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— Calme-toi, voyons, dit-elle. Tu n’as pas envie de retourner jouer avec la gentille Allison ? Tu apercevras peut-être un autre écureuil.

Pete s’approcha et s’empara d’une mèche des cheveux de sa mère. Elle leva les yeux vers lui.

— Tu ne lui changeras plus sa chaîne ?…

— Promis, dit-il, en entortillant la mèche brune autour de son doigt.

— Quant à toi, fini les coups de pied, ajouta-t-elle à l’intention de Kim dont elle continua de caresser le dos, tout en essayant de planter des baisers sur une joue qui se dérobait.

* * *

Comme c’était le tour de Walter de faire la vaisselle et que Pete et Kim jouaient tranquillement dans la chambre de Pete, elle prit une rapide douche froide, enfila un short et un chemisier, chaussa des espadrilles et se brossa les cheveux.

Tout en nouant sa queue de cheval, elle alla jeter un coup d’œil sur ses enfants qui, assis par terre, s’amusaient avec la station orbitale de Pete.

Elle s’éloigna à pas de loup et descendit l’escalier recouvert d’une moquette neuve. La soirée s’annonçait bien. Enfin débarrassée de la corvée des rangements, elle se sentait fraîche, propre, et disposait de quelques minutes, dix ou quinze avec de la chance, pour s’asseoir dehors avec Walter contempler leurs arbres et jouir de leur « vue imprenable ».

Elle traversa le vestibule. La cuisine était propre comme un sou neuf, le lave-vaisselle ronflait. Devant l’évier, Walter, penché à la fenêtre, observait ce qui se passait chez les Van Sant. Une grande tache de sueur en forme de lapin triste maculait sa chemise. Il se retourna, sursauta et sourit.

— Depuis combien de temps es-tu là ? demanda-t-il en s’essuyant les mains au torchon.

— Je viens d’entrer, répondit-elle.

— Tu sembles ressuscitée.

— Ressuscitée, tu as dit le mot. Les gosses jouent comme des anges. Tu viens dehors ?

— D’accord, dit-il en repliant le torchon. Mais je ne resterai que quelques minutes. Il faut que j’aille parler à Ted.

Il glissa l’essuie-mains sur un bras du séchoir.

— C’est pourquoi je regardais chez eux, expliqua-t-il. Ils finissent tout juste de dîner.

— À quel sujet ?

— Je m’apprêtais justement à en discuter avec toi, dit-il alors qu’ils se dirigeaient vers le patio. J’ai changé d’avis : j’ai décidé de m’inscrire au Club des Hommes.

Elle s’arrêta pour le dévisager.

— Impossible de s’en désintéresser. Trop de décisions importantes y sont prises concernant la politique locale, les campagnes de bienfaisance, etc.

— Comment peux-tu adhérer à un truc aussi dépassé, aussi désuet…

— J’ai parlé dans le train à quelques-uns de ses membres, dit-il. Ted, Vic Stavros et divers autres types auxquels ils m’ont présenté. Ils s’accordent tous à reconnaître combien cette histoire d’en exclure les femmes est archaïque.

Il prit Joanna par le bras et ils poursuivirent leur marche.

— Mais on ne pourra y changer quelque chose qu’en procédant de l’intérieur, reprit-il. Et c’est à quoi je suis résolu à m’employer. Je vais m’inscrire samedi soir. Ted doit me renseigner sur la composition des différentes commissions. C’est ton soir avec ou ton soir sans ? ajouta-t-il en sortant une cigarette de son paquet.

— Oh ! avec, répondit Joanna qui tendit la main.

Ils s’arrêtèrent à l’extrémité du patio, dans le frais crépuscule bleuté, bruissant de grillons. Walter présenta la flamme de son briquet à la cigarette de Joanna avant d’allumer la sienne.

— Regarde-moi ce ciel, murmura-t-il. Il vaut tout le fric qu’il nous a coûté…

Elle leva les yeux – le ciel était mauve, bleu clair, bleu marine –, puis les reporta sur sa cigarette.

