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— C’est ainsi tous les soirs ?

— Presque.

— Donc, il y a des nuits sans ?

— Peu.

— Avez-vous remarqué quelque chose de particulier dans la maison lors des périodes de silence ?

Elle réfléchit comme une glace biseautée.

— Franchement pas.

Nouveau silence. Je ne me satisfais pas de sa réponse. Fatalement, l’absence de plaintes doit correspondre à celle de « quelqu’un » du palais.

Je risque, guidé par mon instinct et mon intelligence qui sont des valeurs sûres :

— Il arrive au prince d’effectuer des voyages ?

C’est un trait de ce que tu voudras pour elle : lumière ou génie.

— Mais bien sûr ! elle exclame. On n’entend rien quand il n’est pas ici.

La chérie ! C’est beau, la Pologne, tu sais ! Le jour où le Club Méditerranée y établira une tête de pont, je ne manquerai pas de lui réserver mes vacances.

Par correction et avant de me retirer, je lui demande si elle souhaite me pomper le nœud ; elle me dit que ce sera pour une autre fois « avec plaisir ».

Je me retire donc, la zézette en berne, mais l’âme en paix.

Nuit calme. Sommeil du juste.

Me réveille d’un bourdonnement d’abeille. Comme la veille, le mahomed insiste pour me rendre visite. Râteau d’or, rai oblique aux poussières tournoyantes. Dans ce pays béni d’Andalousie, c’est toute l’année l’été.

J’achève d’évacuer un reliquat de dorme par petits bâillements. Un léger bruit me sursaute.

Me détronche.

Tu sais quoi ? Le prince Soliman Draggor de Razmamoul vient de pénétrer dans ma chambre, en tenue de tennisman : short blanc, chemise Lacoste verte. Il a une serviette-éponge autour du cou pour étancher la sueur qui ruisselle de son visage.

Il s’avance vers moi, l’air préoccupé. Le tic qui contracte spasmodiquement sa bouche est plus véhément que la veille. Probablement à cause des efforts qu’il vient de fournir ?

Je dis :

— Pardonnez-moi de rester au lit, Monseigneur, mais j’ai l’habitude de dormir nu.

Il sourit torve.

— La nudité d’un mâle ne me dérange pas, bien au contraire.

Puis, sans la moindre gêne, il vient s’asseoir au bord de mon lit.

Je me sens gauche comme un puceau qui regarde sa grande cousine vaquer à ses ragnagnas. Comment faire face si le gars Soliman entreprend de me cigogner le bec verseur ? Lui cloquer un coup de boule entre les sourcils ? Ce serait risqué et ça me vaudrait probablement d’être immergé dans le détroit de Gibraltar avec un chouette lardeuss en béton.

T’heureusement, le monarque ne s’en prend pas à mes sens.

— Je suis très troublé, me dit-il. Vous savez que mon médecin personnel, le bon docteur Ti-Pol, a disparu ?

— Mlle Shéhérazade m’en a parlé, admets-je.

— Il me manque. C’est un homme plein de ressources, dont l’avis m’était précieux.

Comme quoi tout le monde peut arnaquer tout le monde quand on sait inspirer confiance. Et, à intelligible voix :

— Vous pensez que son absence est voulue ou indépendante de sa volonté, Monseigneur ?

— Il n’avait aucune raison de disparaître. En outre, la sécurité du palais n’ayant pas réagi, il est probable qu’il est encore dans les parages.

— A-t-on fouillé les bâtiments et les communs ?

— Naturellement. Je déteste ce genre de mystère.

— Je le conçois, Monseigneur. Puis-je vous faire une remarque ?

— Parlez !

— Vous prétendez qu’il n’avait aucune raison de disparaître, mais en êtes-vous sûr ? Souvent, on croit tout savoir des individus ; pourtant il arrive qu’ils vous infligent de mauvaises surprises. Dites-vous bien, Monseigneur, que tout fait étrange en apparence comporte sa justification.

