— Il ne faut pas : c’est mon problème.
Je gambergeasse un poil.
— Il n’est pas que le personnel, objecté-je, il y a également la femme qui assiste Monseigneur dans ses travaux.
Elle balaie mon objection d’un geste désinvolte.
— Rien à craindre d’elle !
— En êtes-vous certaine ?
— Elle n’est plus au palais, révèle Shéhérazade. Le prince l’a congédiée ce matin avec effet immédiat et l’a fait conduire à l’aéroport de Malaga.
Bloiiiing ! La nouvelle a du mal à franchir le rétrécissement de mon gosier.
Congédiée, la choucarde petite Polack ? Dans l’instant, comme un vendeur surpris la main dans la caisse ? Dis, il est expéditif le monarque !
— Elle a dû commettre une faute grave ? m’enquiers-je-t-il insidieusement.
— En effet, répond ma camarade de lit, la plus grave de toutes : elle avait cessé de l’intéresser !
13
DONNE-MOI TON PROSE, ROSE
On s’est séparés très tard, car nous avons remis le couvert après le repas, si je puis dire. Oh ! ça n’a pas été l’hyper-séance de l’aprème, mais une simple troussée d’après dîner sans rien de très épique, voire un poil nonchalante, même. Genre pousse-café, si tu piges.
J’ai tenté de lui groumer la malle-poste, histoire de la convertir une bonne fois, mais elle a protesté et regimbé des meules, n’étant plus suffisamment anesthésiée par le désir pour réitérer cette pratique qui l’avait mise en fureur la veille.
Alors quoi, j’allais pas lui en péter une pendule : j’ai fait contre mauvaise fortune bon zob et lui ai servi une culbutée postopératoire sans grandiloquence de la viande, mais néanmoins d’honnête facture.
Pour m’en savoir gré, elle m’a fait mimi sur le casque de Néron en signe d’allégeance et cette attention m’a ému. J’aime qu’on me donne des petites marques d’intérêt, parfois, elles rendent l’existence davantage cool ; elle n’est supportable qu’à ce prix (peu élevé).
Après ces tribulations sexuelles, nous nous sommes enfin séparés. Contrairement à la fois précédente où elle me promettait les feux de l’enfer, c’est par une déclaration d’amour éperdue qu’elle m’a quitté.
Et maintenant, j’attends l’heure de partir en expédition dans les sous-sols du palais.
Pas meilleure occase. Le prince, son giton et ses hommes de main sont absents. Sa « secrétaire particulière » est épuisée par un meeting amoureux sans précédent. Je suis prêt à te parier un corbillard transformable en camping-car, contre une inclusion de César réalisée avec les cent derniers tampons périodiques de Madonna, que la gosse va s’anéantir dans son pucier après un bain incontournable. Suffit d’attendre que le palais soit pétrifié dans une dormissure générale. Ensuite je reprendrai mon « détourneur de champ visuel optique » ainsi que mon sésame et partirai en exploration.
Comme me le faisait remarquer la duchesse de Kent, l’autre jour : la vie est une rude épreuve pour un homme tel que mézigue. J’ai fini par devenir celui qui traverse le Niagara de l’existence sur un câble, avec juste ses génitoires pour balancier.
Un danger succède à une troussée, un exploit hors du commun à un trait de génie. Ensuite, brisé, hagard (on m’appelle l’hagard de Lyon), je me place devant une glace dont le teint n’est pas plus fameux que le tien et je me chuchote : « Et après, grand con ? »
Après rien. J’emmène Félicie claper dans un chouette restau à étoiles, je nique une nouvelle frangine dont le slip n’est pas plus grand qu’un timbre-poste, je prends un week-end ensoleillé au bord d’un lagon au sirop de lune, je lis les dix premières pages du nouveau Stephen King (huit cents, j’arrive à les écrire, jamais à les lire), ou bien je vais à la messe dans une église inconnue afin de demander au Seigneur des trucs dont je n’ai pas nécessairement besoin. Le dur, c’est « de faire avec soi-même », les autres, on s’en arrange toujours puisqu’on s’en cogne l’os à moelle.
