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Elle s’engagea dans le vestibule. Walter parlait toujours, puis se tut. C’était peut-être le moment de chercher son sac ?

En entendant Walter marcher dans le bureau, elle se réfugia dans la salle de séjour où elle demeura coite, le dos collé au mur.

Les pas de Walter résonnèrent dans le vestibule, s’approchèrent du seuil de la porte et s’arrêtèrent.

Elle retint son souffle.

Walter émit une série de sifflements brefs, comme c’était son habitude avant de s’attaquer à un problème essentiel, tel que d’installer les sur-vitres, de remonter un tricycle en pièces détachées (ou de tuer sa femme ?… à moins que ce ne fût la spécialité exclusive de Coba, le Nemrod ?). Elle ferma les yeux, essayant de ne pas penser, de peur que ses pensées ne signalent sa présence.

Lentement, les pas montèrent l’escalier.

Elle ouvrit les yeux et expira par petits coups pendant qu’il poursuivait son ascension.

Alors, sans bruit, elle traversa en hâte la pièce, contournant les fauteuils et la table qui supportait la lampe, déverrouilla la porte du patio et l’ouvrit, déverrouilla la contre-porte, la poussa, mais rencontra l’obstacle d’un amoncellement de neige.

Toutefois, elle réussit à se glisser à l’extérieur et, le cœur battant à tout rompre, se lança dans une course éperdue sur le tapis blanc marqué des empreintes du traîneau et des bottes des enfants ; son but, c’était la ligne noire des arbres. Elle courut, courut, s’agrippa fugitivement à un tronc avant de reprendre sa course précipitée, trébuchante, haletante entre les troncs. Et sans s’écarter du long rideau de conifères qui séparait les maisons de Fairview Lane de celles de Harvest Lane.

* * *

À tout prix, il lui fallait arriver jusqu’à Ruth-Anne. Là, elle trouverait de l’argent, un manteau et un téléphone pour appeler la station de taxi d’Eastbridge ou quelque relation de New York – Shep, Doris, Andréas – disposée à venir la chercher en voiture.

Pete et Kim étaient bien là où ils se trouvaient. Joanna ne pouvait se permettre aucune inquiétude à leur sujet tant qu’elle ne serait pas arrivée à New York. Là elle discuterait de leur problème avec des gens, consulterait un avocat et reprendrait les gosses à Walter. Sans doute étaient-ils merveilleusement chouchoutés par Bobbie, Carol ou Mary-Ann Stavros – ou plutôt par les bidules ainsi prénommés.

En outre, de toute urgence, il fallait avertir Ruth-Anne. Peut-être même pourraient-elles s’enfuir ensemble – bien que celle-ci disposât encore d’un répit.

Parvenue à l’extrémité de la futaie, elle guetta à droite et à gauche pour s’assurer qu’aucune voiture n’était en vue et traversa au pas de course Winter Hill Drive que bordait une autre rangée de sapins recouverts de neige moelleuse. Sous leur protection, elle prit son élan, les bras croisés sur la poitrine et ses mains mal défendues par des gants trop minces, blotties au creux de ses aisselles.

Gwendolyn Lane, où habitait Ruth-Anne, était situé à proximité de Short Ridge Hill, juste derrière chez Bobbie. Il lui faudrait près d’une heure pour y arriver. Plus, sans doute, avec cette neige qui tapissait le sol, et dans l’obscurité. Et elle n’osait pas faire du stop, de peur de tomber inopinément sur Walter.

Et pas seulement sur Walter, songea-t-elle brusquement. Tous, autant qu’ils étaient, allaient se mettre à sa recherche et sillonneraient les routes armés de torches et de projecteurs. Comment la laisseraient-ils jamais s’échapper et tout révéler ? Chaque homme représentait une menace, chaque voiture un danger. Avant de sonner à la porte de Ruth-Anne, il lui faudrait jeter un coup d’œil par les fenêtres pour s’assurer de l’absence du mari.

Seigneur ! parviendrait-elle à s’échapper ? Nulle avant elle n’y avait réussi.

