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J’en suis à mémorer tout un circus salace lorsqu’un bruit m’attire l’attention : un léger choc suivi d’un glissement feutré. Je suis prêt à te parier l’appareil dentaire de la couine Elisabeth contre la connerie de son fils aîné, que quelqu’un entreprend d’ouvrir ma lourde, chose aisée puisque son verrou est bidon, mais elle est freinée par le fauteuil que j’ai placé derrière.

Étant couché à plat ventre, il m’est fastoche d’observer dans le clair-obscur (plus obscur que clair), le comportement de la personne en train de forcer mon intimité.

Je suis enclin à croire qu’il s’agit de la belle Shéhérazade. De très grande évidence, cette frelote s’en ressent pour moi. M’est avis qu’ici elle n’a pas grand monde à se coller entre les cuisses, c’est pourquoi ma présence dans le palais chancetique son sommeil. Je te parie le machin que t’aperçois là-bas, contre le beau truc que voici, qu’elle a le frifri en éruption. Deux doigts de cour et un solo de mandoline n’ayant pu calmer sa fringale nocturne, elle vient chasser le paf, nuitamment, la petite goulue, ne désespérant pas de vaincre ma froideur par le feu de sa passion, comme l’écrit Mme Weil dans son joli roman intitulé « En voiture, Simone ».

Et puis la silhouette se rapprochant, force m’est de déchanter, voire de déjanter, en constatant qu’il y a erreur d’estimation. Foin de la belle enfant à la peau dorée, en fait, c’est le bon docteur Ti-Pol qui se radine sur la pointe des baskets. Il a troqué sa blouse médicale contre une robe de chambre noire attelée d’un dragon doré plus tartignol que nature.

J’attends qu’il soit à un mètre cinquante de mon paddok d’apparat pour me manifester :

— Vous avez des insomnies, vous aussi, docteur ?

Et j’actionne le commutateur de lit.

Dans une belle lumière orangée, l’Asiatique fait davantage chinois. Mais peut-être vient-ce de son dragon à la mords-me the zob ?

Ti-Pol demeure un pas vide (comme dit Béru).

— Veuillez me pardonner de violer votre intimité, il murmure, mais il était nécessaire que nous ayons un entretien privé.

Je m’assieds dans ma somptueuse couche, le dossard calé par deux oreillers, vigilant et amène.

Ma posture place l’arrivant en état d’infériorité puisqu’il est contraint de rester debout et de côté.

— Eh bien, je vous écoute, mon cher, l’invité-je-t-il d’une voix non seulement urbaine mais aussi suburbaine.

Cézigmoche, il engage le fer sans attendre qu’il soit chaud :

— Vous n’êtes pas Gheorghiu Tiarko, dit-il froidement.

Dans mon métier, très particulier, il faut s’attendre à tout et au reste. Surtout au reste. L’imprévisible chemine à notre côté et se place parfois devant nous, les bras en croix pour nous empêcher de passer. Dans ces cas singuliers, quoi faire ?

Eh bien je vais te le dire : d’abord conserver son calme, qu’il atteigne à l’indifférence souveraine. Ne pas se mettre à régurgiter, oh ! que non. Opposer à l’attaque la désinvolture la plus complètement suprême. Pas ergoter surtout. Ni indigner. Encore moins tempêter. Le détachement absolu. Calmos, badin, dédaigneux quasiment.

Mézigo, peinardoche, pattounes jointes sur ses grosses balloches emmanchées d’un long cou, je considère cet ancêtre de l’homme descendu des arbres avec une espèce d’aimable commisération.

— Ça consiste en quoi, docteur ? je demande comme s’il venait de me citer le nom d’un plat exotique qui me serait inconnu.

Tu sais que je le trouve pas sympa, ce Niaque. Il m’est arrivé de rencontrer des gonziers antipathiques : des grincheux, des hépatiques de l’âme, des tourmentés de la raie au milieu. Mais ils ressemblaient à saint Vincent de Paul, comparés.

Si je crois le déconcerter avec mon attitude désinvolte, je me carre le salsif dans le lampion à en trouer le fond de mon slip !

— Savez-vous pourquoi vous n’êtes pas Gheorghiu Tiarko ? il me questionne avec sa voix doucerette.

— Pas encore, j’élude, un tout petit pneu crispé dans mes baskets de cérémonie.

— Parce que vous êtes l’ex-commissaire San-Antonio de la Police de Paris !

Le silence qui succède à cette affirmance non dénuée de fondement (comme dit toujours un gay de mes relations qui pourrait planquer un violoncelle d’un peu plus de quatre octaves dans le sien) me fait comme si je découvrais un crocodile dans ma baignoire au moment de prendre mon bain mensuel.

Je ne me donne pas le ridicule de nier l’évidence.

— Puisque vous le dites, docteur…

— Je le dis parce que c’est la vérité. J’ai dans mon appartement un minuscule fichier où sont rassemblés les signalements de tous les principaux policiers du monde.

— Il en est bien qui collectionnent les timbres-poste.

Il extrait de sa poche une sorte de plaque transparente comportant mon portrait en négatif ainsi qu’un texte d’une dizaine de lignes imprimées à l’envers.

— Pas besoin de l’appareil de projection, je pense ; vous vous reconnaissez ?

— Comme si c’était moi, Doc.

Nouveau silence. Le Niaque se mordille un coin d’ongle qu’il finit par sectionner et cracher.

— Je suppose que vous avez fait part de votre découverte au prince ?

— Pas encore. Je préfère avoir un entretien avec vous auparavant.

— Chinois ! ne puis-je me retenir.

— Pardon ?

— Non, rien ; c’est une plaisanterie à zéro franc cinquante dont les Français, gens d’esprit, sont coutumiers.

Il a un léger haussement d’épaules abdicateur.

— Vous comprenez qu’en l’état actuel des choses, vous n’avez aucune chance de quitter ce palais sans le consentement de son propriétaire. C’est mieux qu’une forteresse : une chambre forte.

— Ce préambule pour arriver à quoi ?

— A ceci, monsieur San-Antonio : votre existence est actuellement entre mes mains. Que je parle de ma découverte au prince et, quelques heures plus tard, vous serez immergé au large, à l’intérieur d’un bloc de béton armé. C’est le système qu’a choisi Monseigneur pour se défaire des gens intempestifs.

— Classique, mais radical, apprécié-je-t-il. Il ne me reste plus qu’à vous demander quelle solution vous envisagez, qui me permettrait d’éviter d’avoir le détroit de Gibraltar pour sépulture.

— M’obéir en tous points !

— Mais encore ?

— Accepter une alliance avec moi ; d’ailleurs vous n’avez pas le choix !

— Vous avez des arguments déterminants, Doc.

— S’ils ne l’étaient, je me serais abstenu de venir vous parler en pleine nuit.

— Eh bien, puisque les dés et le sort en sont jetés, j’attends vos propositions.

— Si vous vous faites passer pour Gheorghiu Tiarko c’est dans un but important.

— Tout est relatif, docteur.

— Il me faut connaître vos intentions avant d’aller plus avant !

Je crois te l’avoir signalé, à moins que je ne fasse de la sénilité précoce : ce ouistiti me trottine sur la prostate. Je suis en train de penser qu’il ruine mon action en m’ayant identifié. A cause de cet avorton hépatique, tout risque de foirer. Or, RIEN ne doit être entravé au cours de cette mission, l’une des plus périlleuses et des plus délicates de mon étincelante carrière.

Pendant ce préambule auquel nous souscrivons, la seule véritable question qui me gravite dans le cassis est : « Comment me débarrasser de cette mauviette safranée ? »