Le potentat de Razmamoul acquiesce sans chaleur :

— Peut-être.

— D’un moment à l’autre vous risquez d’avoir l’explication de ce mystère, et alors il vous apparaîtra sous un jour nouveau.

— Vous êtes un sage, monsieur Tiarko.

— Les gens qui ont vécu des choses intenses le deviennent fatalement.

L’illustre visiteur se prend à caresser ma jambe à travers le drap.

— Musclé, hein ?

Je le regarde de telle sorte que, sans avoir à prononcer un long discours, il reprend sa paluche, vite fait bien fait, pour l’aller promener sur d’autres académies mieux enclines.

Peut-être est-ce une relation de cause à effet, toujours est-il qu’il demande :

— Par quel bout commencerez-vous vos recherches ?

Je dégoise, l’air d’en avoir deux (et J’EN ai deux !) :

— Je n’étais pas le seul familier des Ceauşescu ; son principal conseiller-confident était le général Gheorghi Dobroujda. C’est sans aucun doute cet officier qu’il aura mandaté pour mener les tractations concernant l’achat du trésor Izmir.

Mon ton convaincu l’impressionne.

— Vous le pensez ?

— Je ne vois que Gheorghi pour une telle mission de confiance.

— Qu’est devenu cet homme ?

— Il a échappé de justesse au peloton d’exécution et a été condamné à vingt ans de détention qu’il purge dans la forteresse Bistroka dans les Carpates ; un endroit pas trop gai.

— A-t-il droit à des visites ?

— J’ignore tout de ses conditions d’internement.

— Il va falloir s’attacher à cette question, pour commencer.

— Pas facile, Monseigneur ; je suis un exilé.

— Je vais vous procurer une fausse identité.

Il ajoute, avec un sourire fumelard :

— Une véritable fausse.

— En ce cas…

— Et puis faire modifier votre apparence de façon à ce que vous ne soyez pas reconnu. Si cet imbécile de Ti-Pol n’avait pas disparu, ce serait pour lui un jeu d’enfant ; je l’ai vu remodeler des visages de façon hallucinante.

Un froid glacial me part du cœur et dévale jusqu’à mes testicules. Dis, j’ai pas envie de me payer la frime de Dracula sous prétexte que je vais faire une virouze dans les Carpates. J’empresse de déclarer :

— Rassurez-vous, Monseigneur, mon visage n’était connu que de quelques familiers, il me suffira de laisser pousser barbe et moustache pour ne courir aucun risque.

— Tant mieux. Huit jours suffiront ?

— Pour que mon aspect soit différent ? Certainement. Je ne veux pas utiliser des postiches qui en fin de compte ne trompent personne. En attendant, auriez-vous quelqu’un d’habile pour aller reconnaître les lieux et s’enquérir de la fiabilité de cette forteresse, de façon à ce que je me fasse remarquer le moins possible quand j’arriverai à pied d’œuvre ?

— Blint et Howard sont malins comme des singes.

— Seulement ils ne parlent pas le roumain…

— Le dollar est un espéranto, rétorque Soliman Draggor. Notez les indications que vous venez d’évoquer afin que je puisse mettre sur pied l’opération « repérage ».

11

TU SENS LE JASMIN, JASMIN !

Ah ! l’odeur d’un jardin arrosé ! Je ne sais rien de plus suave ni de plus enivrant.

Des jets à tourniquet balaient la pelouse et ses plates-bandes de rosiers nains. Ils produisent un léger cliquetis qui accompagne la chute irisée de l’eau sur les végétaux grassement entretenus.

Lorsque j’étais étudiant, je m’arrêtais devant les massifs des jardins publics au moment où ils recevaient leur ration de flotte. Le soleil mettait des arcs-en-ciel au-dessus des fleurs. Une fraîcheur paradisiaque veloutait la nature dressée. Je restais là, charmé, plein d’une ineffable gratitude pour cet instant de grâce vaporeuse.