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La tête dans ses mains, Fegan entendit le cliquetis du pistolet qui tirait à vide. Il sentit que deux corps s’écrasaient près de lui, l’un plus lourd que l’autre.

Respirations. Gémissements. Un cri, déchirant, qui semblait monter des entrailles de la terre. Un hurlement lui répondit de l’autre côté de la cour. Dans l’aube naissante, Fegan entendit les aboiements paniqués des chiens, leurs pattes qui grattaient aux portes des écuries. Plus loin, sur le plastique, Coyle se tordait dans une mare de sang, les doigts crispés sur un revolver.

À la droite de Fegan, O’Kane gisait sur le côté ; vivant, le souffle court. Il était rouge et luisant de sueur, le genou en sang, touché aussi à l’aine. Il leva les yeux.

« Bon sang, Gerry. Il m’a eu. »

Saisi à la gorge par l’odeur âcre de la poudre, Fegan toussa. Ses jambes le soutenaient à peine. Il prit le revolver dans la main de Downey.

« Il m’a eu, ce salaud », répéta O’Kane avec un rire amer.

Fegan regarda Campbell. L’Écossais respirait difficilement, en proie à des convulsions. Son ventre béant n’était plus qu’un amas de chairs sanguinolentes. Les deux UFF se penchaient sur lui, une joie sauvage peinte sur leurs visages.

« Vous aussi, vous l’avez eu », dit Fegan en s’approchant de O’Kane.

Le vieux réussit à tourner la tête. Serrant les dents, pantelant, il vit le revolver que tenait Fegan.

« Je te donnerai tout ce que tu veux, dit-il. Tout. Dis-moi ton prix…

— Non.

— Sors-moi de là. Emmène-moi à l’hôpital. Un million. Je te donnerai un million. » Il tendit faiblement le bras et attrapa Fegan par la cheville. « Tu pourras partir avec la femme et sa gosse, n’importe où. Deux millions. Je te donnerai deux millions. Imagine, Gerry. Deux millions de livres.

— Je ne veux pas de votre argent », dit Fegan en se dégageant. Il pointa l’arme sur le front de O’Kane.

Des larmes jaillirent des yeux du vieil homme et roulèrent sur le plastique. « Alors, quoi ? Demande-moi. Je te le donnerai. »

Fegan s’accroupit près de lui. Il sentait l’odeur de sa sueur. « Je ne vous tuerai pas. Je vous laisserai tranquille. Mais vous devez me promettre une chose.

— Oui, oui… Dis-moi.

— Quand tout ça sera fini, vous abandonnez. Vous n’essaierez pas de me retrouver. Ni Marie. Je vais tuer Campbell, et McGinty. Ensuite, vous n’entendrez plus jamais parler de moi. Vous ne chercherez pas à vous venger, vous ne mettrez pas ma tête à prix. Si vous me donnez votre parole, vous resterez en vie.

— Pádraig…

— C’est trop tard pour lui. Jurez que vous nous laisserez tranquilles, Marie et moi. »

O’Kane acquiesça. « Je te le promets. Je le jure devant Dieu.

— Jurez-le sur l’âme de vos enfants.

— Je le jure. »

Fegan se releva. Il se dirigea vers le bord de l’arène où Campbell s’accrochait au dernier fil de sa vie, le regard perdu dans le lointain, ses lèvres tentant d’articuler une parole muette. Les deux UFF reculèrent, leurs visages illuminés par un plaisir animal.

54

« Davy. »

Campbell se demanda qui parlait, parmi tous ces visages en sang. Ces gens penchés sur lui, qui le happaient et l’entraînaient vers d’insondables tréfonds.

Qui avait prononcé son nom ? Ces hommes tatoués, aux têtes rasées ? Non. Ils étaient morts depuis des années, brisés, mutilés, dans une pièce nue aux murs de béton. Qu’attendaient-ils de lui maintenant, avec leurs yeux extatiques ?

Qu’est-ce que vous voulez ? Ses lèvres remuaient, mais aucun son n’en sortait.

