Выбрать главу

Une vieille servante aux cannes torses m’apporte un plateau lesté du bouffement matinal classique : café, lait, rôties, beurre et miel. J’attaque à l’arme blanche, dérouté par l’apathie ambiante. J’imaginais ce début de journée très autrement.

Le bread est grossier comme moi. C’est ainsi que je l’aime. Je raffole de ces gros pains de campagne tout gris avec une croûte pareille à de la peau d’éléphant. Mon côté bouseux, toujours. A Saint-Chef, il était un peu commak, le bricheton. De belles roues lourdes sur lesquelles on traçait un signe de croix avec la pointe du couteau avant de les attaquer.

— Je peux déjeuner avec toi, tonton Antoine ? demande un organe juvénile.

Je me retourne et c’est kif si je découvrais la reine de Hollande et des Pays-Bas en tutu.

Tu sais quoi ?

T’as tout de suite compris qui ?

Ben oui, mon ami : Apollon-Jules, le surdoué de la branlette !

Il porte un pyjama une pièce, style combinaison de coureur automobile, sur lequel d’ailleurs il y a écrit Ferrari en lettres noires sur fond rouge, orné d’une superbe auréole sur le devant car ce tocasson fait de l’incontinence nocturne. La devise de Béru dernier est la même que celle de ses aïeux : « Jaune devant, marron derrière ».

— Tttttoi ! libéré-je-t-il comme dans les romans de capes et de pets.

— Hein, dis, tonton Antoine, tu veuilles qu’je déjeunerais av’c toi ; p’pa et m’man sont pas là.

— C’est la deuxième fois ! grommelé-je.

— Quoi, tonton ?

Déjà en Finlande, il y a des, ils avaient oublié leur chiare, les infâmes ! Ô Seigneur, qu’est-ce qui Vous a pris d’accorder le privilège d’enfanter à un couple aussi dénué de ses responsabilités les plus sacrées ? Répondez-moi, je Vous conjure ! Que je finis par fatiguer de toujours Vous poser des questions auxquelles il me faut trouver des réponses qu’aient pas l’air trop tartes !

Et puis, brusquement, c’est l’illumination. Je mords le parti à tirer du gag. La présence de l’enfant à l’auberge accréditera l’idée que ses parents ne sont pas en fuite, mais qu’ils sont allés excursionner.

Je demande à la serveuse déclavetée d’apporter le petit déje du môme.

Elle opine :

— Une omelette de six œufs, du lard et du fromage comme d’habitude ?

— On ne change rien à une équipe qui gagne ! lui réponds-je, sibyllin.

Il a briffé. Je lui ai fait faire sa toilette (chose qui n’a pas eu l’heur de le botter) et maintenant je m’attaque à sa maquette d’avion qu’il n’avait pas encore sortie du paquet. Cadeau de tonton Pinaud. Faut bien être un vieux nœud coulant style César pour offrir ce machin à un petit connard tel qu’Apollon-Jules. Y a que les gonziers sortis de 1’« X » qui arrivent à construire ce genre de truc ! En tout cas pas les manches genre ma pomme, anti-bricoleur à se déféquer parmi. Un Fokker de la 14–18, si tu te rends compte ! Bonjour les dégâts !

Je suis aux prises avec des chiées de petites pièces ridicules lorsque mon dernier coéquipier, le chafouin Blint, me jaillit sur les endosses avec un regard pareil à un filet de vinaigre à l’échalote sur une belon.

Il me lance avec l’air honnête et franc d’un reître dans un film de mousquetaires :

— Téléphone ! Le prince !

Trois mots bourrés d’explosifs. Il doit suinter de la bitoune dans ses braies anglaises.

Je lui décoche un sourire tellement radieux qu’il ferait éclater un baromètre. Puis me dirige vers la cabine antédiluvienne logée au fond de la salle.

Je décroche.

— J’écoute ?

Sa Majesté est dans tous ses états, si tu me permets. Elle grince :

— Vous allez me dire immédiatement ce qu’il est advenu d’Howard, monsieur Tiarko !

