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Mais aujourd’hui, ce n’était ni aux machines ni à leur travail quotidien qu’il s’intéressait. Il se rendit directement dans la petite pièce privée où seul Stormgren était censé entrer. Sur ses ordres, on en avait fracturé la serrure et l’officier responsable du service l’attendait.

— C’est un télétype ordinaire à clavier classique, lui expliqua-t-il. Il y a aussi une reproductrice pour le cas où vous voudriez expédier des images visuelles ou des tableaux de chiffres. Mais vous avez dit que vous n’en auriez pas besoin.

Van Ryberg acquiesça, la tête ailleurs.

— Ce sera tout. Je vous remercie. Je ne pense pas rester très longtemps. Quand j’aurai fini, vous refermerez et vous me remettrez les clés.

Quand l’officier fut parti, il prit place devant l’appareil. Celui-ci servait très rarement puisque presque toutes les affaires étaient traitées lors des rencontres hebdomadaires de Karellen et de Stormgren. Il s’agissait plutôt d’un circuit d’urgence et il escomptait recevoir très rapidement une réponse.

Après un instant d’hésitation, il commença à taper gauchement son texte. La machine se mit à bourdonner et les mots qui se formaient brillèrent pendant quelques secondes sur l’écran obscur.

Van Ryberg attendit.

Il ne s’était pas écoulé plus d’une minute quand le vrombissement reprit et il se demanda – ce n’était pas la première fois – s’il arrivait au Superviseur de dormir.

La réponse était brève. Et elle ne lui était d’aucun secours : PAS D’INFORMATIONS À CE SUJET. VOUS AVEZ CARTE BLANCHE. K.

Ce fut avec amertume et sans aucune exaltation que Van Ryberg prit alors conscience de la haute mission qui lui était impartie.

Depuis trois jours, Stormgren observait attentivement ses ravisseurs. Le seul qui eût quelque importance était Joe. Les autres étaient du menu fretin – la racaille habituelle qu’attirent toutes les organisations illégales. Ils se moquaient comme d’une guigne des idéaux de la Ligue de la Liberté. Leur seul but était de gagner leur vie en travaillant le moins possible.

Joe, lui, était un personnage autrement complexe, encore qu’il fît penser à un gamin attardé. Leurs interminables parties de poker étaient entrecoupées de violentes discussions politiques et Stormgren avait vite compris que le colosse n’avait jamais réfléchi sérieusement à la cause pour laquelle il luttait. La passion et un conservatisme virulent obscurcissaient son jugement. Le long combat que son pays avait mené pour conquérir son indépendance l’avait conditionné à tel point qu’il continuait de vivre dans le passé. C’était un pittoresque diplodocus, un de ces vestiges pour qui la notion d’ordre et d’organisation était lettre morte. Quand ses pareils auraient disparu, pour autant qu’ils dussent disparaître un jour, le monde serait moins dangereux mais, aussi, moins intéressant.

À présent, Stormgren était à peu près persuadé que Karellen n’était pas parvenu à le localiser. Il avait essayé de bluffer ses geôliers mais sans succès. Il avait la quasi-certitude que si on le gardait prisonnier ici, c’était pour jauger la réaction de Karellen. Comme rien ne s’était produit, l’opposition allait pouvoir passer à la réalisation de ses plans.

Lorsque, le quatrième jour de sa captivité, Joe l’avertit qu’il allait rencontrer quelqu’un, il n’en fut pas autrement surpris. Depuis un certain temps déjà, la nervosité avait gagné le trio et il supposait que, ayant constaté que la voie était libre, les chefs de l’organisation s’apprêtaient à venir prendre livraison de lui.

