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— N’ayez pas peur. Nous sommes des amis de Walter.

La nuit se fit, Joanna abaissa la main.

— Et vos amis aussi. Je suis Frank Roddenberry. Vous me connaissez.

— Tranquillisez-vous. Personne ne vous veut du mal.

Des silhouettes plus noires que la nuit se dressaient devant elle.

— Restez où vous êtes, dit-elle, en levant plus haut sa branche.

— Balancez ce truc, il est inutile.

— Nous ne vous voulons aucun mal.

— Alors fichez le camp, hurla-t-elle.

— Tout le monde vous cherche, dit la voix de Frank Roddenberry. Walter est très inquiet.

— Sans blague ! répliqua-t-elle.

À quatre ou cinq mètres d’elle, trois hommes lui faisaient face.

— Vous auriez intérêt à ne pas vous balader ainsi, sans manteau, fit observer l’un d’eux.

— Fichez le camp ! répéta-t-elle.

— Posez ce machin par terre. Personne ne vous veut du mal.

— Mrs Eberhart, j’ai parlé à Walter au téléphone il n’y a pas cinq minutes, déclara le voisin de Frank. Nous savons ce qui vous trotte dans la tête. Ça ne tient pas debout. Croyez-moi, vous vous gourez complètement.

— Personne ne fabrique de robots, ajouta Frank.

— Vous nous prenez pour vachement plus ferrés qu’on n’est, reprit son voisin. Des robots capables de conduire des bagnoles ? De préparer des repas et d’égaliser les cheveux des gosses ?

— Et si ressemblants que les gosses n’y verraient que du feu, précisa un petit trapu aux épaules carrées qui n’avait encore rien dit.

— Vous devez nous prendre tous pour des cracks, s’exclama le voisin de Frank. Ce n’est pas le cas, je vous le jure.

— C’est pourtant vous qui nous avez envoyés sur la Lune, rétorqua Joanna.

— De qui parlez-vous ? Pas de moi. Frank, lu as envoyé quelqu’un sur la Lune ? Et toi, Bernie ?

— Sûrement pas, dit Frank.

— Non, Wynn, moi non plus, dit en riant le petit trapu. Pas à ma connaissance du moins.

— Je crains que vous ne vous confondiez avec d’autres gars, reprit le prénommé Wynn. Par exemple avec Léonard de Vinci ou Albert Einstein.

— Sacristi ! s’exclama Bernie. Nous n’avons aucune envie d’avoir des robots pour épouses. Nous préférons des femmes en chair et en os.

— Fichez le camp et laissez-moi continuer, insista Joanna.

Plus noires que la nuit, les trois silhouettes ne bougèrent pas d’un pouce.

— Joanna, dit Frank. Si vous aviez raison et si nous savions fabriquer des robots aussi extraordinairement ressemblants que vous le prétendez, ne croyez-vous pas que nous en profiterions pour gagner des sous avec.

— Exact, confirma Wynn. Si nous étions capables de telles prouesses techniques, nous serions tous riches, à l’heure qu’il est.

— Peut-être est-ce pour bientôt, dit Joanna. Vous n’en êtes qu’au début.

— Bon Dieu ! s’écria son interlocuteur, vous avez réponse à tout. C’est vous qui auriez dû être avocat, et pas Walter.

Frank et Bernie éclatèrent de rire.

— Voyons, Joanna, reprit le premier. Posez votre bâton.

— Fichez le camp et laissez-moi continuer, s’obstina Joanna.

— Pas question, rétorqua Wynn. Vous risquez d’attraper une pneumonie. Ou d’être renversée par une voiture.

— Je vais chez une amie, expliqua-t-elle. Dans quelques minutes, je serai au chaud. J’y serais déjà, si vous n’aviez pas… Oh ! Seigneur !…

— Laissez-nous vous fournir des preuves que vous vous trompez, proposa Wynn. Ensuite, nous vous reconduirons chez vous où vous recevrez tous les soins nécessaires.

Elle toisa la sombre silhouette d’où venait la voix.

— Quelles preuves ?

— Nous allons vous conduire à notre local, au Club des Hommes.

— Ça jamais !