Mais nulle peut-être n’avait essayé. Ni Bobbie ni Charmaine. Sans doute était-elle la première à avoir pigé à temps, en admettant qu’il ne soit pas déjà trop tard.

Elle abandonna Winter Hill Drive pour s’engouffrer dans Talcott Lane. Des phares trouèrent la nuit et, en face d’elle, de l’autre côté de la rue, une voiture surgit d’une allée. Elle s’accroupit à l’abri d’une auto en stationnement : les faisceaux lumineux la balayèrent puis disparurent. Elle se redressa pour regarder : la voiture roulait lentement et, ainsi que prévu, était nantie d’un projecteur qui lançait des taches brillantes sur les façades et les pelouses enneigées.

Sans ralentir son allure, elle longea les maisons silencieuses de Talcott Lane ; partout les fenêtres étaient illuminées et les portes ornées d’ampoules multicolores en l’honneur de Noël. Elle avait les pieds et les jambes glacés, mais se sentait euphorique. Au bout de la rue, elle allait tomber sur Old Norwood Road et opterait de là pour Chimney Road ou Hunnicutt.

Un chien cria rageusement à son passage ; mais elle poursuivit sa route et les aboiements cessèrent bientôt.

Se détachant en noir sur la neige piétinée, une branche d’arbre attira son attention. Elle y plaqua sa botte droite, la brisa en deux morceaux et reprit sa course, brandissant dans sa main gantée un rameau rigide, froid et humide.

* * *

Dans Pine Tree Lane, une torche électrique troua l’ombre. Joanna se faufila entre deux maisons et courut à travers la neige vers un buisson dissimulé sous un dôme immaculé derrière lequel elle se blottit, pantelante, la branche serrée dans sa main transie.

Elle risqua un œil alentour – et vit l’arrière de plusieurs maisons aux fenêtres éclairées. D’un toit jaillit une pluie d’étincelles rouges qui allèrent mourir en dansant parmi les étoiles.

La torche poursuivait sa marche ondoyante entre deux bâtisses. Joanna s’accroupit de nouveau derrière son buisson. Et, dans l’espoir de réchauffer ses genoux transis sous les bas transparents, elle en prit un au creux de son coude, tout en massant l’autre.

Une clarté falote progressa vers elle sur le tapis blanc et des cercles lumineux vinrent effleurer sa jupe et sa main gantée.

Elle attendit encore, encore, avant de se risquer à regarder. Elle aperçut alors les sombres contours d’une silhouette masculine qui se dirigeait vers les habitations, précédée d’un halo de neige éclairée.

Ce n’est qu’une fois l’inconnu disparu qu’elle se décida à se ruer vers la rue la plus proche : serait-ce Hickory Lane ? Switzer ? Elle n’en savait rien, mais toutes deux menaient à Short Ridge Road.

Ses bottes avaient beau être fourrées, elle n’en avait pas moins les pieds tout engourdis.

* * *

Brusquement aveuglée par un éclat brutal, elle fit volte-face et s’enfuit. Une lumière venait à sa rencontre, et elle obliqua dans une allée fraîchement dégagée, longea un mur de garage avant de s’élancer sur une longue pente toute blanche. Elle glissa, tomba et se remit debout, sans lâcher sa branche – les lumières dansantes venaient dans sa direction – pour reprendre sa course sur la neige unie.

Un faisceau lumineux se braqua sur elle. Elle se détourna et ne vit qu’un champ de neige sans la moindre cachette, refit demi-tour et resta figée sur place, haletante.

— N’approchez pas, hurla-t-elle aux lumières qui, deux d’un côté, une de l’autre, dansaient dans sa direction. N’approchez pas, répéta-t-elle en brandissant son morceau de bois.

Les torches poursuivirent leur progrès oscillant, puis ralentirent et stoppèrent, aveuglantes.

— Allez-vous-en, cria Joanna en s’abritant les yeux.

L’éblouissement perdit de son intensité.

— Éteignez les lampes. Nous ne vous voulons pas de mal, Mrs Eberhart.