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— Arrête, Gerry.

— Et pourquoi tu as fait ça ?

— On m’avait raconté la même chose qu’à toi. Que des loyalistes se réunissaient au-dessus de la boutique.

— Tu mens. Tu savais qu’il n’y avait qu’un débarras là-haut. Pourquoi tu as fait ça ? Dis-lui pourquoi elle est morte. »

L’ombre de McGinty se débattait pour retenir une forme dans ses bras. Ellen, qui essayait de lui échapper.

« Dis à cette femme et à son bébé pourquoi elle est morte, répéta Fegan. Elle mérite de le savoir.

— Il n’y a personne, Gerry. Tu ne comprends donc pas ? Elle est dans ta tête.

— Dis-lui, Paul. »

Le soupir de McGinty parvint jusqu’au bas de l’escalier. « Pour qu’on parle de moi. »

Fegan sentit une douleur cuisante à son épaule gauche et y porta les doigts. Ils étaient pleins de sang. « Pour qu’on parle de toi, répéta-t-il.

— Oui. Le parti me maintenait sur la touche. Je devais frapper fort pour faire la une des journaux.

— J’ai posé cette bombe, j’ai tué ces gens, pour que tu arrives en première page ?

— J’étais obligé, Gerry. Et j’ai vu tout de suite que ça marchait… La politique, les élections. C’était le bon moment. Si j’avais laissé passer l’occasion, je serais resté un exécutant, comme toi ou Eddie Coyle. »

Fegan regarda la femme qui berçait le bébé. Et le boucher, avec son visage joufflu. « Ils sont morts, parce que tu voulais te faire un nom.

— Mais j’ai agi pour la bonne cause, Gerry. Penses-y. J’ai aidé à construire la paix. J’ai mis au pas les caïds et les petits gangsters de la rue. Moi, Gerry. Sans moi, l’équilibre n’aurait pas tenu. Et toi, tu as failli tout foutre en l’air. Tu m’entends ? Tant de vies perdues, tant d’années de souffrances, de travail… Tu pourrais tout gâcher. Et pour quoi ? Pour des créations de ton imagination ? »

La voix de McGinty retrouvait ses accents familiers : le vernis et les belles paroles, la rhétorique du politicien.

Tenant toujours le Walther à la main, Fegan se frotta les yeux avec les poings. « Et elle ? Sa vie ne valait rien ?

— Ça suffit, Gerry.

— Et la vie de son bébé ?

— Arrête, tu connais la…

— Et le boucher. Et tous les autres ? Que valait leur vie pour toi, Paul ?

— C’est toi qui les as tués, Gerry. Personne d’autre. »

Fegan pressa ses mains rouges de sang contre ses tempes. Il sentait le contact glacé du Walther sur sa tête. « Je sais. »

McGinty durcit le ton. « Ne me dis pas que tu n’y prenais pas de plaisir. Le sentiment de puissance que ça te donnait…

— Tais-toi.

— Le respect qu’on te témoignait. Partout où tu allais, les gens t’admiraient. Le grand Gerry Fegan. Et tout ça, tu en as fait quelque chose ? Hein ? Qu’est-ce que tu es, maintenant ?

— Tais-toi. »

McGinty se mit à rire. « Un ivrogne qui perd la boule, voilà. Alors tu te retournes contre les tiens, juste pour te sentir de nouveau puissant et fort. C’est ça, Gerry ? Un pochetron, seul à crever, qui n’est rien sans un flingue et quelqu’un à menacer ? »

Fegan ferma les yeux de toutes ses forces.

« Ta gueule !

— Et quand ce sera fini ? Hein ? Qu’est-ce qui se passera ? Qu’est-ce que tu deviendras, Gerry ? »

Fegan se baissa et passa la tête dans le couloir, le Walther pointé vers le haut. Le revolver de McGinty jaillit aussitôt. La balle lui envoya une volée de bois et de plâtre au visage. Il retomba en arrière, toussant, la gorge irritée par la poussière, puis s’essuya les yeux avec sa manche.

Il restait un coup.

