Выбрать главу

— Je voudrais que vous viviez. Je vous aime. »

Non, pensa-t-elle, tu aimes une innocente jeune fille qui ne vit que dans ta tête, une enfant affolée qui a besoin de ta protection. « Je ne t’aime pas, déclara-t-elle sans ambages, et je ne suis pas femme à m’enfuir.

— Qu’y a-t-il ici qui vous retienne si fortement, sinon des pins, de la boue et des ennemis ? Nous avons nos navires. Prenez la mer avec moi, et nous entamerons en mer de nouvelles vies.

— Comme pirates ? » Elle était presque tentée. Que les Loups récupèrent leurs bois sinistres. Reprends la mer.

« Comme négociants, insista-t-il. Nous partirons en Orient, comme l’Œil-de-Choucas, mais nous reviendrons avec des soieries et des épices, plutôt qu’une corne de dragon. Un voyage en mer de Jade, et nous serons riches comme des dieux. Nous pourrons avoir une demeure à Villevieille ou dans l’une des Cités libres.

— Toi, moi et Qarl ? » Elle le vit broncher à la mention du nom de Qarl. « La fille d’Hagen aimerait peut-être parcourir la mer de Jade avec toi. Je demeure la fille de la Seiche. Ma place est…

— … Où ? Vous ne pouvez pas retourner dans les îles. Sauf si vous avez l’intention de vous soumettre au seigneur votre époux. »

Asha essaya de se représenter au lit avec Erik Forgefer, écrasée sous sa masse, endurant ses étreintes. Plutôt lui que le Rameur Rouge ou Lucas Morru, dit Main-gauche. Le Brise-enclumes avait été jadis un géant rugissant, d’une terrifiante vigueur, d’une loyauté farouche, absolument dénué de peur. Ce ne serait peut-être pas si mal. Il a de bonnes chances de claquer la première fois qu’il tentera d’accomplir son devoir conjugal. Cela ferait d’elle la veuve d’Erik au lieu de sa femme, ce qui pourrait être mieux ou bien pire, en fonction des petits-fils du Brise-enclumes. Et de mon noncle. Au bout du compte, tous les vents me rabattent vers Euron. « J’ai des otages, sur Harloi, lui rappela-t-elle. Et il y a toujours la presqu’île de Merdragon… Si je ne puis avoir le royaume de mon père, pourquoi ne pas m’en créer un ? » La presqu’île n’avait pas toujours été si chichement peuplée qu’elle l’était à l’heure actuelle. On trouvait encore des ruines anciennes parmi ses collines et ses tourbières, les vestiges de vieilles places fortes des Premiers Hommes. Dans les hauteurs, il y avait des cercles de barrals laissés par les enfants de la forêt.

« Vous vous accrochez à Merdragon comme un naufragé agrippe un débris d’épave. Qu’a donc cette presqu’île qui puisse intéresser quiconque ? On n’y trouve pas de mines, pas d’or, d’argent, ni même d’étain ou de fer. La terre est trop humide pour l’avoine ou le blé. »

Je n’ai pas l’intention de planter de l’avoine ou du blé. « Ce qu’il y a là ? Je vais te le dire. Deux longues côtes, une centaine de criques cachées, des loutres dans les lacs, des saumons dans les rivières, des palourdes sur les plages, des colonies de phoques au large, de hauts pins pour construire des navires.

— Et qui les construira, ces navires, ma reine ? Où Votre Grâce trouvera-t-elle des sujets pour son royaume, si les Nordiens vous le laissent avoir ? À moins que vous n’ayez en tête de gouverner un royaume de phoques et de loutres ? »

Elle rit avec amertume. « Les loutres seraient peut-être plus aisées à gouverner que les hommes, je te l’accorde. Et les phoques sont plus intelligents. Non, tu as peut-être raison. Je serais sans doute mieux avisée de rentrer sur Pyk. Il en est sur Harloi qui se réjouiraient de mon retour. Sur Pyk, également. Et Euron ne s’est pas gagné des amis à Noirmarées en tuant lord Baelor. Je pourrais rejoindre mon noncle Aeron, soulever les îles. » Nul n’avait revu le Tifs-trempés depuis les états généraux de la royauté, mais ses Noyés affirmaient qu’il se cachait sur Grand Wyk et en sortirait bientôt pour invoquer le courroux du dieu Noyé sur l’Œil-de-Choucas et ses sbires.

