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Je remarque encore cette particuliere commodité; que c'est un mal, auquel nous avons peu à deviner. Nous sommes dispensez du trouble, auquel les autres maux nous jettent, par l'incertitude de leurs causes, et conditions, et progrez. Trouble infiniement penible. Nous n'avons que faire de consultations et interpretations doctorales: les sens nous montrent que c'est, et où c'est.

Par tels argumens, et forts et foibles, comme Cicero le mal de sa vieillesse, j'essaye d'endormir et amuser mon imagination, et graisser ses playes. Si elles s'empirent demain, demain nous y pourvoyrons d'autres eschappatoires.

Qu'il soit vray. Voicy depuis de nouveau, que les plus legers mouvements espreignent le pur sang de mes reins. Quoy pour cela? je ne laisse de me mouvoir comme devant, et picquer apres mes chiens, d'une juvenile ardeur, et insolente. Et trouve que j'ay grand raison, d'un si important accident: qui ne me couste qu'une sourde poisanteur, et alteration en cette partie. C'est quelque grosse pierre, qui foulle et consomme la substance de mes roignons: et ma vie, que je vuide peu à peu: non sans quelque naturelle douceur, comme un excrement hormais superflu et empeschant. Or sens-je quelque chose qui crousle; ne vous attendez pas que j'aille m'amusant à recognoistre mon poux, et mes urines, pour y prendre quelque prevoyance ennuyeuse. Je seray assez à temps à sentir le mal, sans l'allonger par le mal de la peur. Qui craint de souffrir, il souffre desja de ce qu'il craint. Joint que la dubitation et ignorance de ceux, qui se meslent d'expliquer les ressorts de nature, et ses internes progrez: et tant de faux prognostiques de leur art, nous doit faire cognoistre, qu'ell'a ses moyens infiniment incognuz. Il y a grande incertitude, varieté et obscurité, de ce qu'elle nous promet ou menace. Sauf la vieillesse, qui est un signe indubitable de l'approche de la mort: de tous les autres accidents, je voy peu de signes de l'advenir, surquoy nous ayons à fonder nostre divination.

Je ne me juge que par vray sentiment, non par discours: A quoy faire? puisque je n'y veux apporter que l'attente et la patience. Voulez vous sçavoir combien je gaigne à celà? Regardez ceux qui font autrement, et qui dependent de tant de diverses persuasions et conseils: combien souvent l'imagination les presse sans le corps. J'ay maintesfois prins plaisir estant en seurté, et delivre de ces accidens dangereux, de les communiquer aux medecins, comme naissans lors en moy: Je souffrois l'arrest de leurs horribles conclusions, bien à mon aise; et en demeurois de tant plus obligé à Dieu de sa grace, et mieux instruict de la vanité de cet art.

Il n'est rien qu'on doive tant recommander à la jeunesse, que l'activeté et la vigilance. Nostre vie, n'est que mouvement. Je m'esbransle difficilement, et suis tardif par tout: à me lever, à me coucher, et à mes repas. C'est matin pour moy que sept heures: et où je gouverne; je ne disne, ny avant onze, ny ne souppe, qu'apres six heures. J'ay autrefois attribué la cause des fiebvres, et maladies où je suis tombé, à la pesanteur et assoupissement, que le long sommeil m'avoit apporté. Et me suis tousjours repenty de me rendormir le matin. Platon veut plus de mal à l'excés du dormir, qu'à l'excés du boire. J'ayme à coucher dur, et seul; voire sans femme, à la royalle: un peu bien couvert. On ne bassine jamais mon lict; mais depuis la vieillesse, on me donne quand j'en ay besoing, des draps, à eschauffer les pieds et l'estomach. On trouvoit à redire au grand Scipion, d'estre dormart, non à mon advis pour autre raison, sinon qu'il faschoit aux hommes, qu'en luy seul, il n'y eust aucune chose à redire. Si j'ay quelque curiosité en mon traictement, c'est plustost au coucher qu'à autre chose; mais je cede et m'accommode en general, autant que tout autre, à la necessité. Le dormir a occupé une grande partie de ma vie: et le continuë encores en cet aage, huict ou neuf heures, d'une haleine. Je me retire avec utilité, de cette propension paresseuse: et en vaulx evidemment mieux. Je sens un peu le coup de la mutation: mais c'est faict en trois jours. Et n'en voy gueres, qui vive à moins, quand il est besoin: et qui s'exerce plus constamment, ny à qui les corvées poisent moins. Mon corps est capable d'une agitation ferme; mais non pas vehemente et soudaine. Je fuis meshuy, les exercices violents, et qui me meinent à la sueur: mes membres se lassent avant qu'ils s'eschauffent. Je me tiens debout, tout le long d'un jour, et ne m'ennuye point à me promener: Mais sur le pavé, depuis mon premier aage, je n'ay aymé d'aller qu'à cheval. A pied, je me crotte jusques aux fesses: et les petites gens, sont subjects par ces ruës, à estre chocquez et coudoyez à faute d'apparence. Et ay aymé à me reposer, soit couché, soit assis, les jambes autant ou plus haultes que le siege.

