Выбрать главу

— J’ai fini, cria-t-elle. Je range.

— Faites bien attention à tout remettre en ordre.

— Juré !

— Et pensez à éteindre !

— Jawohl !

Elle reclassa tous les volumes dans un ordre chronologique approximatif.

— Sans doute ! ricana-t-elle encore une fois. Mes fesses !

Elle reprit manteau et sac, tourna le commutateur et, toujours hilare, gravit l’escalier en haut duquel la guettait Miss Austrian.

— Vous avez trouvé ce que vous cherchiez ? demanda celle-ci.

— Oh ! oui, répondit-elle en réprimant ses gloussements. Merci beaucoup, beaucoup. Vous êtes un puits de science, vous et votre bibliothèque. Merci encore. Bonsoir !

— Bonsoir, dit en écho Miss Austrian.

* * *

Elle traversa la rue en direction de la pharmacie car il lui fallait, à tout prix, un tranquillisant. C’était, là aussi, l’heure de la fermeture, et la boutique, déjà plongée dans la pénombre, était vide, à l’exception du ménage Cornell. Joanna tendit son ordonnance au pharmacien.

— Oui, dit celui-ci après lecture. Je peux vous le donner tout de suite.

Et il se dirigea vers son arrière-boutique.

Rassérénée, elle s’absorba dans la contemplation des peignes rangés dans leurs casiers. Un cliquetis de verre la fit se retourner. Dans un coin obscur de l’officine, Mrs Cornell, armée d’un chiffon, était plantée face au mur derrière un des comptoirs. Joanna la vit frotter un objet, puis essuyer l’étagère avant d’y remettre l’objet en place. C’était une grande blonde, aux longues jambes et à la poitrine avantageuse ; aussi jolie que, par exemple, un modèle d’Ike Mazzard. Soulevant un objet de l’étagère, elle le frotta, essuya l’étagère et y remis l’objet dans un cliquetis de verre ; puis elle prit un nouvel objet sur l’étagère et…

— Bonsoir, vous là-bas, lança Joanna.

Mrs Cornell tourna la tête.

— Ah ! mais c’est Mrs Eberhart, s’écria-t-elle, le visage éclairé d’un sourire. Bonsoir ! Comment ça va ?

— Bien, répondit Joanna. En pleine forme. Et vous ?

— Très bien aussi, dit Mrs Cornell, qui essuya l’objet qu’elle tenait à la main, épousseta l’étagère, y reposa l’objet dans un cliquetis de verre, avant d’en reprendre un autre sur l’étagère, de le frotter…

— Que vous travaillez bien ! dit Joanna.

— Oh ! j’enlève la poussière, c’est tout, répliqua Mrs Cornell sans s’interrompre dans sa tâche.

Dans l’arrière-boutique, quelqu’un pianotait sur une machine à écrire.

— Vous seriez capable, vous, de réciter par cœur le Discours de Gettysburg ?

— J’ai bien peur que non, répondit Mrs Cornell, sans cesser de frotter.

— Voyons, faites un petit effort. Tout le monde connaît ça : « il y a quatre-vingt-sept années… »

— Je sais le début, mais j’ai oublié la suite, dit Mrs Cornell qui replaça son objet sur l’étagère, dans un cliquetis de verre et en choisit un autre qu’elle entreprit d’essuyer.

— Ah ! je vois ! On peut s’en passer, murmura Joanna. Connaissez-vous les Trois petits cochons ? reprit-elle.

— Bien sûr, dit Mrs Cornell, toujours absorbée, dans son nettoyage.

— Je le porte à votre compte ? demanda la voix de Mr Cornell.

Joanna se retourna.

Le pharmacien lui tendit un petit flacon à bouchon blanc.

— Oui, répondit Joanna en s’emparant du médicament. Puis-je vous demander un peu d’eau ? Je voudrais prendre un cachet tout de suite.

Après un signe de tête affirmatif, il regagna son arrière-boutique.