Ils étaient déjà assis devant la table branlante quand Joe l’invita d’un geste courtois à entrer dans le « salon ». Stormgren nota avec amusement que le Polonais arborait ostensiblement pour l’occasion un énorme pistolet dont il ne s’était encore jamais embarrassé. Les deux patibulaires brillaient par leur absence et Joe lui-même avait l’air d’être dans ses petits souliers. Le secrétaire général se rendit compte au premier coup d’œil qu’il avait affaire à des gens d’une tout autre envergure. Le petit groupe – ils étaient six – lui rappelait irrésistiblement une photo qu’il avait vue un jour, représentant Lénine et ses camarades pendant les premiers jours de la Révolution d’Octobre : la même puissance intellectuelle, la même volonté d’acier, la même impitoyable détermination. Joe et ses semblables étaient des anodins : les visiteurs étaient les véritables cerveaux de l’organisation.

Après une brève inclinaison du menton, il se dirigea vers l’unique chaise libre en s’efforçant de paraître parfaitement maître de lui. Le plus âgé des six hommes, un individu trapu assis à l’autre bout de la table, se pencha en avant en fixant sur lui ses yeux gris. Ce regard perçant mit Stormgren si mal à l’aise que, contrairement à son intention, il ouvrit le feu le premier :

— Je présume que vous êtes là pour poser vos conditions. Combien exigez-vous comme rançon ?

Quelqu’un, au fond, enregistrait ses paroles en sténo. Une vraie conférence d’affaires !

— Vous pouvez envisager les choses sous cet angle, monsieur le secrétaire général, répondit le chef avec un accent gallois chantant. Mais ce n’est pas l’argent qui nous intéresse. Ce sont des renseignements que nous voulons.

Je vois, se dit Stormgren dans son for intérieur. Je suis prisonnier de guerre et l’interrogatoire commence.

— Vous connaissez nos motifs, poursuivit son interlocuteur. Considérez que nous sommes un mouvement de résistance, si vous voulez. Nous croyons que, tôt ou tard, la Terre devra combattre pour recouvrer son indépendance. Mais nous ne nous leurrons pas : cette lutte ne pourra être menée que par des méthodes indirectes telles que le sabotage et la désobéissance civile. Nous vous avons enlevé pour faire comprendre à Karellen que nous ne plaisantons pas et que nous sommes bien organisés, mais surtout parce que vous êtes la seule personne capable de nous fournir des informations sur les Suzerains. Vous êtes un homme raisonnable, monsieur le secrétaire général. Si vous acceptez de coopérer avec nous, nous vous libérerons.

— Que souhaitez-vous savoir au juste ? s’enquit Stormgren avec circonspection.

Les yeux extraordinaires de son vis-à-vis semblaient plonger dans les profondeurs de son esprit. Jamais il n’avait encore vu d’yeux pareils.

— Savez-vous qui sont les Suzerains ? Ou ce qu’ils sont ?

Stormgren eut presque envie de sourire.

— Je suis tout aussi désireux que vous de le savoir, croyez-moi.

— Vous êtes donc d’accord pour répondre à nos questions ?

— Je ne vous promets rien. Mais j’y répondrai peut-être.

Joe poussa un soupir de soulagement et un frémissement d’impatience parcourut le petit groupe.

— Nous avons une idée d’ensemble des conditions dans lesquelles se déroulent vos entrevues avec Karellen. Mais il serait bon que vous les décriviez de façon détaillée sans rien omettre d’important.

Ce n’est pas dangereux, pensa Stormgren. Il s’était livré de nombreuses fois à cet exercice et, en obtempérant, il aurait l’air de faire preuve de bonne volonté. Il n’avait pas affaire à des enfants de chœur et peut-être découvrirait-il quelque chose d’intéressant. En outre, Stormgren ne croyait pas que cette coopération apparente puisse être préjudiciable à Karellen.

Il fouilla dans ses poches et y trouva un crayon et une vieille enveloppe sur laquelle il dessina rapidement un schéma tout en parlant :

— Vous savez naturellement qu’un petit engin aérien dont le mode de propulsion constitue un mystère vient régulièrement me chercher pour me conduire au vaisseau de Karellen. Il y pénètre. Vous avez sûrement vu les films télescopiques de l’opération. La porte – si on peut lui donner ce nom – s’ouvre et j’entre dans une pièce exiguë comportant une table, une chaise et un écran. Voici, en gros, ses dispositions.