Il n'est occupation plaisante comme la militaire: occupation et noble en execution (car la plus forte, genereuse, et superbe de toutes les vertus, est la vaillance) et noble en sa cause. Il n'est point d'utilité, ny plus juste, ny plus universelle, que la protection du repos, et grandeur de son pays. La compagnie detant d'hommes vous plaist, nobles, jeunes actifs: la veuë ordinaire de tant de spectacles tragiques: la liberté de cette conversation, sans art, et une façon de vie, masle et sans ceremonie: la varieté de mille actions diverses: cette courageuse harmonie de la musique guerriere, qui vous entretient et eschauffe, et les oreilles, et l'ame: l'honneur de cet exercice: son aspreté mesme et sa difficulté, que Platon estime si peu, qu'en sa republique il en faict part aux femmes et aux enfants. Vous vous conviez aux rolles, et hazards particuliers, selon que vous jugez de leur esclat, et de leur importance: soldat volontaire: et voyez quand la vie mesme y est excusablement employée,

pulchrùmque mori succurrit in armis.

De craindre les hazards communs, qui regardent une si grande presse; de n'oser ce que tant de sortes d'ames osent, et tout un peuple, c'est à faire à un coeur mol, et bas outre mesure. La compagnie asseure jusques aux enfans. Si d'autres vous surpassent en science, en grace, en force, en fortune; vous avez des causes tierces, à qui vous en prendre; mais de leur ceder en fermeté d'ame, vous n'avez à vous en prendre qu'à vous. La mort est plus abjecte, plus languissante, et penible dans un lict, qu'en un combat: les fiebvres et les caterrhes, autant douloureux et mortels, qu'une harquebuzade: Qui seroit faict, à porter valeureusement, les accidents de la vie commune, n'auroit point à grossir son courage, pour se rendre gendarme. Vivere, mi Lucilli, militare est.

Il ne me souvient point de m'estre jamais veu galleux: Si est la gratterie, des gratifications de nature les plus douces, et autant à main. Mais ell'a la penitence trop importunément voisine. Je l'exerce plus aux oreilles, que j'ay au dedans pruantes, par secousses.

Je suis nay de tous les sens, entiers quasi à la perfection. Mon estomach est commodément bon, comme est ma teste: et le plus souvent, so maintiennent au travers de mes fiebvres, et aussi mon haleine. J'ay outrepassé l'aage auquel des nations, non sans occasion, avoient prescript une si juste fin à la vie, qu'elles ne permettoyent point qu'on l'excedast. Si ay-je encore des remises: quoy qu'inconstantes et courtes, si nettes, qu'il y a peu à dire de la santé et indolence de ma jeunesse. Je ne parle pas de la vigueur et allegresse: ce n'est pas raison qu'elle me suyve hors ses limites:

Non hæc amplius est liminis, aut aquæ

Cælestis, patiens latus.

Mon visage et mes yeux me descouvrent incontinent. Tous mes changemens commencent par là: et un peu plus aigres, qu'ils ne sont en effect. Je fais souvent pitié à mes amis, avant que j'en sente la cause. Mon miroüer ne m'estonne pas: car en la jeunesse mesme, il m'est advenu plus d'une fois, de chausser ainsin un teinct, et un port trouble, et de mauvais prognostique, sans grand accident: en maniere que les medecins, qui ne trouvoyent au dedans cause qui respondist à cette alteration externe, l'attribuoient à l'esprit, et à quelque passion secrette, qui me rongeast au dedans. Ils se trompoyent. Si le corps se gouvernoit autant selon moy, que faict l'ame, nous marcherions un peu plus à nostre aise. Je l'avois lors, non seulement exempte de trouble, mais encore pleine de satisfaction, et de feste: comme elle est le plus ordinairement: moytié de sa complexion, moytié de son dessein: