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Platon en ses Loix, n'estime peste au monde plus dommageable à sa cité, que de laisser prendre liberté à la jeunesse, de changer en accoustrements, en gestes, en danses, en exercices et en chansons, d'une forme à une autre: remuant son jugement, tantost en cette assiette, tantost en cette la: courant apres les nouvelletez, honorant leurs inventeurs: par où les moeurs se corrompent, et les anciennes institutions, viennent à desdein et à mesprix.

En toutes choses, sauf simplement aux mauvaises, la mutation est à craindre: la mutation des saisons, des vents, des vivres, des humeurs. Et nulles loix ne sont en leur vray credit, que celles ausquelles Dieu a donné quelque ancienne durée: de mode, que personne ne sçache leur naissance, ny qu'elles ayent jamais esté autres.

CHAPITRE XLIV Du dormir

LA raison nous ordonne bien d'aller tousjours mesme chemin, mais non toutesfois mesme train: Et ores que le sage ne doive donner aux passions humaines, de se fourvoyer de la droicte carriere, il peut bien sans interest de son devoir, leur quitter aussi, d'en haster ou retarder son pas, et ne se planter comme un Colosse immobile et impassible. Quand la vertu mesme seroit incarnée, je croy que le poux luy battroit plus fort allant à l'assaut, qu'allant disner: voire il est necessaire qu'elle s'eschauffe et s'esmeuve. A cette cause j'ay remarqué pour chose rare, de voir quelquefois les grands personnages, aux plus hautes entreprinses et importans affaires, se tenir si entiers en leur assiette, que de n'en accourcir pas seulement leur sommeil.

Alexandre le grand, le jour assigné à cette furieuse bataille contre Darius, dormit si profondement, et si haute matinée, que Parmenion fut contraint d'entrer en sa chambre, et approchant de son lict, l'appeller deux ou trois fois par son nom, pour l'esveiller, le temps d'aller au combat le pressant.

L'Empereur Othon ayant resolu de se tuer, cette mesme nuit, apres avoir mis ordre à ses affaires domestiques, partagé son argent à ses serviteurs, et affilé le tranchant d'une espée dequoy il se vouloit donner, n'attendant plus qu'à sçavoir si chacun de ses amis s'estoit retiré en seureté, se print si profondement à dormir, que ses valets de chambre l'entendoient ronfler.

La mort de cet Empereur a beaucoup de choses pareilles à celle du grand Caton, et mesmes cecy: car Caton estant prest à se deffaire, cependant qu'il attendoit qu'on luy rapportast nouvelles si les senateurs qu'il faisoit retirer, s'estoient eslargis du port d'Utique, se mit si fort à dormir, qu'on l'oyoit souffler de la chambre voisine: et celuy qu'il avoit envoyé vers le port, l'ayant esveillé, pour luy dire que la tourmente empeschoit les senateurs de faire voile à leur aise, il y en renvoya encore un autre, et se r'enfonçant dans le lict, se remit encore à sommeiller, jusques à ce que ce dernier l'asseura de leur partement. Encore avons nous dequoy le comparer au faict d'Alexandre, en ce grand et dangereux orage, qui le menassoit, par la sedition du Tribun Metellus, voulant publier le decret du rappel de Pompeius dans la ville avecques son armée, lors de l'émotion de Catilina: auquel decret Caton seul insistoit, et en avoient eu Metellus et luy, de grosses paroles et grandes menasses au Senat: mais c'estoit au lendemain en la place, qu'il falloit venir à l'execution; où Metellus, outre la faveur du peuple et de Cæsar conspirant lors aux advantages de Pompeius, se devoit trouver, accompagné de force esclaves estrangers, et escrimeurs à outrance, et Caton fortifié de sa seule constance: de sorte que ses parens, ses domestiques, et beaucoup de gens de bien, en estoyent en grand soucy: et en y eut qui passerent la nuict ensemble, sans vouloir reposer, ny boire, ny manger, pour le danger qu'ils luy voyoient preparé: mesme sa femme, et ses soeurs ne faisoyent que pleurer et se tourmenter en sa maison: là où luy au contraire, reconfortoit tout le monde: et apres avoir souppé comme de coustume, s'en alla coucher et dormir de fort profond sommeil, jusques au matin, que l'un de ses compagnons au Tribunat, le vint esveiller pour aller à l'escarmouche. La connoissance, que nous avons de la grandeur de courage, de cet homme, par le reste de sa vie, nous peut faire juger en toute seureté, que cecy luy partoit d'une ame si loing eslevée au dessus de tels accidents, qu'il n'en daignoit entrer en cervelle, non plus que d'accidens ordinaires.

