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Non domus et fundus, non æris acervus et auri,

Ægroto domini deduxit corpore febres,

Non animo curas, valeat possessor oportet,

Qui comportatis rebus benè cogitat uti.

Qui cupit, aut metuit, juvat illum sic domus aut res,

Ut lippum pictæ tabulæ, fomenta podagram.

Il est un sot, son goust est mousse et hebeté; il n'en jouït non plus qu'un morfondu de la douceur du vin Grec, ou qu'un cheval de la richesse du harnois, duquel on l'a paré. Tout ainsi comme Platon dit, que la santé, la beauté, la force, les richesses, et tout ce qui s'appelle bien, est egalement mal à l'injuste, comme bien au juste, et le mal au rebours.

Et puis, où le corps et l'ame sont en mauvais estat, à quoy faire ces commoditez externes? veu que la moindre picqueure d'espingle, et passion de l'ame, est suffisante à nous oster le plaisir de la monarchie du monde: A la premiere strette que luy donne la goutte, il a beau estre Sire et Majesté,

Totus et argento conflatus, totus et auro.

perd il pas le souvenir de ses palais et de ses grandeurs? S'il est en colere, sa principauté le garde elle de rougir, de paslir, de grincer les dents comme un fol? Or si c'est un habile homme et bien né, la royauté adjouste peu à son bon heur:

Si ventri bene, si lateri est pedibusque tuis, nil

Divitiæ poterunt regales addere majus.

il voit que ce n'est que biffe et piperie. Oui à l'adventure il sera de l'advis du Roy Seleucus, Que qui sçauroit le poix d'un sceptre, ne daigneroit l'amasser quand il le trouveroit à terre: il le disoit pour les grandes et penibles charges, qui touchent un bon Roy. Certes ce n'est pas peu de chose que d'avoir à regler autruy, puis qu'à regler nous mesmes, il se presente tant de difficultez. Quant au commander, qui semble estre si doux; considerant l'imbecillité du jugement humain, et la difficulté du chois és choses nouvelles et doubteuses, je suis fort de cet advis, qu'il est bien plus aisé et plus plaisant de suivre, que de guider: et que c'est un grand sejour d'esprit de n'avoir à tenir qu'une voye tracée, et à respondre que de soy:

Ut satiús multo jam sit, parere quietum,

Quam regere imperio res velle.

Joint que Cyrus disoit, qu'il n'appartenoit de commander à homme, qui ne vaille mieux que ceux à qui il commande.

Mais le Roy Hieron en Xenophon dict d'avantage, qu'à la jouyssance des voluptez mesmes, ils sont de pire condition que les privez: d'autant que l'aysance et la facilité, leur oste l'aigre-douce pointe que nous y trouvons.

Pinguis amor nimiumque potens, in tædia nobis

Vertitur, et stomacho dulcis ut esca nocet.

Pensons nous que les enfans de coeur prennent grand plaisir à la musique? La sacieté la leur rend plustost ennuyeuse. Les festins, les danses, les masquarades, les tournois rejouyssent ceux qui ne les voyent pas souvent, et qui ont desiré de les voir: mais à qui en faict ordinaire, le goust en devient fade et mal plaisant: ny les dames ne chatouillent celuy qui en jouyt à coeur saoul. Qui ne se donne loisir d'avoir soif, ne sçauroit prendre plaisir à boire. Les farces des bateleurs nous res-jouissent, mais aux jouëurs elles servent de corvée. Et qu'il soit ainsi, ce sont delices aux Princes, c'est leur feste, de se pouvoir quelque fois travestir, et démettre à la façon de vivre basse et populaire.

Plerumque gratæ principibus vices,

Mundæque parvo sub lare pauperum

Coenæ sine aulæis Et ostro,

Solicitam explicuere frontem.

Il n'est rien si empeschant, si desgouté que l'abondance. Quel appetit ne se rebuteroit, à veoir trois cents femmes à sa merci, comme les a le grand Seigneur en son serrail? Et quel appetit et visage de chasse, s'estoit reservé celuy de ses ancestres, qui n'alloit jamais aux champs, à moins de sept mille fauconniers?