« Brise-enclumes cherche le Tifs-trempés, lui aussi. Et il traque les Noyés. Beron Noirmarées l’Aveugle a été capturé et soumis à la question. Même le Vieux Goéland Gris a été mis aux fers. Comment trouverez-vous le prêtre, alors que tous les hommes d’Euron ne le peuvent ?

— Il est de mon sang. Le frère de mon père. » Piètre réponse, et Asha le savait bien.

« Savez-vous ce que je crois ?

— Je ne vais pas tarder, je le soupçonne.

— Je crois que le Tifs-trempés est mort. Je crois que l’Œil-de-Choucas s’est chargé de lui trancher la gorge. La quête de Forgefer sert uniquement à nous faire croire à une évasion du prêtre. Euron craint de passer pour un fratricide.

— Ne t’avise jamais de laisser mon oncle entendre dire ça. Dis à l’Œil-de-Choucas qu’il a peur de tuer les siens, et il assassinera l’un de ses propres fils simplement pour prouver que tu as tort. » Asha commençait à se sentir presque sobre. Tristifer Botley avait sur elle ce genre d’effet.

« Même si vous retrouviez votre oncle le Tifs-trempés, vous échoueriez, tous les deux. Vous avez tous deux participé aux états généraux de la royauté, aussi ne pouvez-vous prétendre qu’il a contrevenu aux lois, comme l’a fait Torgon. Vous êtes liés à sa décision par toutes les lois des dieux et des hommes. Vous… »

Asha fronça les sourcils. « Attends. Torgon ? Quel Torgon ?

— Torgon le Retardataire.

— Il a régné durant l’Âge des héros. » Elle se souvenait de cela, sur lui, mais pas de grand-chose d’autre. « Qu’a-t-il fait ?

— Torgon Greyfer était le fils aîné du roi. Mais le roi se faisait vieux et Torgon ne pouvait tenir en place, aussi arriva-t-il que, lorsque son père mourut, il multipliait les razzias le long de la Mander à partir de sa forteresse sur Bouclier Gris. Ses frères ne lui transmirent pas la nouvelle, convoquant en hâte des états généraux de la royauté, certains que l’un d’entre eux serait choisi pour porter la couronne de bois flotté. Mais les capitaines et les rois préférèrent choisir Urragon Bonfrère pour régner. La première action du nouveau roi fut d’ordonner qu’on mît à mort tous les fils de l’ancien roi, ce qui fut fait. Après quoi, les hommes le dénommèrent Malfrère, bien qu’à dire vrai, ils n’aient avec lui aucun lien de parenté. Il régna pratiquement deux ans… »

Asha se souvenait, maintenant. « Torgon est rentré chez lui…

— … et a déclaré les états généraux de la royauté illégitimes, car il n’était pas sur place pour faire valoir ses droits. Malfrère s’était révélé aussi ladre qu’il était cruel, et il n’avait plus guère d’amis dans les îles. Les prêtres le dénoncèrent, les lords se soulevèrent contre lui et ses propres capitaines le taillèrent en pièces. Torgon le Retardataire devint roi et gouverna quarante ans. »

Asha empoigna Tris Botley par les oreilles et l’embrassa sur la bouche. Lorsqu’elle le lâcha enfin, il était écarlate et avait le souffle coupé. « Qu’est-ce que c’était que ça ? bredouilla-t-il.

— On appelle ça un baiser. Je veux bien être noyée pour ma sottise, Tris, j’aurais dû me souvenir… » Elle s’interrompit brusquement. Lorsque Tris voulut parler, elle lui intima silence d’un chut, tendant l’oreille. « Une trompe de guerre. Hagen. » Sa première idée fut qu’il s’agissait de son époux. Erik Forgefer avait-il pu venir de si loin pour revendiquer son épouse rebelle ? « Le dieu Noyé m’aime, en fin de compte. Je ne savais que faire et il m’envoie des ennemis à combattre. » Asha se remit debout et renfonça d’un claquement son poignard au fourreau. « La bataille vient à nous. »

Elle trottait, le temps d’atteindre la cour intérieure, Tris sur ses talons, mais elle arriva quand même trop tard. Le combat était achevé. Asha trouva deux Nordiens baignant dans leur sang près du rempart est, pas très loin de la poterne, avec Lorren Longue-hache, Harl Six-Orteils et Âpre-langue debout au-dessus d’eux. « Cromm et Hagen les ont vus en train de franchir le mur, expliqua Âpre-langue.