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Quand Stormgren se réveilla, il faisait nuit noire, mais son esprit était encore trop embrumé pour être frappé par l’étrangeté du fait. Mais quand la conscience lui fut pleinement revenue, il se dressa d’un seul coup sur son séant et tâtonna à la recherche du commutateur de sa lampe de chevet.

Sa main rencontra une surface de pierre froide au toucher et la surprise le paralysa. Enfin, au bout de quelques instants, il se mit à genoux sur le lit et, croyant à peine au témoignage de ses sens, il entreprit d’explorer du bout des doigts cette invraisemblable muraille.

C’est alors qu’un déclic retentit brusquement tandis qu’un pan d’obscurité coulissait. Il eut à peine le temps de distinguer une silhouette qui se découpait sur le fond d’un rectangle vaguement éclairé avant que la porte se referme et que les ténèbres reprennent leur densité. Cela avait été si rapide qu’il n’avait même pas pu entr’apercevoir la pièce où il se trouvait.

Une puissante torche électrique l’éblouit. Le faisceau lumineux se braqua sur son visage et, au bout de quelques secondes, s’abaissa, révélant un lit qui se réduisait à un matelas posé sur un bat-flanc mal équarri.

— Je suis heureux que vous soyez réveillé, monsieur le secrétaire général, dit une voix aimable dans un excellent anglais, néanmoins teinté d’un accent que Stormgren n’identifia pas-immédiatement. J’espère que vous vous sentez tout à fait bien.

La façon dont le personnage invisible avait appuyé sur le tout à fait accrocha l’attention de Stormgren qui, ravalant les questions rageuses qui lui venaient aux lèvres, répliqua calmement :

— Depuis combien de temps suis-je resté inconscient ?

Un léger rire jaillit de l’ombre.

— Plusieurs jours. On nous a assuré qu’il n’y aurait pas de séquelles et je vois avec satisfaction que c’était vrai.

En partie pour gagner du temps et en partie pour vérifier ses réactions, Stormgren balança ses jambes. Il avait toujours son pyjama mais celui-ci était tout froissé et passablement boueux. Quand il bougea, il éprouva un vague sentiment de vertige – pas suffisamment prononcé pour être pénible mais qui lui confirma qu’il avait été drogué. Il fit face à la torche électrique.

— Où suis-je ? s’enquit-il d’une voix sèche. Est-ce que Wainwright est au courant ?

— Allons, allons, ne vous énervez pas, répondit l’autre. Nous parlerons de cela plus tard. Vous devez mourir de faim. Habillez-vous et venez dîner.

L’ovale lumineux se déplaça et Stormgren put enfin se faire une idée des dimensions de la chambre. Mais méritait-elle ce nom ? Les murs étaient des parois rocheuses grossièrement dressées et il devina qu’il s’agissait d’une caverne souterraine, peut-être enfouie à une très grande profondeur. Et s’il était resté inconscient pendant plusieurs jours, il pouvait être dans n’importe quel pays du monde.

Le pinceau de la lampe se fixa sur une pile de vêtements posés sur une valise.

— Cela devrait suffire, reprit la voix dans l’ombre. Ici, la blanchisserie fait problème. Aussi avons-nous pris deux de vos costumes et une demi-douzaine de chemises.

— Je suis touché par cette attention, laissa tomber Stormgren sur un ton dépourvu d’humour.

— Nous sommes navrés qu’il n’y ait ni meubles ni électricité. Cet endroit est bien commode sur un certain plan mais il manque quelque peu de confort.

— Commode pour quoi ?

Stormgren enfila une chemise. Le contact familier du tissu avait quelque chose de curieusement rassurant.

— Commode… simplement. À propos, puisque nous allons selon toute vraisemblance passer pas mal de temps ensemble, autant que vous m’appeliez Joe.

— Vous ne seriez pas polonais, par hasard ? Je suis sûr que je pourrais articuler votre vrai nom. Il n’est certainement pas plus imprononçable que beaucoup de patronymes finnois.

