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Noz maistres ont tort, dequoy cherchants les causes des eslancements extraordinaires de nostre esprit, outre ce qu'ils en attribuent à un ravissement divin, à l'amour, à l'aspreté guerriere, à la poësie, au vin: ils n'en ont donné sa part à la santé. Une santé bouillante, vigoureuse, pleine, oysive, telle qu'autrefois la verdeur des ans et la securité, me la fournissoient par venuës: Ce feu de gayeté suscite en l'esprit des cloises vives et claires outre nostre clairté naturelle: et entre les enthousiasmes, les plus gaillards, sinon les plus esperdus. Or bien, ce n'est pas merveille, si un contraire estat affesse mon esprit, le clouë, et en tire un effect contraire.

Ad nullum consurgit opus cum corpore languet.

Et veut encores que je luy sois tenu, dequoy il preste, comme il dit, beaucoup moins à ce consentement, que ne porte l'usage ordinaire des hommes. Aumoins pendant que nous avons trefve, chassons les maux et difficultez de nostre commerce,

Dum licet obducta solvatur fronte senectus :

tetrica sunt amænanda jocularibus. J'ayme une sagesse gaye et civile, et fuis l'aspreté des moeurs, et l'austerité: ayant pour suspecte toute mine rebarbative.

Tristemque vultus tetrici arrogantiam.

Et habet tr stis quoque turba cynædos.

Je croy Platon de bon coeur, qui dit les humeurs faciles ou difficiles, estre un grand prejudice à la bonté ou mauvaistié de l'ame. Socrates eut un visage constant, mais serein et riant: Non fascheusement constant, comme le vieil Crassus, qu'on ne veit jamais rire.

La vertu est qualité plaisante et gaye.

Je sçay bien que fort peu de gens rechigneront à la licence de mes escrits, qui n'ayent plus à rechigner à la licence de leur pensee: Je me conforme bien à leur courage: mais j'offence leurs yeux.

C'est une humeur bien ordonnee, de pinser les escrits de Platon, et couler ses negociations pretendues avec Phedon, Dion, Stella, Archeanassa. Non pudeat dicere, quod non pudeat sentire.

Je hay un esprit hargneux et triste, qui glisse par dessus les plaisirs de sa vie, et s'empoigne et paist aux malheurs. Comme les mouches, qui ne peuvent tenir contre un corps bien poly, et bien lisse, et s'attachent et reposent aux lieux scabreux et raboteux: Et comme les vantouses, qui ne hument et appetent que le mauvais sang.

Au reste, je me suis ordonné d'oser dire tout ce que j'ose faire: et me desplaist des pensees mesmes impubliables. La pire de mes actions et conditions, ne me semble pas si laide, comme je trouve laid et lasche, de ne l'oser advouer. Chacun est discret en la confession, on le devroit estre en l'action La hardiesse de faillir, est aucunement compensee et bridee, par la hardiesse de le confesser. Qui s'obligeroit à tout dire, s'obligeroit à ne rien faire de ce qu'on est contraint de taire. Dieu vueille que cet excés de ma licence, attire nos hommes jusques à la liberté: par dessus ces vertus couardes et mineuses, nees de nos imperfections: qu'aux despens de mon immoderation, je les attire jusques au point de la raison. Il faut voir son vice, et l'estudier, pour le redire: ceux qui le celent à autruy, le celent ordinairement à eux mesmes: et ne le tiennent pas pour assés couvert, s'ils le voyent. Ils le soustrayent et desguisent à leur propre conscience. Quare vitia sua nemo consitetur? Quia etiam nunc in illis est, somnium narrare, vigilantis est. Les maux du corps s'esclaircissent en augmentant. Nous trouvons que c'est goutte, ce que nous nommions rheume ou foulleure. Les maux de l'ame s'obscurcissent en leurs forces: le plus malade les sent le moins. Voyla pourquoy il les faut souvent remanier au jour, d'une main impiteuse: les ouvrir et arracher du creus de nostre poitrine: Comme en matiere de biens faicts, de mesme en matiere de mesfaicts, c'est par fois satisfaction que la seule confession. Est-il quelque laideur au faillir, qui nous dispense de nous en confesser?

Je souffre peine à me feindre: si que j'evite de prendre les secrets d'autruy en garde, n'ayant pas bien le coeur de desadvouer ma science: Je puis la taire, mais la nyer, je ne puis sans effort et desplaisir. Pour estre bien secret, il le faut estre par nature, non par obligation. C'est peu, au service des princes, d'estre secret, si on n'est menteur encore. Celuy qui s'enquestoit à Thales Milesius, s'il devoit solemnellement nyer d'avoir paillardé, s'il se fust addressé à moy, je luy eusse respondu, qu'il ne le devoit pas faire, car le mentir me semble encore pire que la paillardise. Thales luy conseilla tout autrement, et qu'il jurast, pour garentir le plus, par le moins: Toutesfois ce conseil n'estoit pas tant election de vice, que multiplication.

Sur quoy disons ce mot en passant, qu'on fait bon marché à un homme de conscience, quand on luy propose quelque difficulté au contrepoids du vice: mais quand on l'enferme entre deux vices, on le met à un rude choix. Comme on fit Origene: ou qu'il idolatrast, ou qu'il se souffrist jouyr charnellement, à un grand vilain Æthiopien qu'on luy presenta: Il subit la premiere condition: et vitieusement, dit-on. Pourtant ne seroient pas sans goust, selon leur erreur, celles qui nous protestent en ce temps, qu'elles aymeroient mieux charger leur conscience de dix hommes, que d'une messe.