Dans les bras de la femme, le bébé s’agita. Elle s’approcha avec le boucher, et tous deux brandirent le doigt en direction de McGinty. Fegan regarda l’ombre du politicien se déplacer sur le mur. Ellen gémissait et pleurait, trop exténuée maintenant pour crier.

« Tu n’as pas répondu à la question, Gerry. »

Gerry se releva. Son épaule gauche le faisait cruellement souffrir, il avait le bras ankylosé et les jambes flageolantes. Bientôt la fatigue prendrait le dessus. Il fallait en finir, vite.

« Tu n’as plus qu’une balle, dit-il.

— Une seule suffit, répondit McGinty.

— À condition que tu me touches.

— Elle ne t’est pas destinée. Je la garde pour elle. »

L’ombre de McGinty se détachait plus nettement à présent, dans la lumière croissante du jour. Assis sur ses talons, il serrait Ellen contre lui. Où était le revolver ?

Fegan se tourna vers la femme. « Bon sang ! Où est le revolver ? »

Désignant toujours McGinty, elle n’offrit aucune réponse.

« Viens voir, Gerry. »

58

Fegan passa prudemment la tête par la porte. McGinty était accroupi sous la fenêtre de l’escalier, serrant Ellen contre lui. La fillette ne semblait pas avoir conscience de l’arme qu’il braquait sur sa nuque.

« Gerry, dit-elle. Je veux retourner à la maison.

— Bientôt, chérie. Toi, ta maman et moi, on rentrera tous ensemble. Je te le promets. »

McGinty se mit à rire, la voix étranglée. « Tu ne m’as pas répondu, Gerry. Qu’est-ce qui va se passer, après ? »

Fegan s’avança dans le couloir. Il tenait le Walther derrière son dos pour ne pas effrayer Ellen.

« Je ne sais pas, répondit-il.

— Tu t’imagines en gentil père de famille avec Marie McKenna et sa môme ? Tu crois que Marie voudra de toi, maintenant qu’elle sait ce que tu as fait ? »

Fegan s’approcha de la première marche de l’escalier, précédé de la femme et du boucher. « Je ne sais pas. »

La main de McGinty tremblait. Dans la pâle lumière, le canon du revolver renvoyait des éclats argentés. « Il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas. » La sueur perlait au-dessus de sa bouche étirée en un méchant sourire. « Tu ne sais pas que Marie m’a appelé quand elle a appris que le flic la trompait. Que je suis allé la voir ce soir-là et qu’elle m’a attiré dans son lit, par dépit. Toi aussi, elle t’a utilisé, pour se venger de moi. »

Fegan grimpa deux marches.

McGinty appuya la joue contre les cheveux d’Ellen. « Elle ne m’a jamais dit si l’enfant était de moi. Ne bouge plus. »

Fegan s’immobilisa au moment où il enjambait deux marches, étreignant la rambarde dans sa main poisseuse de sang, le Walther pressé contre sa cuisse.

Le regard de McGinty se perdit dans le vague. « Je lui ai demandé, mais elle n’a jamais voulu me répondre. »

Fegan reprit son ascension. « Toi non plus, tu ne veux pas qu’elle voie ça, dit-il.

— Arrête, Gerry. Laisse-moi partir.

— Je ne peux pas. Où est Marie ? »

McGinty répondit d’un vague geste du menton. « Là-bas. Bull lui a fait respirer du chloroforme. Laisse-moi partir, Gerry. »

Fegan posa le pied sur une autre marche. « Elle va bien ?

— Oui, elle dort. Laisse-moi partir. S’il te plaît. »

Encore une marche. « Je ne peux pas, Paul. Renvoie Ellen à sa mère.

— Non, je l’emmène avec moi. »

Fegan montait toujours. « Sûrement pas. »

Les épaules de McGinty s’affaissèrent. Il poussa un long soupir. « S’il te plaît, Gerry. Laisse-moi partir. Je t’en supplie. Ne m’oblige pas… »

Une marche. « Tu ne veux pas lui faire de mal. Lâche-la. »