— Une seconde de patience ! Laissez-moi parler, s’il vous plaît. Nous allons vous emmener au Club et vous pourrez l’inspecter de la cave au grenier. Je suis certain que, vu les circonstances, nul ne vous en empêchera. Et vous constaterez par vous-même que…

— Je ne mettrai pas les pieds dans ce…

— Vous constaterez qu’il n’y a aucun atelier de robots, poursuivit-il. Mais un bar, une salle de jeux et quelques autres pièces, c’est tout. Il y a aussi un appareil de projection et quelques films pornos – voilà notre grand secret.

— Tu oublies quelques machines à sous, ajouta Bernie.

— C’est vrai, il y a aussi ça.

— Je ne mettrai les pieds là-haut, affirma Joanna, que sous la protection d’un détachement de femmes en armes.

— Nous expulserons tous les occupants, promit Frank. Vous aurez le Club à vous toute seule.

— Je n’irai pas.

— Mrs Eberhart, reprit Wynn, nous faisons notre possible pour être gentils, mais il y a des limites à tout et nous refusons de passer la nuit à parlementer avec vous.

— Minute ! s’exclama le dénommé Bernie. J’ai une idée. Voyons, si l’une des femmes que vous qualifiez de robots… se coupait, par exemple, le doigt et se mettait à saigner… Seriez-vous alors convaincue qu’il s’agit d’une créature réelle ? Ou diriez-vous que nous avons fabriqué un robot avec du sang à fleur de peau ?

— Bernie ! Tu vas trop loin ! protesta Wynn.

— On ne peut demander à personne de se c-charcuter rien que pour… s’indigna Frank.

— Laissez-la répondre à ma question. Je vous écoute, Mrs Eberhart. Si elle saigne, serez-vous convaincue ?

— Bernie !…

— Laissez-la répondre, bon Dieu !

Joanna, immobile, les pupilles dilatées, hocha affirmativement la tête.

— Si elle saigne… Oui, je la croirai réelle.

— On ne va demander à personne de se couper le doigt. Au contraire, nous…

— Bobbie, elle acceptera, dit Joanna. En admettant que Bobbie il y ait encore. Vous savez, mon amie, Bobbie Markowe.

— De Fox Hollow Lane ? s’enquit Bernie.

— Précisément.

— Eh bien, annonça-t-il aux autres. C’est à deux minutes d’ici. Réfléchissez une seconde, je vous prie. Ça nous évitera tout le trajet jusqu’au centre de la ville, et nous n’aurons pas à forcer Mrs Eberhart à aller là où elle refuse de se rendre.

Nul ne dit mot.

— C-ça ne me parait pas une s-si mauvaise idée, se décida à bégayer Frank. On pourrait en p-parler à Mrs Markowe.

— Elle ne saignera pas, lança Joanna.

— Si, affirma Wynn. Et vous admettrez alors votre erreur et vous nous laisserez vous reconduire auprès de Walter sans discuter.

— Si jamais elle saigne, oui, d’accord.

— Parfait. Toi Frank, pars en avant savoir si elle est chez elle et la prévenir. Voyez, Mrs Eberhart, je pose ma torche par terre. Bernie et moi allons vous précéder. Quant à vous, vous allez ramasser la torche et nous suivre à la distance qui vous tranquillisera. Mais maintenez la torche pointée sur nous pour que nous sachions que vous êtes toujours là. Je vous laisse aussi mon pardessus. Enfilez-le. Je vous entends claquer des dents.

* * *

Elle était dans l’erreur, elle le savait. Elle était dans l’erreur, mais également transie, mouillée, fatiguée, affamée et tiraillée de trente-six manières par des pulsions conflictuelles. Y compris celle de faire pipi.

S’ils étaient des tueurs, elle serait déjà morte. La branche ne les aurait pas arrêtés. Trois hommes contre une femme !

Elle avançait lentement sur ses pieds endoloris. Elle leva son rameau, l’examina, le lâcha. Son gant était humide et maculé, ses doigts gelés. Après quelques exercices de flexion, elle finit par les fourrer au creux de son aisselle, tandis que de son autre main, elle maintenait braquée, du mieux qu’elle pouvait, la lourde torche électrique.