. Âpre-langue, monte donc dans cette foutue tour et dis à Cromm et Hagen de bien ouvrir l’œil. S’ils voient ne serait-ce qu’un lièvre, je veux en être informée. »

La cour de Motte fut bien vite envahie de gens affolés. Ses propres hommes enfilaient tant bien que mal leur armure ou grimpaient sur les chemins de ronde. Les gens de Galbart Glover, chuchotant entre eux, contemplaient la scène avec des mines apeurées. On dut transporter l’intendant de Glover hors de la cave, car il avait perdu une jambe lors de la prise du château par Asha. Le mestre protesta à grand bruit jusqu’à ce que Lorren le frappe durement au visage, d’un poing ganté de maille. Lady Glover émergea du bois sacré, au bras de sa camériste. « Je vous avais avertie que ce jour viendrait, madame », dit-elle en voyant les cadavres sur le sol.

Le mestre se força un passage en avant, son nez cassé pissant le sang. « Lady Asha, je vous en supplie, abattez vos bannières et laissez-moi parlementer afin de préserver votre vie. Vous nous avez traités avec justice et honneur. Je le leur dirai.

— Nous vous échangerons contre les enfants. » Sybelle Glover avait les yeux rougis par les larmes et des nuits sans sommeil. « Gawen a quatre ans, désormais. J’ai manqué son anniversaire. Et ma douce fille… rendez-moi mes enfants, et il ne vous sera fait aucun mal. Ni à vos hommes. »

Cette dernière partie était un mensonge, Asha le savait. Elle, on l’échangerait, sans doute, renvoyée par navire aux îles de Fer vers les bras aimants de son époux. Ses cousins aussi seraient échangés contre rançon, de même que Tris Botley et quelques autres de sa compagnie, ceux dont la famille avait assez de fortune pour les racheter. Pour le reste, ce serait la hache, la corde ou le Mur. Néanmoins, ils ont le droit de choisir.

Asha grimpa sur une barrique afin que tous puissent la voir. « Les Loups fondent sur nous, tous crocs dehors. Ils seront à nos portes avant le lever du soleil. Devons-nous jeter nos piques et nos haches, et les supplier de nous épargner ?

— Non. » Qarl Pucelle tira son épée. « Non », reprit en écho Lorren Longue-hache. « Non », tonna Rolfe le Gnome, un véritable ours qui dépassait d’une bonne tête tout le reste de l’équipage d’Asha. « Jamais. » Et des hauteurs, retentit de nouveau le cor d’Hagen, sonnant dans la cour intérieure.

La trompe de guerre mugit un son grave et prolongé qui glaçait le sang. Asha commençait à détester le son des cors. Sur Vieux Wyk, le cor d’enfer de son oncle avait sonné le glas de ses rêves, et voilà que Hagen annonçait ce qui pourrait bien être sa dernière heure sur terre. Si je dois mourir, que ce soit la hache à la main et une malédiction aux lèvres.

« Aux remparts », ordonna Asha à ses hommes. Elle-même tourna ses pas vers la tour de guet, Tris Botley toujours sur les talons.

La tour de guet en bois était le point le plus élevé de ce côté-ci des montagnes, culminant vingt pieds au-dessus des plus hauts vigiers et des pins plantons des bois alentours. « Là, capitaine », annonça Cromm, lorsqu’elle atteignit la plate-forme. Asha ne vit que des arbres et des ombres, les collines éclairées par la lune et les pics enneigés, au loin. Puis elle s’aperçut que les arbres se rapprochaient peu à peu. « Oh oh, commenta-t-elle en riant, ces chèvres de montagne se sont enveloppées de branches de pin. » Les bois étaient en marche, avançant lentement vers le château comme une lente marée verte. Elle songea à un conte qu’elle avait entendu petite, sur les enfants de la forêt et leurs batailles contre les Premiers Hommes, où les vervoyants avaient changé les arbres en guerriers.

« Nous ne pouvons combattre autant de monde, déclara Tris Botley.

— Nous pouvons en combattre autant qu’il en viendra, petit, riposta Cromm. Plus il y en aura et plus grande sera la gloire. Les hommes chanteront nos exploits. »

Certes. Mais chanteront-ils ton courage ou ma folie ? La mer se situait à cinq longues lieues de là. Valait-il mieux tenir bon et combattre derrière les profondes douves et les remparts de bois de Motte-la-Forêt ? Les palissades de Motte n’ont pas fait grand bien aux Glover quand je me suis emparée de leur castel, se remémora-t-elle. Pourquoi me serviraient-ils mieux ?

« Demain, nous festoierons sous la mer. » Cromm caressait sa hache comme s’il était impatient.

Hagen abaissa son cor. « Si nous mourons les pieds au sec, comment trouverons-nous le chemin des demeures liquides du dieu Noyé ?

— Ces bois abondent de petits ruisseaux, assura Cromm. Tous conduisent à des fleuves, et tous les fleuves mènent à la mer. »

Asha n’était pas prête à mourir, pas ici, pas déjà. « Un vivant repère le chemin de la mer plus aisément qu’un mort. Que les Loups gardent leurs bois sinistres. Nous regagnons les navires. »

Elle se demanda qui était à la tête de ses ennemis. À sa place, je m’emparerais de la plage et j’incendierais nos navires avant d’attaquer Motte. Toutefois, les Loups ne rencontreraient pas une tâche aisée, pas s’ils étaient dépourvus de vaisseaux. Asha n’échouait jamais plus de la moitié de sa flotte. L’autre moitié serait en sécurité au large, avec l’ordre de lever la voile et de cingler sur Merdragon si les Nordiens prenaient la plage. « Hagen, sonne du cor et fais trembler la forêt. Tris, enfile une cotte de mailles, il est temps que tu étrennes ta belle épée. » Lorsqu’elle le vit si pâle, elle lui pinça la joue. « Éclabousse la lune de sang avec moi, et je te promets un baiser pour chaque mort.