Si c'est indiscretion de publier ainsi ses erreurs, il n'y a pas grand danger qu'elle passe en exemple et usage. Car Ariston disoit, que les vens que les hommes craignent le plus, sont ceux qui les descouvrent: Il faut rebrasser ce sot haillon qui cache nos moeurs: Ils envoyent leur conscience au bordel, et tiennent leur contenance en regle: Jusques aux traistres et assassins; ils espousent les loix de la ceremonie, et attachent là leur devoir. Si n'est-ce, ny à l'injustice de se plaindre de l'incivilité, ny à la malice de l'indiscretion. C'est dommage qu'un meschant homme ne soit encore un sot, et que la decence pallie son vice. Ces incrustations n'appartiennent qu'à une bonne et saine paroy, qui merite d'estre conservee, d'estre blanchie.

En faveur des Huguenots, qui accusent nostre confession auriculaire et privee, je me confesse en publiq, religieusement et purement. Sainct Augustin, Origene, et Hippocrates, ont publié les erreurs de leurs opinions: moy encore de mes moeurs. Je suis affamé de me faire congnoistre: et ne me chaut à combien, pourveu que ce soit veritablement: Ou pour dire mieux, je n'ay faim de rien: mais je fuis mortellement, d'estre pris en eschange, par ceux à qui il arrive de congnoistre mon nom.

Celuy qui fait tout pour l'honneur et pour la gloire, que pense-il gaigner, en se produisant au monde en masque, desrobant son vray estre à la congnoissance du peuple? Louez un bossu de sa belle taille, il le doit recevoir à injure: si vous estes couard, et qu'on vous honnore pour un vaillant homme, est-ce de vous qu'on parle? On vous prend pour un autre: J'aymeroy aussi cher, que celuy-là se gratifiast des bonnetades qu'on luy faict, pensant qu'il soit maistre de la trouppe, luy qui est des moindres de la suitte. Archelaus Roy de Macedoine, passant par la ruë, quelqu'un versa de l'eau sur luy: les assistans disoient qu'il devoit le punir. Voyre mais, fit-il, il n'a pas versé l'eau sur moy, mais sur celuy qu'il pensoit que je fusse. Socrates à celuy, qui l'advertissoit: qu'on mesdisoit de luy. Point, dit-iclass="underline" Il n'y a rien en moy de ce qu'ils disent. Pour moy, qui me loüeroit d'estre bon pilote, d'estre bien modeste, ou d'estre bien chaste, je ne luy en devrois nul grammercy. Et pareillement, qui m'appelleroit traistre, voleur, ou yvrongne, je me tiendroy aussi peu offencé. Ceux qui se mescognoissent, se peuvent paistre de fauces approbations: non pas moy, qui me voy, et qui me recherche jusques aux entrailles, qui sçay bien ce qu'il m'appartient. Il me plaist d'estre moins loué, pourveu que je soy mieux congneu. On me pourroit tenir pour sage en telle condition de sagesse, que je tien pour sottise.

Je m'ennuye que mes Essais servent les dames de meuble commun seulement, et de meuble de sale: ce chapitre me fera du cabinet: J'ayme leur commerce un peu privé: le publique est sans faveur et saveur. Aux adieux, nous eschauffons outre l'ordinaire l'affection envers les choses que nous abandonnons. Je prens l'extreme congé des jeux du monde: voicy nos dernieres accolades. Mais venons à mon theme.

Qu'a faict l'action genitale aux hommes, si naturelle, si necessaire, et si juste, pour n'en oser parler sans vergongne, et pour l'exclurre des propos serieux et reglez? Nous prononçons hardiment, tuer, desrober, trahir: et cela, nous n'oserions qu'entre les dents. Est-ce à dire, que moins nous en exhalons en parole, d'autant nous avons loy d'en grossir la pensee?

Car il est bon, que les mots qui sont le moins en usage, moins escrits, et mieux teuz, sont les mieux sceus, et plus generalement cognus. Nul aage, nulles moeurs l'ignorent non plus que le pain. Ils s'impriment en chascun, sans estre exprimez, et sans voix et sans figure. Et le sexe qui le fait le plus, a charge de le taire le plus. C'est une action, que nous avons mis en la franchise du silence, d'où c'est crime de l'arracher. Non pas pour l'accuser et juger: Ny n'osons la fouëtter, qu'en periphrase et peinture. Grand faveur à un criminel, d'estre si execrable, que la justice estime injuste, de le toucher et de le veoir: libre et sauvé par le benefice de l'aigreur de sa condamnation. N'en va-il pas comme en matiere de livres, qui se rendent d'autant plus venaux et publiques, de ce qu'ils sont supprimez? Je m'en vay pour moy, prendre au mot l'advis d'Aristote, qui dit, L'estre honteux, servir d'ornement à la jeunesse, mais de reproche à la vieillesse.

Ces vers se preschent en l'escole ancienne: escole à laquelle je me tien bien plus qu'à la moderne: ses vertus me semblent plus grandes, ses vices moindres.

Ceux qui par trop fuyant Venus estrivent,

Faillent autant que ceux qui trop la suivent.

Tu Dea, tu rerum naturam sola gubernas,