« Là… Davy. »

Campbell essaya de se redresser. Les fragments éclatés de son corps ne répondaient pas. Il se vidait en son centre. Ah oui… La carabine lui avait explosé le ventre. L’air froid maintenant s’insinuait dans la blessure.

Il mit tout ce qui lui restait de force dans son cou et souleva la tête pour voir d’où venait la voix. Un vacarme assourdissant tempêtait à ses oreilles, sa peau le brûlait. Une forme, grande et mince, émergea du brasier.

Gerry Fegan.

Dans sa main, il tenait quelque chose qui brillait.

« Ils veulent ta mort, Davy.

— Qui ? » demanda Campbell dans un souffle.

Fegan désigna les hommes tatoués qui le regardaient avec leurs horribles sourires. Campbell voulut crier, mais l’air lui manquait.

« Les UFF que tu as accusés pour te couvrir, dit Fegan. C’est moi qui ai dû les tuer. Maintenant, tu dois payer, Davy. »

Au feu qui dévorait Campbell succéda un froid glacial. Il reconnut la nature de l’objet brillant que Fegan tenait à la main, entendit le recul du cran de sécurité.

« Va te faire foutre.

— Tout le monde paye, dit Fegan en approchant l’arme. Tout le monde… Tôt ou tard. »

La rage au cœur, Campbell aurait voulu écraser Fegan, le pulvériser, sentir sa chair éclater sous ses doigts et son sang se répandre… Mais il s’enfonçait dans les ténèbres.

Les deux UFF penchaient sur lui leurs visages grimaçants, pleins de haine. Les autres aussi se ruaient en avant, autant de cadavres démembrés qui l’engloutissaient dans leur pourrissement, parmi lesquels se détachait une silhouette au front béant, portant sur ses épaulettes l’insigne de sergent.

« Sergent Hendry ? »

Le spectre du soldat se jeta sur Campbell pour le déchiqueter entre ses dents.

Fegan dominait le carnage de sa haute stature.

« Va te faire foutre ! hurla Campbell. Allez ! Tue-moi, putain ! Vas-y. Tire. Appuie sur la… »

TROIS

55

La détonation fit taire les chiens. Fegan se tourna vers le boucher et la femme avec son bébé. Elle l’encouragea de son petit sourire triste.

Hochant la tête en signe d’assentiment, il gagna la porte de la grange. O’Kane, les yeux rivés au sol, évitait de le regarder. Sur le seuil, il s’arrêta pour observer la maison qui l’attendait de l’autre côté de la cour. Le monde se teintait d’une étrange lueur bleutée, tandis que la pluie, faiblissant avec la venue du jour, enveloppait la ferme dans un halo de grisaille. Des grognements plaintifs montaient des écuries.

Debout dans l’air vicié, il se découvrait l’esprit étonnamment clair. Ses mains ne tremblaient plus. Tous ses sens aspiraient à la vie, malgré l’odeur de la mort qui planait sur l’endroit. Le froid glacé en lui était devenu une lumière, une flamme ardente dans sa poitrine. Il scruta la maison sans y déceler la moindre trace d’activité.

McGinty et les autres s’attendaient à entendre des coups de feu, mais pas un tir soutenu. Ils se tenaient sûrement postés aux fenêtres.

La Clio était toujours garée dans la cour, à mi-chemin entre la grange et la maison. Il devait absolument y arriver pour prendre le sac en plastique scotché sous le siège du passager. Après un dernier regard alentour, il s’élança, plié en deux.

La porte de la cuisine s’ouvrit. Il se jeta à terre, à quelques mètres de la voiture. Un coup de feu jaillit, suivi d’un sifflement à ses oreilles. Les chiens se remirent à gémir et à aboyer, grattant furieusement dans leurs stalles.

Malloy. Fegan reconnut sa silhouette massive à travers les vitres de la Clio. Il guetta des pas sur le ciment, mais le raffut des chiens couvrait tous les bruits. Il s’approcha de la voiture, à quatre pattes sur le sol mouillé.