En la bataille navale qu'Augustus gaigna contre Sextus Pompeius en Sicile, sur le point d'aller au combat, il se trouva pressé d'un si profond sommeil, qu'il fallut que ses amis l'esveillassent, pour donner le signe de la bataille. Cela donna occasion à M. Antonius de luy reprocher depuis, qu'il n'avoit pas eu le coeur, seulement de regarder les yeux ouverts, l'ordonnance de son armée; et de n'avoir osé se presenter aux soldats, jusques à ce qu'Agrippa luy vint annoncer la nouvelle de la victoire, qu'il avoit eu sur ses ennemis. Mais quant au jeune Marius, qui fit encore pis (car le jour de sa derniere journée contre Sylla, apres avoir ordonné son armée, et donné le mot et signe de la bataille, il se coucha dessoubs un arbre à l'ombre, pour se reposer, et s'endormit si serré, qu'à peine se peut-il esveiller de la route et fuitte de ses gens, n'ayant rien veu du combat) ils disent que ce fut pour estre si extremement aggravé de travail, et de faute de dormir, que nature n'en pourroit plus. Et à ce propos les medecins adviseront si le dormir est si necessaire, que nostre vie en dépende; car nous trouvons bien, qu'on fit mourir le Roy Perseus de Macedoine prisonnier à Rome, luy empeschant le sommeil, mais Pline en allegue, qui ont vescu long temps sans dormir.

Chez Herodote, il y a des nations, ausquelles les hommes dorment et veillent par demy années.

Et ceux qui escrivent la vie du sage Epimenides, disent, qu'il dormit cinquante sept ans de suitte.

CHAPITRE XLV De la battaille de Dreux

IL y eut tout plein de rares accidens en nostre battaille de Dreux: mais ceux qui ne favorisent pas fort la reputation de M. de Guyse, mettent volontiers en avant, qu'il ne se peut excuser d'avoir faict alte, et temporisé avec les forces qu'il commandoit, cependant qu'on enfonçoit monsieur le Connestable chef de l'armée, avecques l'artillerie: et qu'il valoit mieux se hazarder, prenant l'ennemy par flanc, qu'attendant l'advantage de le voir en queuë, souffrir une si lourde perte. Mais outre ce, que l'issuë en tesmoigna, qui en debattra sans passion, me confessera aisément, à mon advis, que le but et la visée, non seulement d'un capitaine, mais de chasque soldat, doit regarder la victoire en gros; et que nulles occurrences particulieres, quelque interest qu'il y ayt, ne le doivent divertir de ce point là.

Philopoemen en une rencontre de Machanidas, ayant envoyé devant pour attaquer l'escarmouche, bonne trouppe d'archers et gens de traict: et l'ennemy apres les avoir renversez, s'amusant à les poursuivre à toute bride, et coulant apres sa victoire le long de la battaille où estoit Philopoemen, quoy que ses soldats s'en esmeussent, il ne fut d'advis de bouger de sa place, ny de se presenter à l'ennemy, pour secourir ses gens: ains les ayant laissé chasser et mettre en pieces à sa veue, commença la charge sur les ennemis au battaillon de leurs gens de pied, lors qu'il les vid tout à fait abandonnez de leurs gens de chevaclass="underline" et bien que ce fussent Lacedemoniens, d'autant qu'il les prit à l'heure, que pour tenir tout gaigné, ils commençoient à se desordonner, il en vint aisément à bout, et cela fait se mit à poursuivre Machanidas. Ce cas est germain à celuy de Monsieur de Guise.

En cette aspre battaille d'Agesilaus contre les Boetiens, que Xenophon qui y estoit, dit estre la plus rude qu'il eust oncques veu, Agesilaus refusa l'avantage que fortune luy presentoit, de laisser passer le battaillon des Boetiens, et les charger en queuë, quelque certaine victoire qu'il en previst, estimant qu'il y avoit plus d'art que de vaillance; et pour montrer sa prouësse d'une merveilleuse ardeur de courage, choisit plustost de leur donner en teste: mais aussi fut-il bien battu et blessé, et contraint en fin se démesler, et prendre le party qu'il avoit refusé au commencement, faisant ouvrir ses gens, pour donner passage à ce torrent de Boetiens: puis quand ils furent passez, prenant garde qu'ils marcheoyent en desordre, comme ceux qui cuidoyent bien estre hors de tout danger, il les fit suivre, et charger par les flancs: mais pour cela ne les peut-il tourner en fuitte à val de route; ains se retirerent le petit pas, montrants tousjours les dents, jusques à ce qu'ils se furent rendus à sauveté.