— Mais les institutions, ça se change aussi de l’extérieur, objecta-t-elle. À coups de pétitions, de manifs…

— Du dedans, c’est beaucoup plus simple, rétorqua Walter. Tu verras. Si ces gars du train reflètent l’état d’esprit général, ce sera le Club des Deux-Sexes en moins de rien. À nous le poker mixte et l’amour sur les billards.

— Si les gars du train sont tels que tu les présentes, dit-elle, ce serait déjà chose faite. Et puis flûte ! Si ça te chante, vas-y, inscris-toi. Je réfléchirai à des slogans pour les pancartes. J’aurai tout le temps après la rentrée des classes.

Il prit Joanna par les épaules.

— Patiente encore un peu. Si, dans six mois, le Club n’est pas ouvert aux femmes, je plaquerai tout et nous irons manifester ensemble. Coude à coude. Oui au Sexe, non au Sexisme !

— Mâles de Stepford !

— Mal de Stepford ! récita-t-elle en tendant la main vers le cendrier placé sur la table de pique-nique.

— Pas mauvais, ça.

— Attends que je m’y colle pour de vrai.

Ils finirent leur cigarette et, bras dessus, bras dessous, contemplèrent l’énorme tache sombre de leur pelouse et les grands arbres qui se détachaient en noir sur le ciel mauve et entre les troncs desquels brillaient des lumières : les fenêtres des maisons de Harvest Lane, la rue la plus proche.

— Konrad Lorenz a raison, déclara Joanna. Je me sens affreusement territoire.

Walter loucha du côté des Van Sant et consulta sa montre.

— Il faut que je rentre finir la vaisselle, dit-il, et il déposa un baiser sur la joue de Joanna.

Elle se retourna pour le prendre par le menton et l’embrasser sur la bouche.

— Je resterai encore quelques minutes dehors, dit-elle. Appelle-moi si jamais les gosses commencent leur cirque.

— O.K., répliqua-t-il en remontant vers la maison où il pénétra par la porte du salon.

Joanna frictionna ses bras qu’elle avait croisés : la soirée fraîchissait. Fermant les yeux, elle rejeta la tête en arrière pour respirer l’odeur des arbres, de l’herbe et de l’air pur : délicieux. Elle ouvrit les yeux pour contempler le petit point brillant d’une unique étoile dans le ciel bleu sombre à des milliards de kilomètres au-dessus d’elle.

— Étoile du soir, murmura-t-elle, sans terminer le dicton, tout en formant intérieurement des vœux.

Elle souhaitait… qu’ils soient heureux à Stepford. Que Pete et Kim s’adaptent bien à leur école, qu’elle et Walter se fassent de bons amis, qu’ils trouvent la plénitude. Que Walter supporte bien les trajets quotidiens jusqu’à New York – quoique l’idée de déménager soit venue d’abord de lui. Que leur vie à tous quatre soit enrichie plutôt qu’amoindrie, comme elle l’avait redouté, par leur départ de la grande ville – cette vieille cité crasseuse, grouillante, hantée par la violence, mais débordante de vitalité.

Une certaine animation chez les Van Sant attira son attention et la fit se retourner.

Se profilant en ombre chinoise sur le seuil de sa cuisine qu’illuminait un éclairage violent, Carol Van Sant s’appliquait à refermer le couvercle de sa poubelle. Elle se pencha vers le sol dans un scintillement de sa chevelure rousse et se releva armée d’un gros objet rond, un caillou, qu’elle posa sur ledit couvercle.

— Hou ! hou ! cria Joanna.

Carol se redressa et présenta de face sa haute silhouette toute en jambes et comme nue sous la robe violette dont les contours étaient soulignés par les lumières de la cuisine.

— Qui est là ? demanda-t-elle.

— Joanna Eberhart, répondit Joanna. Si je vous ai fait peur, excusez-moi.

Joanna s’approcha de la clôture qui séparait leurs propriétés respectives.

— Bonsoir Joanna, dit Carol avec son nasillement très Nouvelle-Angleterre. Non, rassurez-vous, je n’ai pas eu peur. Quelle belle soirée, n’est-ce pas ?

— Oui. Et d’autant plus belle que j’ai fini de défaire mes bagages.