Je flaire la grosse crise. En me parlant, il doit regarder depuis son burlingue les eaux bleues du détroit de Gibraltar en rêvant de m’y faire précipiter, chaussé de béton.

Et moi, du talc au talc, comme dirait cet endoffé d’Alexandre-Benoît :

— Je ne vous dirai pas ce que j’ignore, mais seulement ce que je sais, Monseigneur. Pour commencer, laissez-moi vous faire observer que vous ne m’avez pas donné vos deux guignolos à garder, ce serait plutôt le contraire, n’est-il pas ?

Mon calme le déroute. Il ne souffle plus mot. Alors je reprends d’un ton âpre :

— Je me serais bien passé de ces imbéciles qui, avec leurs allures troisième couteau, se font repérer à cent kilomètres. Pourtant, j’ai réussi, à leur insu, la première partie de mon programme.

Il émet une exclamation escamotée, puis chuchote :

— Vous avez pu approcher le… l’intéressé ?

— Mieux que cela, Monseigneur.

— C’est-à-dire ?

Je baisse la voix et articule :

— Il est à ma disposition, Monseigneur.

— Vous dites vrai ?

— J’ai toujours considéré le mensonge comme une perte de temps déshonorante.

— Comment avez-vous procédé ?

— Il n’est pas opportun d’entrer dans un tel récit là où je me trouve.

— Et Blint l’ignore ?

— J’ai agi pendant qu’il était ivre mort. Ne serait-il point d’origine écossaise ? Il a une propension au scotch qui le donnerait à penser. Pour tout vous avouer, je me méfie de lui ; non que je le soupçonne de traîtrise, mais de stupidité, certes oui !

— Je l’écorcherai vif ! déclare sourdement Soliman Draggor.

— Que feriez-vous d’une aussi piètre peau, Monseigneur ?

Un nouveau temps de réflexion chez mon terlocuteur.

— Je suppose, monsieur Tiarko, que vous ne me racontez pas là une fable ? fait-il d’un ton qui te démange l’autour du rectum et te coule du fluide glacial dans les cages à miel.

— Monseigneur, dis-je-t-il, puisque vous doutez de moi, je vais montrer l’homme à Blint qui vous confirmera la chose, d’accord ?

— Faites.

Tu vois, la confiance règne ! Mais quand tu es un fumelard de ce calibre, tu n’accordes de crédit à rien ni à personne, pas même à ton miroir.

J’adresse un signe au primate, plein d’autorité. Il me suit.

Quelques seconde plus tard, je toque à l’aide d’un manche à balai le trappon du galetas.

— Mon général, appelé-je, vous voulez bien vous montrer un instant ?

Le semi-prisonnier obéit et son visage blafard de concentrationné paraît par l’ouverture. Il tressaille en voyant que je ne suis pas seulabre.

— N’ayez crainte, le rassuré-je, monsieur ne nous trahira pas.

Blint et le détenu échangent un long regard dévisageur.

— C’est tout, mon général, vous pouvez refermer. Dans un moment nous vous apporterons une collation.

Je frime le macaque. J’ai déjà eu sous les yeux des exemples d’ahurissement forcené, mais des comme le sien, j’ai beau davantage réfléchir que toute la Galerie des Glaces, je crois que c’est le premier.

— Allons rappeler le prince, tranché-je, et confirmez-lui que Gheorghi Dobroujda est bel est bien à ma disposition. Ensuite, essayez de vous comporter en fonction de la situation : je n’ai pas envie de finir ma vie dans un cul-de-basse-fosse !

Tu vois, les êtres les plus belliqueux, les plus puants, les plus merdiques, tu les domineras toujours si tu emploies la manière forte. Ils sont pareils aux catins de jadis : ne comprennent et n’aiment que les tartes dans le museau.

Le voici plus docile qu’une vieille pantoufle.

— Comment avez-vous fait ? me demande-t-il tandis que nous retournons à la cabine tubophonique.

Non, qu’est-ce qu’il imagine, Toto ? Que je vais lui tartiner mes mémoires et qu’il n’aura plus qu’à les signer avant de les adresser à mon éditeur ?