Figée sur place, son flacon à la main, Joanna se mit à trembler. Un cliquetis de verre s’éleva derrière elle. Elle dévissa le bouchon et sortit le tampon d’ouate, révélant ainsi des comprimés blancs. Toujours tremblante elle en fit glisser un dans sa paume et réintroduisit le coton dans le flacon avant d’en revisser le bouchon. Un cliquetis de verre parvint à ses oreilles.

Mr Cornell réapparut avec un gobelet en carton contenant de l’eau.

— Merci, dit Joanna qui, une fois en possession du gobelet, posa le comprimé sur sa langue et but une gorgée pour le faire passer.

Mr Cornell écrivait sur un bloc. Le sommet blanchâtre de son crâne zébré de mèches brunes faisait penser à ces invertébrés qu’on trouve au creux des rochers. Joanna vida le reste de l’eau, se débarrassa du gobelet et glissa le flacon dans son sac, toujours sur l’arrière-fond de cliquetis de verre.

Empressé, Mr Cornell lui présenta le bloc et son propre stylo. Comme il était laid, avec ses petits yeux et son menton fuyant !

Elle prit le stylo.

— Vous avez une bien charmante épouse, dit-elle en apposant sa signature. Jolie, complaisante, soumise à son seigneur et maître. Vous êtes un favorisé du sort, ajouta-t-elle en lui rendant le stylo.

Il s’en empara, rouge de confusion.

— J’en suis parfaitement conscient, répondit-il en baissant les paupières.

— D’ailleurs, cette ville regorge d’hommes heureux. Bonsoir !

— Bonsoir, répondit le pharmacien.

— Bonsoir, cria Mrs Cornell. À bientôt !

Joanna sortit dans la rue illuminée à l’occasion de Noël. Quelques autos circulaient en faisant voler la neige.

Les fenêtres du Club étaient brillamment éclairées ; et aussi celles des maisons juchés plus haut sur la colline. Du rouge, du vert et de l’orange scintillaient à certaines d’entre elles.

Après avoir aspiré une bonne bouffée d’air nocturne, elle escalada un monticule de neige où ses bottes enfoncèrent jusqu’à la cheville, et traversa la rue.

Parvenue devant la crèche illuminée, elle s’abîma dans la contemplation de Marie, de Joseph et de l’Enfant environnés d’agneaux et de petits veaux. Tous ces personnages imitaient la vie à s’y méprendre mais fleuraient un peu Disneyland.

— Vous a-t-on donné la parole, par-dessus le marché ? demanda-t-elle à la Vierge et à Joseph.

Aucune réponse. Ils se contentèrent de sourire aux anges.

Au bout de quelques minutes, d’un pas redevenu ferme, elle reprit la direction de la bibliothèque.

Une fois dans sa voiture, elle appuya sur le démarreur et alluma les phares. Un demi-tour à gauche suivi d’une marche arrière lui permit de repasser devant la crèche avant d’aborder la grande montée.

* * *

Alors qu’elle remontait l’allée, la porte de la maison s’ouvrit.

— Où étais-tu passée ? demanda Walter.

Elle se mit à frotter énergiquement ses bottes contre le seuil.

— J’étais à la bibliothèque, répondit-elle enfin.

— Pourquoi n’as-tu pas téléphoné ? Avec toute cette neige, j’ai eu peur d’un accident…

— Les routes ont été dégagées, dit-elle en s’essuyant les semelles sur le tapis-brosse.

— Tu aurais quand même pu téléphoner, bon Dieu ! Il est 6 heures passées.

Elle entra. Il referma la porte derrière eux.

Elle posa son sac sur la chaise et entreprit d’ôter ses gants.

— Quelle impression t’a faite le Dr Fancher ? demanda-t-il.

— Je l’ai trouvée très gentille. Sympathique.

— Que t’a-t-elle dit ?

Après avoir glissé ses gants dans sa poche, elle se mit à déboutonner son manteau.

— Selon elle, j’aurais besoin d’un peu de psychothérapie, expliqua-t-elle. Il paraît que je suis tiraillée par des pressions conflictuelles.

Elle ôta son manteau.

— Voilà qui semble judicieux, dit Walter. À mes yeux, en tout cas. Mais toi, qu’en penses-tu ?