Et outre cela, je croy, que ce lustre de grandeur, apporte non legeres incommoditez à la jouyssance des plaisirs plus doux: ils sont trop esclairez et trop en butte.

Et je ne sçay comment on requiert plus d'eux de cacher et couvrir leur faute: Car ce qui est à nous indiscretion, à eux le peuple juge que ce soit tyrannie, mespris, et desdain des loix: Et outre l'inclination au vice, il semble qu'ils y adjoustent, encore le plaisir de gourmander, et sousmettre à leurs pieds les observances publiques. De vray Platon en son Gorgias, definit tyran celuy qui a licence en une cité d'y faire tout ce qui luy plaist. Et souvent à cette cause, la montre et publication de leur vice, blesse plus que le vice mesme. Chacun craint à estre espié et contrerollé: ils le sont jusques à leurs contenances et à leurs pensees; tout le peuple estimant avoir droict et interest d'en juger. Outre ce que les taches s'agrandissent selon l'eminence et clarté du lieu, où elles sont assises: et qu'un seing et une verrue au front, paroissent plus que ne faict ailleurs une balafre.

Voyla pourquoy les poëtes feignent les amours de Jupiter conduites soubs autre visage que le sien: et de tant de practiques amoureuses qu'ils luy attribuent, il n'en est qu'une seule, ce me semble, où il se trouve en sa grandeur et Majesté.

Mais revenons à Hieron: il recite aussi combien il sent d'incommoditez en sa royauté, pour ne pouvoir aller et voyager en liberté, estant comme prisonnier dans les limites de son païs: et qu'en toutes ses actions il se trouve enveloppé d'une facheuse presse. De vray, à voir les nostres tous seuls à table, assiegez de tant de parleurs et regardans inconnuz, j'en ay eu souvent plus de pitié que d'envie.

Le Roy Alphonse disoit que les asnes estoyent en cela de meilleure condition que les Roys: leurs maistres les laissent paistre à leur aise, là où les Roys ne peuvent pas obtenir cela de leurs serviteurs.

Et ne m'est jamais tombé en fantasie, que ce fust quelque notable commodité à la vie d'un homme d'entendement, d'avoir une vingtaine de contrerolleurs à sa chaise percée: ny que les services d'un homme qui a dix mille livres de rente, ou qui a pris Casal, ou defendu Siene, luy soyent plus commodes et acceptables, que d'un bon valet et bien experimenté.

Les avantages principesques sont quasi avantages imaginaires: Chaque degré de fortune a quelque image de principauté. Cæsar appelle Roytelets, tous les Seigneurs ayans justice en France de son temps. De vray, sauf le nom de Sire, on va bien avant avec nos Roys. Et voyez aux Provinces esloingnées de la Cour, nommons Bretaigne pour exemple, le train, les subjects, les officiers, les occupations, le service et cerimonie d'un Seigneur retiré et casanier, nourry entre ses valets; et voyez aussi le vol de son imagination, il n'est rien plus royaclass="underline" il oyt parler de son maistre une fois l'an, comme du Roy de Perse: et ne le recognoit, que par quelque vieux cousinage, que son secretaire tient en registre. A la verité nos loix sont libres assez; et le pois de la souveraineté ne touche un gentil-homme François, à peine deux fois en sa vie: La subjection essentielle et effectuelle, ne regarde d'entre nous, que ceux qui s'y convient, et qui ayment à s'honnorer et enrichir par tel service: car qui se veut tapir en son foyer, et sçait conduire sa maison sans querelle, et sans procés, il est aussi libre que le Duc de Venise. Paucos servitus, plures servitutem tenent.

Mais sur tout Hieron faict cas, dequoy il se voit privé de toute amitié et societé mutuelle: en laquelle consiste le plus parfait et doux fruict de la vie humaine. Car quel tesmoignage d'affection et de bonne volonté, puis-je tirer de celuy, qui me doit, vueille il ou non, tout ce qu'il peut? Puis-je faire estat de son humble parler et courtoise reverence, veu qu'il n'est pas en luy de me la refuser? L'honneur que nous recevons de ceux qui nous craignent, ce n'est pas honneur: ces respects se doivent à la royauté, non à moy.