Usant du stratagème employé la nuit précédente, j’atteins l’escadrin conduisant au sous-sol. Il ferme par une large porte en bois verni, percée de petits cœurs comme les gogues dans les « jardins communautaires ».
En bas, c’est tout en briques, avec le plaftard blanc. Une succession de lieux voûtés : chaufferie, buanderie, stockage des denrées, congélateurs, que sais-je-t-il encore ! Séparée du reste, la cave à vins.
A genoux ! tout le monde ! Un très haut lieu. Pour un gazier qui doit être musulman, pardon du peu ! Il est vrai que le prince reçoit beaucoup. Il a entreposé ici des trésors. Je ne m’attarde pas à visiter, hélas, l’heure n’est pas à la dégustation. Pourtant, mon œil exercé repère des flacons incontournables.
Cet endroit comprend une enculade de locaux (comme dit Béru). T’as l’apparte des bourgognes et celui des bordeaux, plus des logements, pour d’autres vins moins académiques : vins de Loire, côtes du Rhône, Alsace, et je te passe les cassis, les cahors, toute la lyre ! Vins de la rouge Espagne, de l’adorable Italie, de la pauvre Hongrie martyre. Au fond : la Chapelle Sixtine, à savoir les champagnes. En magnums, en jéroboams, en réhoboams, en mathusalems, en salmanazars, en balthazars et en nabuchodonosors (qu’on ne peut servir qu’avec une pompe à incendie) ; seize litres, à la tienne, sommelier !)
Je biche une monstre pépie à visionner cet antre de Bacchus, mais le turbin commande.
Moi, toujours malin, me suis, entre autres préciosités, muni d’une boussole. Il est temps de faire le point afin de repérer la gaine qui m’intéresse. D’après mon relevé, elle se situerait en deçà de la cave à vins, précisément.
Sagace comme pas d’autres, je traverse celle-ci (avec émotion). Me voici devant ce que dans ma province nous appelons un « trappon ». Un mètre cinquante au carré. Il est en fer et n’est pourvu d’aucun verrou, d’aucune poignée ou boucle. Je donne du talon sur le métal. Ça sonne le creux (je n’ai jamais entendu sonner le plein). Cette plaque ne laisse pas le moindre interstice dans lequel glisser la tête aplatie d’un pied-de-biche.
Perplexe, je me donne le temps de la réflexion. Il est certain que cette trappe s’ouvre, sinon à quoi servirait-elle ? Donc, on l’actionne grâce à un contacteur invisible. La cave est éclairée par de puissants plafonniers protégés par un grillage. Je regarde la gaine métallique amenant le courant le long de la voûte. Note qu’elle se poursuit au plaftard après avoir desservi le dernier point de lumière. Je vois qu’elle gagne le fond du local et descend derrière les casiers à bouteilles (abritant des magnums de Dom Pérignon millésimé). J’écarte des boutanches pour continuer d’étudier le périple de la petite tuyauterie argentée. Mon battant faille exploser.
Tu veux que je dise une bonne chose ? Si tu rencontres des connards qui viennent te ricaner : « Oui, Santantonio, je vous dis pas, mais il ne faut pas exagérer », crache-leur à la gueule sans attendre, mec ! Ils le méritent, parole ! Parce que, la main sur la bite : entre nous et le pont Alexandre III, des julots de ma trempe, n’y avait que Félicie pour en réussir un vrai.
Voilage-t-il pas que la gaine flexible servant de conduit au fil électrique plonge derrière un panneau de fer ancien (il en existe plusieurs dans cette cave) vantant les mérites du champagne Paul Brick, vieille marque disparue depuis que le fils de Paul Brick (mort en 1945) s’est engagé à la Légion étrangère et que sa mère, la veuve Brick, (née Lapierre d’Evier) a dilapidé sa fortune sur les tapis verts de Monte-Carlo.
Mais l’historique en raccourci de cette illustre maison m’emporte à quelques verstes de mon sujet, dirait Henri Troyat.