Il y eut un bref silence et le pinceau de lumière vacilla fugitivement.

— Naturellement, murmura Joe avec résignation. J’aurais dû m’y attendre. Vous devez avoir une grande pratique en la matière.

— C’est utile pour quelqu’un qui occupe la situation qui est la mienne. Je dirais à vue de nez que vous avez été élevé aux États-Unis mais que vous n’avez quitté la Pologne que…

— Ça suffit comme ça, l’interrompit fermement Joe. Puisque vous avez fini de vous habiller, je vous prierai de bien vouloir me suivre.

Stormgren se mit en marche, satisfait d’avoir remporté cette petite victoire, et la porte s’ouvrit. Au moment où Joe s’effaça pour le laisser passer, le secrétaire général se demanda si son geôlier était armé. C’était à peu près certain et, n’importe comment, il devait avoir des amis pas bien loin.

Des lampes à pétrole disposées ici et là éclairaient chichement le corridor et il put enfin voir la tête qu’avait son ravisseur. Joe avait une cinquantaine d’années et il devait facilement peser son quintal. Tout, en lui, était démesuré, depuis son blouson de combat qui pouvait provenir des stocks d’une bonne demi-douzaine d’armées nationales jusqu’à l’énorme chevalière ornant son annulaire gauche. Un individu de ce gabarit ne s’embarrassait probablement pas d’un revolver. Il ne serait pas difficile à repérer s’il s’aventurait jamais hors de son antre, songea Stormgren. Le fait que Joe en était sans aucun doute parfaitement conscient était un peu décourageant.

Les parois de la galerie, bien que cimentées par endroits, étaient taillées dans la roche vive. De toute évidence, il s’agissait d’une mine désaffectée – une prison d’une rare efficacité. Jusque-là, le fait d’avoir été kidnappé n’avait pas bouleversé Stormgren outre mesure. Il était convaincu que, en toute hypothèse, les Suzerains, avec les ressources formidables qui étaient les leurs, ne tarderaient pas à le localiser et à le délivrer. Mais maintenant, sa belle confiance était ébranlée. Plusieurs jours s’étaient déjà écoulés et rien ne s’était produit. Même la puissance de Karellen devait avoir des limites, et s’il se trouvait effectivement dans les entrailles d’un lointain continent, il se pouvait que, malgré toute leur science, les Suzerains soient incapables de retrouver sa trace.

Quand Stormgren fit son entrée dans la petite salle mal éclairée, les deux hommes attablés levèrent la tête avec curiosité et lui adressèrent un regard manifestement empreint de respect. L’un d’eux poussa vers lui une pile de sandwiches sur lesquels il se jeta. Il avait une faim canine et il n’aurait pas dédaigné un repas plus consistant mais ses ravisseurs étaient sans doute logés à la même enseigne. Tout en mangeant, il observa les trois hommes à la dérobée. Joe était de loin le plus impressionnant – et pas seulement à cause de son physique. Les autres, des individus quelconques dont il décèlerait les origines dès qu’ils ouvriraient la bouche, étaient visiblement des sous-fifres.

Stormgren fit descendre son dernier sandwich avec un verre de vin – un verre d’une propreté douteuse – et, se sentant davantage maître de la situation, il se tourna vers le gigantesque Polonais.

— Peut-être consentirez-vous à m’expliquer de quoi il retourne et à me dire ce que vous espérez au juste, commença-t-il d’une voix égale.

Joe s’éclaircit la gorge.

— Il faut tout d’abord que les choses soient claires. Wainwright n’a rien à voir dans cette affaire. Il serait le premier surpris.

Cette déclaration n’étonna Stormgren qu’à moitié, encore qu’il se demandât pourquoi Joe confirmait aimablement ses soupçons. Il y avait longtemps qu’il pensait qu’il existait un mouvement extrémiste à l’intérieur – ou à la frontière – de la Ligue de la Liberté.